Comment défendre les Réparations

Les revendications de 777 trillions de dollars américains de réparations pour l’esclavage telles que formulées par une commission de vérité de 1999 sur les Réparations du Monde Africain à Accra sont-elles réalistes ? Par où peut-on commencer à imaginer les revendications pour réparations dans un contexte historique et social plus large lorsqu’il s’agit de siècles d’exploitation ?
M.P. Giyose de Jubilee South Africa présente le dossier qui fait comprendre les réparations en tant qu’une transformation des modes de fonctionnement du monde, servant en définitive au rétablissement et au maintien de la civilisation humaine.

Lorsqu’une armée romaine victorieuse rentrait de ses conquêtes, tant avant qu’après l’époque républicaine, elle entrait dans la cité de Rome dans une marche de triomphe. Bien entendu, le triomphe était accompagné de toutes sortes de dépouilles qui retournaient en tant que butin de guerre. Certains des meilleurs trésors saisis de force chez les peuples vaincus rentraient dans la trésorerie romaine en tant que partie des gains matériels de la guerre. Les armées impériales de conquête de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne aux 18ème et 19ème siècles ont suivi la vieille tradition romaine. Ce genre de « recettes » doit être distingué clairement de ce que nous appelons réparations dans la présente discussion.

Au 19ème siècle, les faiseurs de guerre européens avaient déjà depuis longtemps développé la coutume de taxe de réparations. Une nation défaite en guerre était une nation à punir doublement. Au stade de la signature d’un Traité de Paix ayant pour objectif de mettre fin à la guerre, la nation vaincue recevait une énorme facture ou taxe qu’elle devait payer à la partie victorieuse, non pas en tant qu’une façon de rendre hommage mais plutôt en tant que compensation des « pertes » ou « des dépenses de la guerre » encourues par la nation victorieuse au cours de la conduite de la guerre en question. Avec cette taxe, les vainqueurs étaient supposés réparer n’importe quels dégâts ils avaient subis pendant la guerre. Bien entendu, ceci était une mesure purement punitive, oppressive à tous les égards. Comme résultat, les nations défaites ont toujours compris ceci comme une forme de vengeance.

Nous devons rejeter en bloc toute connexion entre ce que nous évoquons dans la présente discussion avec ce genre de tradition. Le parallélisme le plus proche que nous pouvons adjoindre à la notion de réparations est celui des dommages tel qu’il est défini dans les différentes branches de la loi. Exprimé succinctement sous un aspect juridique pratique, le but des dommages est de rétablir la partie offensée dans la position où elle se trouverait si elle n’avait pas encouru de pertes. Et au moment où ceci est possible juridiquement dans la pratique, et où les mesures peuvent se rapprocher de l’exactitude scientifique, le processus semblable est beaucoup plus complexe dans le domaine de l’économie politique.

Les dégâts perpétrés à travers l’histoire sont hautement rapaces au niveau de leur commission. Ils s’accompagnent de grandes pertes de vies de même que des dégâts matériels incalculables. Ils portent également une tradition historique qui fait reculer une nation de plusieurs années en arrière. Si nous comprenons les réparations comme étant un grand genre, nous devons aussi accepter qu’elles ont un certain nombre d’espèces. Il est difficile, au niveau du résultat, de définir les réparations tant en termes de ses caractéristiques générales que ses spécificités. Et le problème est créé tant par le contenu historique que le contenu social dans l’ensemble du processus.

Nous devons ainsi nous contenter d’une indication purement descriptive des réparations et procéder à notre analyse tant en termes généraux qu’en termes spécifiques. En définitive, l’objectif ici sera de tracer un avenir économique pour les pays du Sud, en termes d’un modèle économique mondial qui est conçu pour devancer la redoutable histoire des conquêtes, du pillage économique et du pillage financier.

Réparations Mondiales

Sont-Elles Possibles ? Commençons par présenter la totalité du processus historique et social à partir duquel les réparations sont en train d’être déterminées actuellement. D’un point de vue purement européen, le capitalisme commence d’abord à relaxer ses muscles durant les croisades, préservant de la sorte un passage d’échanges de biens à travers l’Asie Mineure vers le sous-continent indien et la Chine. Ceci fut renforcé plus tard lors du passage autour du continent africain.

Simultanément, d’autres tentacules se répandent loin et largement jusque dans l’Atlantique et les Caraïbes, et, plus tard, sur les Iles du Pacifique. Les anciens Etats-Cités italiennes de Venise, Florence, Genoa, etc., furent ainsi capables de faire une transition rapide à travers la féodalité vers une base capitaliste. Le commerce des esclaves est l’un des facteurs de renforcement qui ont intégré une économie africaine, qui était en même temps en train d’être retardée conjointement avec les Iles caraïbes et les Amériques. La route était dès lors ouverte pour un transfert de richesses et de pouvoir des banquiers de la péninsule méditerranéenne et ibérienne vers une assurance de pouvoir économique par les classes marchandes en Angleterre, en Hollande et en France.

