Après le Grand Débat sur le Gouvernement de l’Union

Des raisons d’être optimistes

Les Etats-Unis d’Afrique ! Cela a déjà fait rêver il y a plus d’un siècle. Marcus Garvey, William E.B. Dubois, etc., ils ont été nombreux dans la diaspora africaine à nourrir ce rêve de l’Etat-continent. Le rêve a aussi habité les pères des indépendances africaines, quand le Pan Africanisme renaissait à travers les Kwame N’Krumah, Gamal Abdel Nasser, et learders de l’époque. Pour une bonne frange des filles et fils d’Afrique vivant sur le continent et dans la diaspora, il est temps de passer d’un rêve longtemps entretenu à la réalité. L’Afrique ne peut plus se payer le luxe d’attendre ! On a perdu trop de temps, on a trop tergiversé.

L’unification de l’Afrique doit se faire ici et maintenant ! Ces déclamations ont encore une fois retenti à l’occasion du 9e Sommet de chefs d’Etat de l’Union africaine, dont le Gouvernement continental était le principal sujet de débat. Mais l’unanimité est loin de se faire sur la question. Une utopie pour certains. Un réalisme sociologique, économique et politique pour d’autres !

Du Gouvernement de l’Union aux Etats-Unis d’Afrique : en théorie...

Tel que libellé dans le projet de document de l’Union Africaine intitulé « Etude sur un Gouvernement de l’Union Africaine : vers les Etats-Unis d’Afrique », le Gouvernement de l’Union, en tant que processus politique en vue de la création des Etats-Unis d’Afrique, «comprendrait un Conférence plus concentrée, et un Conseil Exécutif soutenu efficacement par un Comité de Représentants Permanents, et, en cas de besoin, par des Comités Techniques Spécialisés orientés vers l’obtention de résultats. De plus, le Gouvernement de l’Union disposera d’une Commission jouissant d’un pouvoir exécutif sur les questions déléguées totalement ou partiellement par les membres de l’Union. Enfin, il sera soutenu par des systèmes parlementaire et judiciaire plus efficaces, ainsi que des institutions financières continentales efficientes, et par un cadre approprié pour la participation des acteurs non étatiques».

L’étude identifie seize domaines d’intervention stratégiques du Gouvernement : l’intégration continentale : l’éducation, la formation, le développement des compétences , les sciences et la technologie ; l’énergie, l’environnement ; les relations extérieures ; l’alimentation, l’agriculture et les ressources hydrauliques ; le genre et la jeunesse ; la gouvernance et les droits de l’homme ; la santé ; l’industrie et les ressources minérales ; la monnaie et les finances ; les affaires sociales et la solidarité ; le sport et la culture ; le commerce, l’union douanière, la libre circulation des personnes, les droits de résidence et d’établissement ; l’infrastructure, les nouvelles technologies de l’information et de la communication et la biotechnologie.

Sur le plan économique, il est prévu la promotion de politiques en vue de l’intégration monétaire. L’harmonisation des politiques macroéconomiques est cependant un préalable à cette étape. Un autre volet de l’intégration économique sera la création des Institutions Financières Africaines : il s’agit d’abord de la Banque Centrale Africaine (BCA) qui aura initialement une fonction limitée de supervision des banques centrales nationales et régionales. Cela, pour une période de 7 à 10 ans. L’objectif reste cependant, dès qu’un marché commun aura été créé et que la mobilité monétaire sera pleinement réalisée, de transformer le BCA en une banque centrale en bonne et due forme, chargée des autres fonctions de banque centrale, y compris l’émission de la monnaie. La monnaie unique africaine devrait alors être appelée AFRIC.

Parallèlement à la BCA, la création du Fonds Monétaire Africain est prévue : «sa fonction principale sera de coordonner les paiements et règlements des échanges commerciaux entre les banques centrales nationales et / ou multinationales». Enfin, une Banque Africaine d’Investissement complètera l’arsenal institutionnel sur les plans financier et monétaire. Son but principal sera de satisfaire les besoins inhérents au processus d’intégration économique de l’Afrique.

