Ethiopie : Politique, Droits de l’Homme et tragédies
Au cœur des barbelés qui définissent l’existence de la prison de Kaliti, au-delà des eucalyptus moqueurs qui ondoient dans le ciel céruléen d’Addis Abeba, au-delà des cages carrées extérieures réservées aux visiteurs, loin des gardiens de prison dont les mains impitoyables examinent le contenu de votre panier à provision, en détention cellulaire, il y a une prisonnière politique âgé de 34 ans. C’est son second séjour depuis 2005 à l’intérieur des murs infâmes de la prison située dans la périphérie de la capitale éthiopienne.
Le crime de Mme Birutkan Mideksa, selon le gouvernement éthiopien, est la violation des conditions du pardon qui lui avait été accordé en 2007. Elle avait été arrêtée en 2005 lors des perturbations post-électorales au cours desquelles 200 personnes avaient été tuées par les forces gouvernementales et plus de 100 dirigeants et parlementaires élus appartenant à l’opposition, des défenseurs des Droits de l’Homme, des journalistes, des avocats et des membres de la société civile avaient été emprisonnés.
Mme Mideksa a été jugée et condamnée à la prison à perpétuité. Le chef d’accusation était la trahison. Ce qui a suscité l’indignation internationale. Des campagnes musclées de par le monde ont attiré l’attention sur son cas. Amnesty International et d’autres ONG ont déclaré que l’accusée était une prisonnière d’opinion, emprisonnée pour la seule raison d’avoir exercé ses droits fondamentaux.
En 2007, Mme Mideksa et ses co-accusés ont été libérés suite aux négociations menées entre des Sages et le gouvernement éthiopien qui, selon les dires, ont abouti aux accords suivants : une confession signée par Mme Mideksa et les autres accusés, contre un pardon accordé par le gouvernement. Les conditions et les critères de ces pardons demeurent peu clairs. Ce qui est par contre connu et évident, c’est qu’en décembre 2008 Mme Mideksa a exercé son droit à la liberté d’expression qui a conduit à son arrestation.
En dehors de la cellule de 2 mètres carrés qu’elle habite actuellement, la prisonnière politique est aussi un ancien juge, la mère d’une fille de 4 ans et le chef d’une organisation politique dans l’opposition (la seule femme en Afrique a occuper une telle position). En jonglant avec ces différents rôles, elle s’efforçait d’éviter les terrains minés qui menacent l’exercice des droits humains en Ethiopie. Comment se fait-il qu’une femme qui a présidé la Cour de justice lors de procès importants aboutisse en détention cellulaire, avec une condamnation à perpétuité pour la deuxième fois en deux ans ? La réponse se trouve dans la réalité torturée de la vie en Ethiopie.
De toute évidence, le pays n’a pas de système judiciaire indépendant, pas de liberté de presse, pas de société civile et les libertés individuelles, telle la liberté d’expression, d’association et autres ont été sévèrement rognées sinon éliminées. Même les artistes ne jouissent pas de la liberté de pensée, leurs expressions ne pouvant s’égarer loin des lignes du parti : le fait que Teddy Afro soit emprisonné, soi-disant pour un accident avec délit de fuite, donne lieu de penser que ce chanteur populaire, chantre de la démocratie, est plutôt victime d’un subterfuge.
Un auteur célèbre a une fois noté que le degré de civilisation d’une société se mesure à l’aune des conditions prévalant dans ses prisons. On peut ajouter à cela, le système d’éducation. Les deux sont en ruine en Ethiopie. Pour ce dernier, il suffit d’examiner la politique du Premier Ministre Meles Zenawis qui considère que la graduation du 10ème degré correspond à la fin d’étude du lycée. Il n’est donc guère surprenant, selon n’importe quel index économique, que le pays soit à la traîne et reste un complet désastre en terme de développement.
Le système carcéral, certainement depuis 2005 mais probablement déjà auparavant, a hébergé les membres les plus éminents de l’intelligentsia éthiopienne, de sa communauté d’artistes et de ses défenseurs des Droits de l’Homme. Ceci ne le distingue certainement pas – les régimes totalitaires ayant tendance à discréditer ceux qui les défient. Ceux qui n’ont pas été emprisonnés ont été massacrés en plein jour. En Ogaden, les violences perpétrées par des forces gouvernementales étaient si énormes que les organisations des Droits de l’Homme les ont qualifiées de crimes contre l’humanité. Ce type de leadership est non seulement exporté vers la Somalie voisine, mais il est aussi allégué que les Etats-Unis ont utilisé l’Ethiopie pour que la CIA y établisse un de leur centre d’interrogatoire.
Ce qui nous ramène à Mme Mideksa. La détention en isolement, selon Amnesty International, l’expose aux risques de mauvais traitements et de torture. La juge Mideksa est privée d’accès à des soins médicaux ainsi qu’à un avocat. Elle encourt le risque d’abus, à moins que ces abus n’aient déjà été perpétrés par les gardiens de prisons. La situation pour une femme prisonnière politique est particulièrement difficile et le potentiel de souffrance est immense.
