RDC : Quelle reforme du système judiciaire pour l’établissement d’un Etat de droit ?
Dieu-Donné WEDI DJAMBA est d’avis que la reforme du système judiciaire de la République Démocratique du Congo (RDC) est indispensable pour parachever l’établissement d’un Etat de droit au lendemain des élections démocratiques et paisibles qui viennent de s’y dérouler. Une telle réforme impliquera la prise en compte de plusieurs facteurs dont l’assainissement du corps des magistrats et l’amélioration des conditions de travail du personnel judiciaire.
Très souvent quand un pays passe d’une situation de conflit à celle de la paix ou d’un régime dictatorial à la démocratie, il y a un profond besoin de reformer toutes les institutions symbolisant les abus de ce passé tel que le système judiciaire, l’armée, la police ou le service de sécurité afin de restaurer la confiance de la population vis à vis de ces institutions.
A cet effet, les malheureux incidents survenus le 1 Février2007dans la province du Bas-Congo entre les adeptes du mouvement politico religieux Mbundu dia Congo et les forces de l’ordre, et qui ont coûté la vie à au moins cent trente quatre personnes selon la Mission des Nations Unies au Congo (MONUC) viennent corroborer cette assertion.
Avec les élections dernières, la République Démocratique du Congo (RDC) a désormais les institutions élues. Toutefois, bien que ces élections aient mis fin à la période de la longue transition politique connue par le pays, elles ne constituent qu’une étape vers une démocratie stable. En effet, la transition est toujours un processus et non un événement. Car, pour avoir une démocratie stable, il est impérieux que la RDC aie une justice qui garantisse les attributs d’un Etat de droit.
A cet effet, le souci de l’instauration d’un Etat de droit s’est déjà manifesté à travers la volonté politique transparaissant le long des différents discours tenus par les deux hautes personnalités de la République à savoir le Président de la République ,Joseph Kabila qui a déclaré la fin de la recréation et le président de l’Assemblée Nationale,Vital Kamerhe qui a promis la chasse à l’impunité et à la corruption.
Mais, si la volonté politique est perçue, sa concrétisation passe par l’existence d’un système judiciaire dépouillé des maux qui le rongent actuellement notamment la corruption et d’autres antivaleurs, les délabrement des structures d’accueil, les mauvaises conditions de travail
et de vie des magistrats ainsi que du personnel administratif du système judiciaire.
La reforme du système judiciaire a déjà été tentée par l’ancien président Laurent Désiré Kabila en 1998 en révoquant des magistrats accusés de corruption. Mais cette décision fut attaquée et revue plus tard pour vice de forme .
Néanmoins, quelques leçons méritent d’être retenues de cette tentative. Premièrement, il y a lieu de reconnaître que si la procédure ayant conduit à cette révocation collective fut viciée, les accusations formulées, elles furent fondées dans la plus part des cas. Deuxièmement, ceux qui furent frappés par cette mesure furent une goutte d’eau dans la mer. Car, la corruption ainsi que les autres abus continuèrent après la révocation. Troisièmement, la révocation de ces quelques magistrats ne fut pas suffisante en elle seule pour mettre fin aux abus dans le système judiciaire.
L’impunité, la corruption ou les violations des droits de l’Homme étant érigées en système, le recrutement des nouveaux magistrats opéré juste après cette révocation collective n’avait apporté aucun changement. Pour preuve, la magistrature a été citée comme étant la deuxième institution la plus corrompue pendant la transition politique en RDC. Ainsi il est tout à fait mal venu de soutenir que ce triste record soit à mettre uniquement sur le dos des magistrats réintégrés en 2003.
La reforme du système judiciaire qui conduirait à un Etat de droit est celle qui portera sur un certain nombre des points à savoir : La révocation des magistrats impliqués dans la corruption,les violations des droits de l’Homme et d’autres antivaleurs ; La promulgation de la loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature ainsi que la mise en place dudit Conseil ; La mutation des magistrats ; L’amélioration des conditions de travail et de vie des magistrats et du personnel judiciaire.