L’étude a aussi esquissé une feuille de route provisoire du Gouvernement de l’Union qui se subdivise en trois phases d’égale durée. Il est précisé que «la phase initiale sera consacrée à la mise en place du Gouvernement de l’Union (c’est-à-dire les étapes du processus nécessaires pour que le Gouvernement de l’Union puisse fonctionner immédiatement). La seconde phase se consacrera à rendre pleinement opérationnel le Gouvernement de l’Union entièrement dans toutes ses composantes, et à la mise en place des fondements constitutionnels des Etats-Unis d’Afrique. La troisième et dernière phase visera à mettre en place tous les attributs nécessaires des Etats-Unis d’Afrique au niveau national, régional et continental».

Chacune de ces phases nécessite une durée de trois ans à partir de 2006, date à laquelle l’étude a été réalisée. Celles-ci se déclinent ainsi : -2006-2009 : mise en place du Gouvernement de l’Union -2009-2012 : consolidation du Gouvernement de l’Union -2012-2015 : mise en place des Etats-Unis d’Afrique

Au cours de ces étapes, des actions spécifiques doivent être menées aux niveaux national, régional et continental pour adapter les cadres politique, social, économique et juridique, entres autres. La marche vers l’unification complète devrait donc se faire en trois étapes, dont le point culminant en 2015 consacrera l’édification des Etats-Unis d’Afrique avec des institutions entièrement fonctionnelles, surtout celles financières.

D’après ce document, les Etats-Unis d’Afrique doivent être fondés sur les valeurs partagées et intérêts communs des Etats (voire des peuples) d’Afrique. Ses principes moraux, ou plutôt ses bases de fonctionnement, seront l’adhésion à l’état de droit, la participation populaire à la gouvernance, le respect des droits humains et des libertés fondamentales et la transparence en matière de politique publique.

Deux camps : deux conceptions de l’Afrique ?

Une bonne frange de la société civile africaine qui a sonné le ralliement à l’occasion du 9e Sommet de l’Union africaine à Accra, s’est appesantie sur cette étude aux prémisses plutôt optimistes. Si une quasi unanimité s’est dégagée quant à la question centrale qui est ‘l’impérative nécessité d’aller vers un gouvernement central africain’, il reste que les avis des experts divergent quant au timing et aux contours que revêtirait ce gouvernement. Deux écoles de pensées s’opposent : les partisans du ‘slow track’ et ceux du ‘fast track’.

Pour les premiers, qui prônent le ‘gradualisme’ (oui pour l’unification de l’Afrique, mais il faut y aller étape par étape), Il s’agit de renforcer les mécanismes existants de l’Union Africaine ainsi que les commissions économiques régionales. Au niveau étatique, les pays de l’Afrique australe sont massivement logés dans ce camp dont le chef de file n’est autre que le Président Sud Africain Thabo Mbéki. Il a réuni autour de lui un bloc assez déterminé à faire ‘capoter’ l’élan ‘expansionniste’ d’un Khadafi. Il est aidé en cela par toux ceux qui prônent le renforcement des communautés économiques régionales d’abord et d’en faire le socle de l’intégration continentale.

Pour les seconds, l’unification de l’Afrique devait se faire ici et maintenant : autrement dit, au sortir du sommet d’Accra, les chefs d’Etat Africains devaient s’accorder sur la décision historique de mettre sur pied les Etats-Unis d’Afrique. Pour ceux la non efficacité de l’Union Africaine et des autres institutions parallèles démontrent qu’il faut un outil plus efficient, doté de plus de pouvoirs et de moyens, et qui fera parler l’Afrique d’une seule voix.

Le président la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, s’inscrit dans la mouvance des Etats qui veulent la création d’un gouvernement de l’Union. Les deux plus grands défenseurs de cette position sont le Guide de la Jamahariya Libyenne, le Colonel Momar Khadafi et le président Sénégalais, Abdoulaye Wade. Ces derniers «défendent le primat de la politique sur l’économie et estiment que la création des Communautés économiques régionale n’a pas permis d’atteindre les objectifs fixés en matière de liberté de circulation des biens et des personnes, de développement des échanges entre les pays africains et d’harmonisation des politiques commerciales, douanières et autres». Cette dernière tendance est de loin la plus populaire parmi les organisations de la société civile africaine.