Deuxièmement, à ce moment-là, la question de conquête étrangère avec le brigandage écologique concomitant était une question tranchée. Troisièmement, dès assez auparavant, les acquisitions étrangères du 20ème siècle ont pris une coloration financière et industrielle. Et ce fut une perfection de ce processus qui porta les choses à un stade plus avancé vers la fin du 20ème siècle. L’âge de la mondialisation fut un âge de subjugation, strictement et purement à travers le pouvoir et l’argent.

Chacune de ces quatre étapes du développement capitalistes a assassiné non pas juste les libertés des autres nations ; il devint crucial dans l’expropriation de leur richesse. A chaque étape, les liens d’asservissement ont revêtu une variété de moyens, à savoir : l’écologie, le travail, le commerce, la dette, l’investissement. A travers cette histoire, le véritable endettement des sociétés du Nord s’est tenu en proportion directe avec les changements dans ces moyens. La question que nous devons poser à ce stade est –comment le Nord peut-il assumer le règlement d’une dette si monumentale envers les sociétés du Sud ? Un tel règlement est-il pratique ?

La question doit être posée en tout cas sans tenir compte des mensonges et des promesses délibérées données en contrepartie par de telles classes dirigeantes que celles aux USA, lorsqu’elles ont prétendu des programmes de restauration de promotion aux esclaves qu’ils ont pris suite à l’économie de plantation du Sud. Est-ce que le Nord peut vraiment élaborer un programme de réparations pour le Sud dans l’économie en émergence à notre époque ?

Illustrons ces questions en donnant deux exemples de revendications formulées par des groupes représentatifs des gens ressortissant du Sud Economique du monde. En 1999, une commission de vérité devant délibérer sous l’égide d’African World Reparations à Accra a fait une demande de compensation de la part des nations du Nord pour le commerce des esclaves, compensation correspondant au montant de US $ 777 trillions devant être payée en 5 ans.

Les questions immédiates qui se posent sont les suivantes : Qui est exactement visé par cette facture ? Quelles sont les spécificités directes du délit ? Envers qui les débiteurs sont-ils responsables ? Le processus de ces types de réparations a-t-il pu établir le nombre réel d’esclaves qui furent extraits hors de l’Afrique ; le nombre réel de ceux qui sont morts pendant le parcours; le nombre réel de ceux qui ont atterri en Amérique ; les sociétés réelles d’où les esclaves ont été tirés de l’Afrique ? Ces nombres consistent-ils en cent millions, ou dix millions, ou un autre nombre entre les deux ? A-t-on procédé à déterminer les pertes exactes en heures de travail des nations ou des groupes particuliers de nations en Afrique ? Ou, le quantum de cette revendication est-il un tir dans l’obscurité ?

Ces problèmes sont indiqués de manière assez articulée dans le deuxième exemple à citer. Dans un document remarquable soumis devant les nations qui avaient « découvert » une découverte qui avait été faite 40.000 ans auparavant, The Native American Chief Guaicaipuro Cuautemoc fait une déposition qui est pleine de mépris, de sarcasme, d’esprit et d’intelligence. Au plus chaud de l’exposé, il déclare : « Sur cette base, et en appliquant la formule européenne de l’intérêt composé, nous informons nos « découvreurs » qu’ils ne nous doivent, en tant que premier paiement de la dette, qu’une masse de 185.000 kilos d’or et 16 millions de kilos d’argent, les deux à la puissance de 300. Ceci est égal à un nombre qui demanderait 300 chiffres pour le transcrire sur papier et dont le poids dépasse totalement celui de la planète Terre.

Quelles piles immenses d’or et d’argent! Combien pèseraient-ils si on les calculait en sang ? Ceci est une performance magistrale. Ça se réfère à une petite revendication couvrant une courte période de temps de pillage historique dans une localité particulière en Amérique, c’est-à-dire de 1503 à 1660. Considérées à une échelle mondiale, les revendications des pays du Sud sont littéralement tant astronomiques et immesurables. Sur cette base, il n’est peut-être pas trop difficile de conclure que les sociétés actuelles du Nord ne possèdent pas une capacité, en dépit de leur richesse incroyable, de repayer la dette qu’ils doivent au Sud.

Dans une interprétation punitive des réparations égale à celle des puissances européennes au 19ème siècle, les capacités combinées de toutes les sociétés du Nord ne seraient pas capables de satisfaire un remboursement livre par livre de tout ce qu’ils doivent au Sud. Ceci n’est pas uniquement une mesure des proportions gargantuesques de la dette du Nord ; c’est un indicateur du degré imaginable en consommation extravagantes qui est devenu la part des sociétés du Nord au cours des six cents dernières années. De manière claire, une méthode rationnelle doit être conçue et adoptée afin que les échelles de l’histoire soient repesées d’une façon qui permettrait la survie durable de la civilisation humaine en termes d’obligations admises par tous les côtés dans la société actuelle.