1. La révocation.
La Loi organique nº 06/020 du 10 Octobre 2006 portant Statut des magistrats prévoit des sanctions à l’article 48 au chapitre 1 du titre 3 relatif au régime disciplinaire du magistrat. Ces sanctions vont du blâme à la révocation en passant par la retenue d’un tiers du traitement d’un mois et la suspension des trois mois au maximum avec privation de traitement.
Mais, afin de repartir sur de bonnes bases, l’assainissement du système judiciaire par l’extirpation des tous les germes destructeurs qu’elle porte en terme des antivaleurs doit être la première étape dans le processus de la reforme.
A cet effet, la mise en place d’une commission indépendante ayant pour mission d’enquêter sur les abus commis à tous les niveaux du système judiciaire et d’établir les responsabilités est la seule mieux indiquée.
Cette commission devra être composée uniquement des membres de la société civile oeuvrant dans le secteur des droits de l’Homme et ayant la notoriété de l’intégrité morale. Ladite commission doit être agréée par le Parlement et les membres nommés par le Président de la république. Elle déposera son rapport à qui de droit pour la révocation des magistrats concernés.
Cette sanction sur les coupables sonnera le glass de l’impunité et la corruption ; Brisera le mythe des ‘parapluies’ ou ‘parrainage’ ainsi que toutes les autres velléités auxquelles s’identifie actuellement le système judiciaire ; Sera un message dissuasif pour les potentiels coupables. C’est alors seulement que le Conseil supérieur de la magistrature pourra être mis en place.
2.La loi sur le Conseil supérieur de la magistrature et sa mise en place..
La Constitution de la Troisième république à son article 149 consacre l’indépendance de la magistrature vis à vis de l’Exécutif et la loi relative
au statut de magistrate est promulguée. Mais ces deux lois n’auront aucun impact sans la promulgation de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature et sa mise en place.
En effet, le projet de loi portant le Conseil supérieur de la magistrature est en souffrance à l’Assemblée National depuis le gouvernement de transition jusqu’à ce jour. Comme conséquence, aucun changement n’est observé au sein de la magistrature malgré la promulgation des ces deux lois précitées. C’est ainsi qu’il est important que la nouvelle Assemblée Nationale fasse de l’examen de cette loi une de ses priorités.
Le Conseil supérieur de la magistrature n’est certes pas une panacée pour le mal que sévit le système judiciaire, mais sa mise sur pied sera un grand pas vers la lutte contre la corruption, les violations des droits de l ’Homme ainsi que les autres antivaleurs en consolidant le travail qui serait déjà abattu en amont par la commission indépendante.
3. La permutation.
Le séjour prolongé des magistrats dans un même poste ou une même citée ou ville crée des liens d’amitié, de parenté et de bien d’autre nature entre le magistrat et les justiciables qui les mettent dans plusieurs cas d’incompatibilité. L’un d’exemple des ces incompatibilités est le phénomène dit de ‘magistrat conseil’ c’est-à-dire les magistrats devenant des conseillers occultes des leurs relations faisant ainsi d’eux (magistrats) juges et parties dans un dossier judiciaire.
En plus, la familiarité des magistrats avec les justiciables est aussi une des sources des abus et antivaleurs décriés au sein du système judiciaire congolais créant par la même occasion une classe des intouchables parmi les justiciables.
L’instauration de la pratique de mutation des magistrats après deux ans permettra donc de briser d’abord la pratique existante et d’annihiler la formation des autres pratiques illégales dans le futur.
4. L’amélioration de conditions de vie et de travail des magistrats et personnel de justice.
Comme le décrit le rapport de human rights watch ,le système judiciaire congolais est dans un état de désordre indescriptible . Cela l’est tant pour l’état des structures d’accueil de cette institution, les conditions de vie des magistrats, que des conditions de travail.
En effet, construites la plus part d’entre eux à l’époque coloniale pour une capacité d’accueil correspondant aux réalités de l’époque, notamment la démographie et le nombre du personnel judiciaire, les battisses abritant les institutions judiciaires sont tous dans un état de vétusté très avancé et leur capacité d’accueil fait qu’il est facile de retrouver quatre à cinq magistrats confinés dans une petite pièce de quatre mètres sur quatre.