D’aucuns évoquent la possibilité de mener une démarche plurielle tant au niveau du timing que de l’adhésion aux différentes composantes de l’Union par les Etats. Anticipant sur le fait que tous les Africains et tous les pays ne peuvent pas être au même niveau de préparation, ils estiment qu’il est possible qu’un petit noyau de pays démarre le projet des Etats-Unis d’Afrique et que les autres prennent le train en marche au fur et à mesure.

Ils donnent ainsi comme illustration le fait que tous les Sud-Africains n’étaient pas d’accord pour la fin de l’apartheid. A-t-on pour autant estimé qu’il fallait attendre qu’il y ait un accord accepté à l’unanimité par tout le pays ? A un moment de l’histoire de tout peuple, il y a un besoin de visionnaires, affirment-ils avec force.

Dans cette optique, le ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Cheikh Tidiane Gadio, confiait dans une interview, en marge du Sommet à Accra qu’ «il faudra bien arriver à une situation de compromis pour garder la volonté d’unité continentale. On peut mettre en place un mécanisme pour continuer le débat, mais ceux qui sont prêts à signer tout de suite et qui ont déjà leur plume trempée, qu’on leur permette de signer un Acte constitutif d’un Etat fédéral ou d’un gouvernement d’union et que par l’exemple, ils montrent la valeur ajoutée sur le terrain et par la pratique».

Certaines voix se sont inquiétées du fait que la plupart des Etats ne semblent pas prêts à renoncer à certaines prérogatives nationales. Les notions de souveraineté et de sécurité étatique ont presque spolié toute tentative d’intégration régionale. L’affirmation du président sénégalais Abdoulaye Wade, selon laquelle les ministères qui seront créés «ne suppriment les ministres des Etats, ils apportent un plus», désireux de rassurer les sceptiques, ne semble pas assez convaincante vu l’intransigeance du camp des ‘pessimistes’. Par ailleurs, il semble manifeste que le principal obstacle qui jalonne le chemin de l’intégration est celui du manque de volonté politique de la part des Etats et des leaders africains. Les bilans en demi-teinte du Nouveau Partenariat pour le Développement Economique de l’Afrique (Nepad) et du Mécanisme Africain d’Evaluation par les pairs (Maerp) sont assez illustrateurs de ce fait.

Des thèmes aussi cruciaux que ceux des modalités de financement du futur gouvernement de l’Union et de ses structures, ainsi l’effectivité et l’efficacité réelles de ces derniers, ont aussi été évoqués lors des nombreuses rencontres lors de ce pré-sommet.

Les acteurs de la société civile africaine ont diagnostiqué les différents maux qui ont émaillé le fonctionnement des institutions existantes. Fondamentalement, estiment-ils, si on en est toujours à ce stade, c’est parce que jusqu’à présent ce projet d’intégration et les débats y afférant ont été menés sous la coupole des Etats et du politique. Raison pour laquelle on a assiste à la mobilisation des organisations de la société civile africaine, prônant une implication des populations à la base. Impliquer les populations africaines à tous les stades par le biais de larges consultations est le seul garant de la réunification de l’Afrique qui doit être avant tout une intégration sociale, et après seulement politique et économique.

Entre autres avancées à réaliser, il s’agit de faire du Parlement Africain un corps législatif qui vote des lois valables à l’échelle continentale et qui veille à leur pleine application. Pour ce, il faut que les modalités même de constitution de ce Parlement soient revues afin que le mode de désignation des membres se fasse désormais au suffrage universel direct. Ainsi, ils demandent aux chefs d’Etats et de Gouvernements d’initier et d’assurer une pleine implication de leurs populations à des débats publics sur les modalités légales, financières, politiques de réaliser de larges élections continentales à partir de 2009.

