Femmes noires au Brésil : résistance et résilience
Les femmes noires au Brésil sont toujours la catégorie sociale qui a le moins accès aux biens et services sociaux et sont profondément affectées par une exploitation généralisée, la discrimination et l’exclusion sociale. Leur lutte pour une identité noire, saine et politisée continue.
La question des relations entre les races, liées au développement actuel du Brésil, génère une réflexion sur ce que pourrait être le développement s’il y avait une égalité raciale. Dans le cadre de l’axiome d’objectifs globaux d’une plus grande production et d’une accumulation du capital, la priorité est souvent donnée au développement économique sans considération pour le racisme et le sexisme, entre autres inégalités et actes de violence.
Dans les documents fournis comme substrat de la 3ème conférence nationale pour la promotion de l’égalité raciale, en novembre 2003, sur le thème de "démocratie et développement sans racisme, pour un Brésil positif", il y a une réflexion importante (Gomes et al. 2013). Aussi bien dans ces documents comme dans le présent texte, la question est de savoir dans quelle mesure le Brésil se développe-t-il réellement, dans quelle mesure croit-il ? Afin d’évaluer cela, il est nécessaire d’analyser le développement économique pour savoir s’il a été accompagné d’une croissance identique dans les domaines de l’instruction, de la santé, de la culture, entre autres, et aussi par des changements dans les relations sociales et des valeurs impliquant la justice sociale.
L’histoire et le contexte actuel de la population noire du Brésil, en particulier les femmes noires, fournissent un cadre dans lequel il est impossible de parler de mouvement ample et équitable. Depuis l’arrivée d’immenses contingents d’esclaves africains (des hommes et des femmes), le progrès de la croissance économique et de la domination politique s’est maintenu grâce au dommage social subi par la classe qui a le moins accès aux biens et services sociaux, classe affectée par l’exploitation, la discrimination et l’exclusion sociale. Depuis le début de la colonisation, le Brésil, au cours des siècles, est devenu le pays qu’il est aujourd’hui, avec une population noire majoritaire, la plus importante des pays de la diaspora. Lorsqu’il est comparé aux pays africains, il vient deuxième, juste après le Nigeria, du point de vue du nombre de sa population noire (Davis, 2000 ; Theodoro, 2008)
Ces populations noires sont arrivées comme des otages, réduites en esclavage, contraintes aux travaux pénibles à force de privation et de violence, sans avoir le droit de garder leur famille, leur religion, tradition, culture et même leur nom et ont été dépossédées de terre, de biens matériels et même de leur propre corps. Cette situation a perduré presque quatre siècles, en plus du siècle de l’abolition de l’esclavage au cours duquel peu ou pas d’efforts ont été faits pour favoriser l’intégration sociale, l’équité, l’accès au droit et à la citoyenneté, à des réparations ou à l’égalité raciale. Depuis l’abolition, sans justice sociale et sans changement dans les mentalités dominantes imprégnées d’idéologie raciste, les inégalités demeurent avec des différences sociales éclatantes.
Les recherches menées par Jaccoud (2009), Lopes (2005), Lopes, Goulart et Tannus (2007), Santos (2012), Santos et al (2010) Venturi (2012) et Werneck (2006) présentent des données qui confirment cette affirmation et présentent le tableau suivant :
- Du point de vue émotionnel, ils trouvent une violence sociale additionnée de marginalisation, de préjugés et de discrimination entraînant des dommages allant d’une mauvaise estime de soi aux désordres psychologiques.
- Sur un plan économique, une paupérisation sévère avec peu de possibilité d’inverser la situation.
- D’un point de vue culturel, l’annihilation d’un héritage merveilleusement riche.
- Du point de vue de la santé en général, ils sont soumis à de sévères déterminants de morbidité et de mortalité.
- Les institutions publiques et privées omettent d’appliquer le droit et la discrimination est constante.