Cette triste situation remet en question le caractère secret de l’instruction pré juridictionnelle ou encore la confidentialité de certaines procédures dans des chambres des magistrats du siège telle que la conciliation. Pendant qu’au même moment d’autres sont obligés de cloisonner leur local pour créer un semblant de confidentialité dans l’instruction des leur dossier. Cela est valable tant pour les magistrats debout qu’assis. Et de même pour le personnel administratifs du système judiciaire.
En cette situation s’ajoutent les moyens de travail : Les bibliothèques sont devenues quasi inexistantes auprès des cours et tribunaux, et celles qui existent ne contiennent que des ouvrages dont les récentes éditions sont vielles de vingt ans ; Les forums scientifiques tels que les séminaires de formation, colloques ou conférences sont quasi inexistants. Les rares organisés les sont par les Organisations Non Gouvernementales.
En plus des ces conditions difficiles de travail il faut mentionner les conditions de vie. En effet, en RDC le salaire des magistrats varie entre cent à deux cents dollars. Ce salaire ne permet pas aux magistrats de couvrir leurs besoins primaires et les mette ainsi dans une position des mendiants vis à vis du justiciable tout en faisant d’eux par la même occasion des cibles faciles pour la corruption.
En outre, la plus part d’entre eux sont locataires dans des maisons des privés tandis que ceux habitant les immeubles de l’Etat les voient en longueur des journées être désaffectés et vendus aux privés par des arrêtés ministériels, et sont donc déguerpis par des particuliers nouveaux acquéreurs de fois sans préavis légal de trois mois. Quant au personnel administratif, il est fonctionnaire de l’Etat donc clochardisé comme tous les fonctionnaires du pays.
La reforme du système judiciaire passe donc aussi par l’amélioration des conditions de travail des magistrats ainsi que de tout le personnel de la justice.
A cet égard cette série de mesures doit être prise : la construction des nouveaux battisses pour la magistrature afin de désengorger ceux existant ; la réfection des battisses existant ; l’installation des bibliothèques modernes dans tous les cours , tribunaux et Parquets ;la modernisation de l’administration judiciaire par le remplacement des vielles machines de dactylographie mécaniques utilisées jusqu'à ce jour par les différents greffes et secrétariats par un système informatisé ; l’organisation fréquente des séminaires, colloques ou conférences pour les magistrats.
Quant à la condition de vie, l’article 25 de la loi sur le statut des magistrats stipulant que le magistrat bénéficie d’une rémunération suffisante à même de conforter son indépendance et qui prévoit aussi des avantages sociaux pour les magistrats doit être de stricte application.
Conclusion.
Après les élections organisées aux différents niveaux ayant conduit à l’installation des différentes institutions, l’instauration d’un Etat de droit en RDC demeure un défi à relever pour le nouveau gouvernement nommé le 5 février 2007 par l’Ordonnance nº 07du 05 février 2007 portant nomination des ministres d’Etat, ministres et vice-ministres, et composé des six ministres d’Etat, trente ministres et vingt quatre vice-ministres.
A cet effet, la reforme du système judiciaire devient un point clé pour l’avènement de cet Etat de droit. Et la reforme qui conduirait à un résultat efficace sera celle qui s’attellera sur ces quatre points : La révocation des magistrats responsables des abus, la promulgation de la loi créant le Conseil supérieur de la magistrature ainsi que sa mise en place, la mutation des magistrats dans une rotation d’une période des deux
années et l’amélioration des conditions de travail et de vie des magistrats et du personnel judiciaire.
* Dieu-Donné WEDI DJAMBA est Avocat au Barreau de Lubumbashi /RDC; Consultant indépendant en Justice Transitionnelle; Activiste des droits de l’Homme ; Assistant à l’Institut Supérieur d’Etude Juridique Appliquée, Lubumbashi/ RDC et Ecrivain.
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