Propositions Pratiques Immédiates

En définitive, la question des réparations est, par conséquent, loin d’être discutable. Ce qui commence à nous préoccuper pour le moment en tant que mesure pratique immédiate, c’est le véhicule dont nous semblons dépendre pour négocier la question des réparations. Etant donné le fait que cette affaire doit être examinée sous l’angle de l’économie du monde entier, il devient clair que cette question ne peut être traitée qu’en termes de solution systémique.

A notre époque, la question de l’une ou l’autre forme de réparations s’est dressée devant les responsables des politiques. Actuellement, l’intellectuel le plus verbeux parmi les tendances nationalistes sur le continent africain est le Président Thabo Mbeki de l’Afrique du Sud. Parlant lors du Forum Economique Mondial à Davos en 2001, Mbeki a dédaigné l’idée – même de projeter la question de développement économique en Afrique sur base d’une quelconque notion de ce genre. Maintenant, la chose clé est qu’il y a un Thabo Mbeki dans chaque battement de cœur de chaque autre leader dans les pays du Sud – sauf une ou deux exceptions.

Comment cette série de personnes peut-elle alors devenir nos agents pour un programme de réparations, quel que soit son caractère ? C’est pourquoi nous devons reculer en vue de l’élaboration de stratégie et de l’exécution des tâches sur cette question sur les mouvements politiques dynamiques opérant tant dans le Sud qu’ailleurs dans le monde.

Certaines fois, le travail de réparations survient en termes de mesures isolées en faveur de la justice restauratrice. Certains de ces derniers pourraient être des luttes pour la survie menées par les peuples des milieux ruraux pour la redistribution des terres. A d’autres moments les conflits pourraient être joints, conflits basés sur certains aspects de la question de la dette. Les exemples importants de ceci sont ceux des luttes au sujet de la dette odieuse.

Celles-ci sont particulièrement pertinentes dans les pays du Sud où les régimes qui créent les dettes pourraient avoir été constituées par des dictatures, ou tout au moins, il pourrait exister une tradition continuelle provenant du viol colonial qui pourrait contraindre les gouvernements démocratiques successeurs à s’enfoncer dans une dette avec des intentions correctives. Et à d’autres moments encore, la justice restauratrice pourrait réussir dans la sphère de l’extension des droits humains dans la loi. Politiquement, il faut appuyer tous ces efforts spécialement s’ils se produisent sur la base d’une position fondamentale dans le cadre des programmes.

En termes de promotion d’un programme systématique de réparations, les idées qui s’offrent cette fois-ci sont basées sur la prémisse des forces intégrantes dans la situation actuelle du monde. Cette situation consiste en trois parties. On nous présente un système politique mondial unique. Celui-ci relève d’un système économique unique qui existe sur la base d’un système écologique unique qu’il devrait, à son tour, alimenter. Les trois parties forment un système politique mondial unique.

Il n’est plus possible pour nous, par conséquent, d’offrir de solutions aux problèmes des nations du Sud, si celles-ci font l’objet de ségrégation et que les solutions ne peuvent être exprimées qu’à travers la division. Un atout cardinal d’un monde intégré consiste à comprendre que séparation et séparée signifie avec « leurs propres » institutions, et ne peut conduire qu’à l’inégalité.

Etant donné ces circonstances, les mesures en faveur des réparations peuvent uniquement être basées sur la construction et le maintien d’une économie d’un seul monde – pas celle de plusieurs morceaux de ce dernier. Des caractéristiques égalitaires au sein de la construction de la nation s’exprimeront réellement au mieux quand elles seront fonctionnelles en conformité avec les autres expressions du même principe sur une échelle mondiale. Nous en arrivons donc à la conclusion que la réorganisation du monde doit se produire sur base de nouvelles fondations sociales ; elles sont devenues la force vitale-même de l’économie, de l’écologie et de la politique.

Conclusion

Les réparations peuvent par conséquent être comprises comme un moyen par lequel la vie sociale dans les nations actuelles telles que nous les connaissons aujourd’hui peut être réformée. De cette manière, elles peuvent être vues comme un agent de la création d’ « une meilleure vie » pour les sections appauvries de l’humanité. Le besoin de réparations de ce genre est le plus urgemment ressenti dans les pays du Sud. Cependant, dans une plus longue perspective de l’histoire humaine, les réparations ne peuvent pas être vues comme purement et simplement des mesures d’amélioration même si elles sont vues en termes de justice restauratrice.

Il y a un système incorporé à l’intérieur de « profits en diminution » dans cette méthode de soutenir les réparations. Dans la perspective plus longue de développement historique, les réparations devraient être vues comme une agence de restauration et de continuité de la civilisation humaine. Et de cette manière, elles ne peuvent pas être purement une question nationale. Elles sont un phénomène international englobant les fortunes combinées de toute l’espèce humaine et de toute la faune et la flore qui poursuit la marche avec nous dans notre domaine naturel.

* M.P Giyose est Président de Jubilee South Africa.

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* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 240.
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