- Dans le domaine de l’instruction ils sont confrontés à l’épistémologie eurocentrique et à des accès de niveaux d’apprentissage différents.
- Sur le plan du travail et du revenu, les inégalités d’accès à l’emploi, aux qualifications professionnelles, de promotion et de rémunération et au plan de la citoyenneté la vulnérabilité individuelle, sociale et institutionnelle, le manque d’autonomie et d’accès aux droits.
Du point de vue du genre, il s’avère que le contexte brésilien rend les femmes noires vulnérables en raison de la conjugaison du racisme avec le sexisme. Giacomini (1988) raconte comment les iniquités remontent à l’époque de l’esclavage, de la violence sexuelle à répétition et de la perte du droit de choisir ses partenaires en raison de l’imposition de l’esclavage ou d’une moindre valeur sociale face à la forme esthétique favorisant les femmes blanches. Les stéréotypes qui prévalent encore, de femmes super érotisée et d’objet sexuel, mettent en péril la reconnaissance professionnelle, une relation attentive et une bonne estime de soi.
Les données montrent aussi que l’inégalité raciale s’ajoute à l’inégalité du genre. Schumacher et Vital Brasil (2007) montrent que dans la hiérarchie du pouvoir dans la société brésilienne, les femmes noires sont dans la pire des positions, la plus dommageable : en dessous des hommes noirs qui sont eux-mêmes en dessous des femmes blanches pendant que les hommes blancs occupent les positions les plus privilégiées. Werneck (2010) ajoute que cette même situation est reflétée dans les salaires pour un même type de travail. De plus, selon Carneiro (2011) les conditions de travail des femmes noires sont imprégnées d’une plus grande vulnérabilité et d’une instabilité et le degré de subordination reflète la combinaison du racisme et du sexisme que l’auteur décrit comme racisme patriarcal.
En matière de santé, selon Lopes (2005) les femmes noires sont plus souvent affectées par des grossesses alors qu’adolescentes que les femmes blanches. Martins (2006) explique la mortalité maternelle chez les femmes noires comme étant liée au genre d’oppression mentionnée plus haut, en faisant ainsi un problème de santé publique. Le risque de mort lors de l’accouchement ou au cours du post-partum est 7,4 plus élevé pour les femmes noires que pour les femmes blanches.
La différence de traitement dans l’accès aux services de santé est en soi une expression de racisme institutionnel, et une des causes de la plus grande incidence dans les cas de maladies sexuellement transmissibles et du sida parmi les femmes noires, les exposant ainsi à une mort inévitable et précoce. Oliveira et Brito (2011) exposent d’autres questions de santé, reconnues par l’Oms, comme les maladies cardiaques, gastriques, musculaires, les migraines, le manque de planning familial, les difficultés autour de la naissance, des maladies psychosomatiques et sexuellement transmissibles.
Le contexte social et historique décrit et le dommage qui en résulte constituent le tableau du racisme de la société brésilienne et son impact sur les hommes et les femmes noirs. Les effets psychosociaux du racisme sont compris comme étant les effets liés au contexte plus large de problèmes interpersonnels, internes à la personne, mais aussi sociaux et institutionnels. Ainsi, on peut affirmer que le racisme interfère dans la dynamique psychologique des individus, dans les relations interpersonnelles, dans la famille ainsi que dans la vie émotionnelle, sociale et professionnelle et dans les interactions avec des institutions et leurs services. Ces genres de dommages potentiels causés par le racisme à ces différents niveaux constituent le tableau de la vulnérabilité individuelle, sociale et institutionnelle tel que conceptualisé par Ayres, Paiva e França Jr (2012) et complété par Santos (2012) et Lopes (2005)
L’analyse de Costa (1986), Souza (1990) et Fanon (2008) montre qu’il est possible de penser que les effets psychologiques du racisme se matérialisent en des conséquences néfastes pour le corps, l’esprit et l’identité. Affecté par le racisme, l’idéal qui consiste à rêver de devenir blanc commence à figurer dans l’imaginaire social, perturbant ainsi la formation d’une identité noire et blanche. La prise de conscience raciale et la revalorisation de la négritude sont autant de façon de renverser cette distorsion de l’identité.