Le monde, hormis ceux concernés quotidiennement par les affaires de l’Afrique, fait la sourde oreille quant à ses souffrances et à celles de l’Ethiopie. Le flirt continuel de la direction du pays avec le désastre - que cela prenne la forme d’une famine ou une funeste incursion dans une prétendue politique électorale en 2005 ou des mésaventures en Somalie - présente l’image claire d’un parti dominant qui tient le pays d’une poigne de fer inextricable. Néanmoins Meles Zenawis ne partage pas le sort d’un Mugabé ou d’un Bashir au Soudan. Il n’y a eu ni condamnation internationale, ni mandat d’arrêt et il n’est certainement pas persona non grata.
A la différence d’autres dictateurs, le chef du gouvernement éthiopien a un air de légitimité au point qu’il a fallu rappeler aux Occidentaux sa vraie nature lors des élections de 2005. La politique du Premier Ministre revêt deux aspects : d’une part faire preuve de l’indispensable volonté de protéger les intérêts occidentaux dans la Corne de l’Afrique et, d’autre part, faire montre de démocratie et d’économie de marché (sans toutefois créer les institutions ou les responsabilités qui accompagnent ces deux éléments).
Sa stratégie semble avoir réussi à merveille. Pas de remontrance ou de tape sur les doigts. L’Occident - et surtout les principaux bailleurs de fonds du régime éthiopiens- ignore les violations massives des Droits de l’Homme qui accablent la nation. Ce qui n’est guère surprenant. Même les Ethiopiens sont fatigués des mêmes vieux problèmes de l’Ethiopie. C’est facile d’ignorer quelque chose qui persiste depuis trop longtemps. Pour ceux qui ont besoin d’un cours intensif et rapide en histoire politique de l’Ethiopie, considérez ce qui suit.
Avant 1974, l’Ethiopie a été dirigée par une succession de rois et d’empereurs et était essentiellement un état féodal. Les Etats –Unis était son allié. En 1974, une junte militaire, prétendument marxiste/léniniste, prend le pouvoir et terrorise la nation durant presque deux décennies, avec des pics de « terreur rouge » et de « terreur blanche ». Il est allégué que presque 100 000 civils ont disparu. L’Union soviétique et ses satellites étaient les alliés de l’Ethiopie.
Cette dictature a été éjectée par un ramassis de combattants de la guérilla, parmi lesquels l’actuel Premier ministre. Bien que l’origine du groupe était aussi marxiste/léniniste, sa nature ‘’caméléon’’ lui a permis de prendre la coloration la plus opportune à un moment donné. Ce groupe est au pouvoir depuis 1991. Le nombre de disparus résultant de leur politique impitoyable est inconnu.
Aujourd’hui, presque deux décennies plus tard, les Etats Unis sont de nouveau un allié et l’Ethiopie a reçu la convoitée désignation de « partenaire dans la guerre globale contre le terrorisme ». Ce statut est lamentable, sinon ridicule : comment un gouvernement incapable de fournir de l’eau potable, qui doit batailler en permanence contre l’insécurité alimentaire ou qui devrait infléchir son penchant à liquider l’opposition, comment donc un tel gouvernement peut-il se voir confier la bataille contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique ?
L’incarcération du juge Mideksa n’est rien d’autre que le microcosme des tragédies dont la population en général fait l’expérience. Son cas illustre l’immense pouvoir que le gouvernement éthiopien exerce sur ses citoyens. Les propos offensifs qu’on attribue à Mme Mideksa ont été prononcés en Suède. Ils ne faisait rien de plus que relater des faits : notamment que sa libération n’était pas le fruit d’un pardon légal mais plutôt le résultat de négociations politiques. C’est son refus de retirer ses propos qui lui ont valu d’être à nouveau emprisonnée.
Compte tenu que l’appareil étatique de éthiopien a des tentacules au-delà de ses frontières et au-delà des océans, imaginez le contrôle qu’il doit exercer sur les populations à l’intérieur de ses frontières. Le «Big Brother » africain surveille. Après les élections de 2005, le gouvernement a interdit les messages SMS, l’outil étant utilisé par les militants pour la démocratie pour organiser les électeurs ainsi que des rassemblements pacifiques. Divers blogs éthiopiens, site web et autres accès à l’Internet sont bloqués de façon routinière en Ethiopie. La population assiégée est régulièrement fouillée dans la rue et à l’entrée des restaurants.
Trois mois après que la condamnation à perpétuité ait été réinstaurée, nous devons poser des questions radicales concernant le cas de Mme Mideksa et l’Ethiopie dans son ensemble : est-ce que les droits fondamentaux peuvent être balayés par la volonté d’un gouvernement ? Pourquoi est-ce que le financement international n’est pas véritablement liés à la situation des Droit de l’Homme ? Est-ce que les intérêts occidentaux, en particulier ceux ayant trait aux soucis du terrorisme, doivent prévaloir sur les Droits de l’Homme en Afrique ? Et, plus important encore, où est l’indignation ? ? ?
* Mtiimita est un nom d’emprunt pour un militant des Droits de l’Homme en Ethiopie
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