La société civile africaine a aussi insisté sur la nécessité d’impliquer des segments des sociétés africaines comme le corps éducatif (enseignement du panafricanisme et des autres cultures et pays africains dans les établissements scolaires, recherche et dissémination de publications sur réalités africaines dans différents pays du continent, etc.), les organisations religieuses, etc. Une stratégie média appropriée sera cruciale pour accélérer l’intégration africaine

Par ailleurs, la société civile, au cours de ces assises, a estimé que la diaspora doit jouer un rôle stratégique dans le Grand débat sur la marche vers une Union des Etats Africains et la réalisation effective de ce projet. La principale recommandation étant de faire de la diaspora la « 6ème région de l’Afrique », du moins politiquement. Cela voudra dire que des représentants de la diaspora doivent dès à présent siéger dans les institutions de l’Union Africaine et dans le futur Gouvernement de l’Union. Parallèlement, déjà au niveau de l’Union Africaine, il doit y avoir une personne qui s’occupe exclusivement des besoins de la diaspora, avec un Département diaspora –par exemple un commissaire pour la diaspora.

Pour la création des Etats-Unis d’Afrique, d’aucuns insistent sur la nécessité d’assurer au niveau du continent certains préalables tels : «opérationnaliser la clause des sanctions de l’Union Africaine, rendre le processus du Nepad obligatoire, résoudre le problème de la dépendance extérieure du continent».

L’espoir est-il permis ?

Malgré toute cette bonne volonté, les Chefs d’Etats ont parlé un autre langage. Les partisans de la formation immédiate du Gouvernement de l’Union n’ont pas réussi à convaincre le camp adverse. Le ‘fantôme’ de Nkrumah, selon l’expression de Tajudeen Abdul Raheem, qui continue fortement de les hanter, ne semble pas, encore une fois, avoir assez pesé sur leurs consciences au point de les amener à prendre la Grande décision. Celle de mettre fin aux tergiversations et d’amorcer la première étape vers la création des Etats-Unis d’Afrique.

A l’issue de trois jours de ballets diplomatiques et de longues délibérations, la Déclaration d’Accra a été douloureusement « couchée » dans la nuit du mardi 2 au mercredi 3 juillet. La conclusion est pour le moins un aveu d’échec car les Chefs d’états préconisent de constituer une commission ministérielle chargée de mener une réflexion approfondie sur la création du Gouvernement de l’Union.

Au sortir du sommet d’Accra, certains analystes n’hésitent pas à carrément estampiller le sceau « ECHEC » sur ces interminables huis-clos. D’autres estiment que «les Chefs de l’Etat ont pédalé dans le néant». Le temps de la réflexion continue : fuite en avant ou prudence réaliste ? John Kuffor, hôte de la rencontre et en bon arbitre (même si il était plutôt logé dans le clan des sceptiques) rassure qu’il n’y a ni ‘gagnants’ ni ‘perdants’.

Le président Abdoulaye Wade, fort remonté contre les ‘gradualistes’, assène : «le premier camp dit qu'il faut y aller étape par étape. Mais ce sont des arguments fallacieux, parce que l'intégration politique peut aider l'intégration économique». Il révèle que son camp a même consenti beaucoup de concessions : «nous avons proposé une solution transitoire qui intègre tous les domaines, nous avons proposé que chaque pays conserve son ministère des Affaires étrangères». Et de constater qu’«il n’y a pas de salut pour l'Afrique en dehors de son unité politique», d’autant plus que «la rationalité économique nous impose à avoir un seul marché».

Le projet fédéral africain reste donc dans les limbes. Etats-Unis d’Afrique ou Union des Gouvernements d’Afrique ? ’appellation la plus appropriée reste aussi à trouver. En attendant, il faudra d’abord s’accorder sur le contenu et la forme d’une telle entité. Les optimistes qui ont déferlé sur Accra et se sont époumonés à longueur de débats par-ci, de table-ronde par là, vous diront que l’acquis majeur reste qu’on ne se pose plus la question de savoir s’il faut le faire ou non, mais COMMENT s’unir ! Mieux, il ne s’agit même pas de débattre sur le fait de savoir s’il faut aller lentement ou vite, mais de choisir entre ‘‘aller vite’’ et ‘‘aller plus vite’’ !

* Hawa Ba est la rédactrice en Chef de l'édition française de Pambazuka News.

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