La place réservée à la femme noire dans la société brésilienne implique le rejet de son caractère et peut conduire à d’intenses difficultés pour un bien-être psychologique et même, dans les cas extrêmes, de non acceptation de soi, d’une mauvaise estime de soi, de difficultés dans la formation identitaire, de dépression et autres désordres psychiatriques. (Santos 2004)
Hooks (2006) est un autre auteur parlant des effets psychosociaux. Il considère les difficultés que la femme noire peut avoir dans l’expression des émotions comme pouvant miner ses relations émotionnelles et familiales et mettant en péril sa capacité d’aimer. Blessées au cœur par le racisme, les femmes noires doivent résister afin de pouvoir aimer.
En dépit du racisme préjudiciable pour la population noire qui a prévalu pendant des siècles et du sexisme qui a aggravé le préjudice cause aux femmes, le Brésil a été le témoin de différentes formes de résistance de la part, par exemple, de groupes organisés qui ont préservé leur culture et leur religion, qui ont acheté la liberté d’autres hommes et femmes et ont lutté pour surmonter les énormes difficultés auxquelles ils étaient confrontés. Selon Nascimento (2008), les femmes noires peuvent être associées aux soins de la famille, au maintien des groupes, gardiennes de la religion et de l’organisation de groupes pour la libération de leur peuple.
Werneck (2006) confirme cette caractéristique de résistance qui accompagne les femmes noires tout au long de l’histoire, avec des mentions de résistance et de résilience. "La femme noire se structurera pour être une personne qui prend ses responsabilités pour maintenir l’unité familiale et la cohésion du groupe et pour la préservation de la culture et des traditions religieuses face à la nouvelle réalité de l’oppression économique qui a suivi l’abolition et la discrimination raciale ayant cours dans la société brésilienne." (Lopes, 2008. pp 104)
Le mouvement féministe noire rallie les femmes noires et les groupes organisés avec pour objectif l’égalité raciale et des genres, prenant la responsabilité de la résistance face à la souffrance imposée et aux compromis. Dans leur quête d’égalité et d’autonomie dans la société, bien qu’elles soient affectées par la violence et l’intolérance, et malgré leur vulnérabilité, elles prennent des positions de résistance en exigeant de meilleures conditions afin qu’elles puissent relever le défi du sexisme et du racisme. (Oliveira e Brito 2011)
En même temps que des actes de résistances et en dépit des effets psychologiques du racisme, elles progressent dans la résilience.
Avant que de discuter la nature spécifique de la résilience des femmes noires, il est utile d’avoir une définition générale du terme : "La résilience est un processus de réorganisation, de recadrage, qui surmonte et transcende dans un contexte potentiellement destructeur. Elle donne accès à des ressources individuelles et collectives comme la confiance en soi, l’optimisme, la bonne humeur, le contrôle de soi, la flexibilité, la persévérance, de bonnes relations sociales et familiales, une bonne analyse des situations, la créativité, l’affiliation, le soutien social et institutionnel, l’autonomie et le sens de la vie". (Prestes, 2013 pp 63)
Ce concept a été présenté par l’auteur dans sa recherche sur la résilience des femmes noires.
Considérant la transcendance et l’autonomie face à l’oppression du racisme et du sexisme comme expression de la résilience des femmes noires, l’affirmation de Fanon (2008) est utile. Il défend qu’il est nécessaire de passer par un processus de prise de conscience et qu’il faut surmonter, non seulement les blessures mais aussi l’attachement à un passé douloureux pour atteindre la liberté qui permet d’être au diapason du présent, la réalité sociale et l’engagement envers soi-même et ses proches, menant des actions pour soi-même en direction de l’égalité et de la fin de l’oppression. A partir de cette formulation, il est possible de penser la résilience de façon plus large, liée non seulement à la santé individuelle mais aussi à l’engagement social.
