L’Ue contre le développement
Malgré les accords préférentiels, la part de l’Afrique dans le commerce avec l’Union européenne (Ue) est passée de 12% à 4% en 2005, avance Bakari Fofana. Ceci pour dire que les Accords de partenariat économique (Ape) participent à la paupérisation de l’Afrique car ils répondent à la pression des grandes compagnies multinationales. La Guinée en est une parfaite illustration.
Il n’y a pas si longtemps la coopération entre l’Union européenne (Ue) et les pays Afrique, Caraibes, Pacifique (Acp) était vue comme un exemple de relations entre anciennes puissances coloniales et ex-colonies. Les perspectives aidant, il a semblé que l’intégration des nouveaux Etats n’ayant pas de passé colonial allait encore accentuer ce caractère de partenariat réciproque. Il faut déchanter. En effet, l’apparition de l’Organisation mondiale de la santé (Omc), à la suite de la chute du Mur de Berlin, a mis à nu la réalité agressive, unilatérale, dominatrice de l’Ue.
La première traduction a été dans le processus et le contenu des négociations de l’Accord de Cotonou, qui a remplacé les précédents accords de Lomé. Avec plusieurs niveaux.
Campagne médiatique – Il y a eu un chantage d’abord, de 1995 à 2000, dans le discours de l’aide publique au développement. Des phrases telles que «l’Afrique ne veut pas le développement», «la colonisation doit continuer», «le citoyen européen ne peut plus payer» et des slogans éculés comme «la Corrèze avant le Zambèze», etc., ont fleuri. On incrimine la mauvaise conscience des Africains et des leurs dirigeants, etc.
Menaces – Les fonds vont être suspendus, plus de subventions, l’assistance technique arrêtée, des poursuites engagées contre les détournements, etc.
Diplomatiques – Des pays comme la France réduisent leur personnel militaire sur le continent, au moment où la guerre fait rage au Liberia, en Sierra Leone, au Congo, etc. La France abandonne l’Afrique.
Economiques – Les années 1990 constituent un moment de gloire pour la Banque mondiale (Bm) et le Fonds monétaire international (Fmi). Surtout avec la réussite de l’impensable dévaluation du Franc Cfa. Dès lors, la mauvaise conscience s’installe sur le continent. La libéralisation et les privatisations non préparées conduisent à un désordre sociopolitique et économique. Tous les repères sociaux disparaissent avec l’Etat providence.
C’est dans ce contexte de ruine voulue qu’est signé l’Accord de Cotonou, en octobre 2000. Au-delà de l’accord politique, de l’appui au développement avec le Fonds européen de développement (Fed), l’accent est surtout mis sur le futur de la coopération commerciale entre l’Ue et les Acp. Celle-ci prenant la place des accords préférentiels non réciproques de Lomé, histoire d’être en règne avec les principes de l’Omc.
Malgré les accords préférentiels, la part de l’Afrique dans le commerce avec l’Ue est passée de 12% à 4% en 2005. Et dans le commerce mondial, à 20%. Dans le même temps, l’Ue continue de prendre de plus en plus de place comme pôle de ravitaillement essentiel du marché africain. Ainsi l’Afrique finance la production européenne au détriment de la sienne.
Cotonou met l’accent sur une plus grande ouverture aux politiques libérales. Les accords de partenariat économique (Ape) en constituent l’instrument idéal.
Sur les 22 milliards d’exportations africaines en 2006, les produits miniers représentent un peu plus de 60%. Si on y ajoute l’agriculture, on aboutit à 75%. C’est dire que l’Afrique ne produit pas de marchandises. Or le développement passe par la multiplication des capacités endogènes d’offres, ce qui n’est pas le cas en Afrique.
Le montant global des exportations ouest-africaines, y compris le pétrole (un peu plus de 22 milliards) pour les quinze pays, représente à peine 15% de l’enveloppe globale des pays de l’Ocde. Devant une puissance commerciale comme l’Ue, accorder des franchises douanières n’est, ni plus ni moins, que se faire hara-kiri. La souveraineté qui est déterminée par la qualité des tarifs douaniers saute ipso facto.
A regarder de près, on constate que l’Ue ne respecte pas l’accord de Cotonou depuis sa mise en œuvre en 2000. Ou le fait quand il l’arrange. En 2002, alors que Cotonou n’a pas encore été ratifié par l’ensemble des pays européens, l’Ue décide de suspendre sa coopération avec la Guinée en se prévalant de l’article 96 de l’accord. Résultat : le 9e Fed na été signé qu’en décembre 2006, soit après la période légale. Sur les 240 millions d’euros prévus, 100 vont disparaître. Le reste étant à consommer avant l’échéance de fin décembre 2007, soit en un an. Sinon, c’est la perte des fonds. Chantage.
A la suite d’une étude menée par la société civile ouest-africaine, il s’est avéré que plus de 80% des investissements de l’Ue dans la région sont allés vers les infrastructures de transport. Comme si le géant nigérian et le nain cap-verdien ont eu comme soucis commun les infrastructures. C’est oublier les pressions et orientations de l’Ue. L’objectif étant de préparer le terrain à la mise en œuvre des Ape.
Dans le cadre des préparatifs aux négociations sur ces Ape, des études d’impact ont été menées, tant par les gouvernements et l’Ue, que par la société civile. Toutes concordent à dire que les Ape, dans leur version en négociation, ne permettront pas le développement. Au contraire, la pauvreté s’installera durablement.
En Guinée, les études ont révélé que la Fédération des producteurs de pommes de terre, qui regroupe plus de 40 000 paysans, producteurs de l’une des meilleures patates au monde, et qui ont des exploitations au Sénégal, au Mali et ailleurs, risque de disparaître au bout de cinq ans, sous le coup des produits à bas prix de l’Europe.
Malgré ces réalités, l’Ue a poussé les négociations en ne regardant que deux choses : le calendrier dont l’échéance était pour décembre 2007 et son agenda de libéralisation. Le financement de la mise à niveau des économies, demandé par les Etats, balayé par le Fed, a vu son instrumentalisation politique. De même, face aux réserves quant à la conformité de l’accord avec les questions de développement, exprimées par les Etats, l’Ue pense que le temps donnera la solution.
La question qui se pose est : qu’est-ce qui fait courir l’Ue ? Deux réponses : la logique technocratique et la pression des grandes compagnies multinationales.
Si Lomé a été porté par une logique de puissances publiques (Etats européens et africains), Cotonou correspond à une logique technocratique/publique (technocrates européens/ Etats africains). Bruxelles n’est plus contrôlé par les citoyens. C’est un peu le même principe de l’administration bureaucratique de l’Omc, à Genève, qu’on retrouve.
Ces Messieurs de Bruxelles devraient écouter les parlementaires européens, suite à l’étude menée en 2006 sur les Ape. Elle disait que celles-ci constituent «une erreur politique, économique et sociale et n’apporteraient pas le développement au continent africain». On sait, à présent, à quoi s’en tenir.
*Bakary Fofana est un Economiste guinéen. Il est un membre actif du Forum de la Société civile guinéenne. Il peut etre joint à cette adresse : [email][email protected]
Cet article a d’abord paru dans Flamme d’Afrique, quotidien d’informations publié par L’Institut Panos (Afrique de l’Ouest), à l’occasion des forums sociaux mondiaux.
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