Dans sa publication, Ungar (2006 ; 2008) aborde le processus de résilience mais en mettant toujours l’accent sur la médiation de la culture. Omar et ses collaborateurs (2010) vont dans le sens des études de Utsey sur la résilience et met aussi l’accent sur le collectif, le contexte culturel et les expériences réussies, tous menant à de plus grandes probabilités d’un nouveau processus de résilience. Ces auteurs mettent l’accent sur l’importance de l’appartenance raciale, une estime de soi positive et la confiance en la puissance de la résilience.
Baldwin et al (2011), Brown (2011) et Teti et al (2012), des chercheurs sur la résilience chez les Noirs, affirment que le prise de pouvoir a une pertinence significative qui provient de l’optimisme, de la socialisation raciale, de la confiance en soi et de l’enracinement dans la race. Les réflexions d’Ephraïm Junior (2013) sont aussi utiles à cet égard. Il tire son expérience de la guerre au Mozambique où il a eu à surmonter le traumatisme de la guerre. Il aborde la question des contributions de la psychothérapie et du travail psychosocial pour l’explication du traumatisme psychique, mettant l’accent sur l’importance qu’il y a à rétablir des liens avec la famille et la communauté ainsi que l’administration de thérapies traditionnelles et autres stratégies pour restaurer la capacité d’aimer et d’établir des relations.
Dans le cas du Brésil, on peut se référer à deux études qui, bien qu’aucune ne soit précisément dans le domaine de la psychologie (l’une concerne l’éducation et l’autre le travail social), abordent le thème de la résilience chez les femmes noires.
Martins (2013) cherche à identifier les éléments qui peuvent améliorer la résilience chez les femmes qui ont eu une bonne instruction. Elle mesure des compétences comme l’analyse contextuelle, la confiance en soi, le contrôle de soi, le fait d’attirer et garder des sympathies, l’empathie, la compréhension du langage corporel, l’optimisme et le sens de la vie.
La recherche conduite par Carvalho (2008) mesure la résilience et le pouvoir et suggère un terme : autonomie pour surmonter et émanciper. Elle affirme que pour surmonter, la femme noire dépend d’un soutien important des membres de sa famille et d’autres personnes significatives
En plus des recherches susmentionnées, il y a la contribution théorique des co-auteurs Gimarães et Podkameni qui abordent la question de la psychologie et des relations entre les races, discutant des effets du racisme sur le développement mental et psychosocial, aussi bien individuel que familial. Ils proposent des moyens de contrer les effets de la discrimination subie, du recadrage de la négritude à la réparation psychologiques des conséquences du racisme, une stratégie connue sous le nom de réseau de soutien collectif qui provient des ressources individuelles (élaboré au cours du développement psychoaffectif, dans le cadre de la famille et de la transmission psychique) aux ressources sociales (soutien, acceptation, sécurité, entre autres), en passant par les ressources institutionnelles (instruction, santé et culture par exemple). Il s’en suit que les hommes et les femmes noirs ont la possibilité de recouvrer la confiance et de mener un processus de résilience en réaction aux effets psychosociaux du racisme.
"Se connaître en tant que femme noire, c’est vivre son identité massacrée, être confuse dans ses vues, s’être soumise à des exigences et contrainte de se conformer à des attentes étrangères. Mais c’est aussi et surtout l’expérience de son engagement à revendiquer ce l’on est et recréer son potentiel" (Souza, 1990,p.17)
Pour terminer en compagnie de Souza, on peut conclure que l’enracinement et la connaissance de sa propre histoire sont des éléments nécessaires aux femmes noires brésiliennes pour prendre conscience de la race faite d’une saine identité politisée, une estime de soi positive et d’autres ingrédients, qui face aux effets psychosociaux du racisme, mène à la prise de pouvoir et la résilience.
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** Clélia R. S. Preste – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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