Sénégal : Réélection de Wade, un vote plus rationnel qu’affectif
Malgré les multiples scandales financiers, la mal gouvernance manifeste et la cherté de la vie sous le magistère de Me Abdoulaye Wade, il vient d’être réélu à près de 56% des suffrages dès le premier tour de l’élection présidentielle de février 2007. Le sociologue Abdoulaye Niang soutient dans cet article que voir se construire le Grand Sénégal de son rêve, tel est le sens du vote de la majorité du Grand peuple du Sénégal. A l’inverse de la majorité des analystes sénégalais, Professeur Niang défend que loin d’être mues par des considérations affectives ou morales, le vote des Sénégalais a été un acte rationel.
Introduction
Le peuple sénégalais avait à choisir le 25 Février 2007 entre 15 prétendants à la magistrature suprême. La liste des candidats à cette élection présidentielle était composée de quatre indépendants, cinq chefs de coalitions de partis et six chefs de partis. Beaucoup d’observateurs et analystes politiques avaient prédit non seulement un second tour inévitable entre le Président sortant Maître A.Wade et un des chefs de partis ou coalition de partis de l’opposition dont les plus en vue étaient Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, mais aussi la défaite de Maître A. Wade à l’issue ce celui-ci : cette prédiction était basée essentiellement sur la cherté de la vie, des scandales financiers, etc. Mais le peuple sénégalais en a décidé autrement en élisant Maître A.Wade dès le premier tour, avec un score qui frise les 56%.
Le peuple Sénégalais a signifié par son vote massif en faveur de Maître Wade, candidat à sa propre succession, qu’il n’était pas un peuple alimentaire exclusivement préoccupé par les besoins du ventre, mais qu’il était, au contraire, un peuple réfléchi et ambitieux, aspiré par un devenir à venir, mais à construire et dont les premières bases de sa fondation se trouvent déjà dans les réalisations de grande envergure faites durant la période post alternance par Maître A Wade.
Les résultats de l’élection présidentielle de février 2007, par leur caractère surprenant sont riches d’enseignements dans divers domaines et niveaux de réalités qu’il faut explorer.
L’opinion politico-médiatique a soumis l’esprit scientifique
Les résultats de l’élection présidentielle ont été à l’envers de ce qui était prévu par les analystes et observateurs de la chose politique, car tous avaient conclu à l’inévitabilité d’un second tour et à la victoire certaine d’un candidat de l’opposition. Et c’est le contraire, en tout, qui s’est passé. Il y a eu véritablement une insuffisance de rigueur scientifique dans la conduite de l’analyse critique par les intellectuels dont l’esprit scientifique a pu, sur une longue période après l’alternance, être piégé et pollué par une opinion médiatique et politicienne forte construite à partir d’arguments critiques, mais néanmoins tendancieuse et résolument oppositionnel.
Il y a eu une ambiance intellectuelle normative du point de vue de ses orientations qui exerçaient une certaine emprise sur les hommes de science, les prédisposant à réfléchir et à penser d’une façon déterminée sur les choses de la société d’une façon générale. Et alors ne pouvait être considéré comme un vrai intellectuel que l’intellectuel qui pensait suivant le modèle normatif imposé par l’opinion politico-médiatique, laquelle bien que procédant de la démocratie par sa dimension critique et émanant de personnes ayant une certaine hauteur de vue, n’en sont pas moins de simples opinons dont la formation a obéi à des logiques qui sont très éloignés des préoccupations et de la démarche de l’homme de science.
Au cours de la période post alternance, les médias et la politique, tous en enflure, se sont soumis la science et l’esprit scientifique pour les phagocyter, les domestiquer, les asservir aux fins de conférer une légitimité scientifique à ce qui dans ses fondements n’est en fait dans le meilleur des cas que préjugés favorables ou défavorables et dans le pire des cas simples projets manipulatoires des consciences. Que de sondages électoraux supposés être menés avec toute la rigueur scientifique requise en la ma matière, mais aussi que de résultats annoncés absolument invalidés par la réalité des urnes par la suite. C’est toute la problématique de la collusion entre média, politique et science qui se trouve posée ici.
La science en perdant son indépendance par rapport à l’opinion médiatique et à l’opinion politicienne a perdu alors aussi la chose essentielle qui fonde son identité et permet de lui attribuer la valeur la plus élevée en rigueur, en objectivité et en prévisibilité parmi toutes les formes de réflexion et de construction de pensée. C’est en gardant donc son indépendance à ces opinions là que la science et la pensée scientifique pourront se retrouver dans la bonne posture épistémologique qui leur permettront de contribuer à la formation d’une opinion qui reflète le mieux la réalité.
Et c’est seule cette posture qui peut véritablement permettre à la science et à l’homme de science de contribuer au progrès de la société en éclairant ses opinons. Mais par delà ces considérations, le caractère surprenant des résultats de l’élection présidentielle de février 2007 révèle toute la faiblesse de la recherche en sciences sociales au Sénégal, les quelles pour cette raison se trouvent dans l’incapacité manifeste de participer à l’effort de développement, en le motivant, en l’orientant, en éclairant ses dirctions.
La majorité du peuple a désiré voir se terminer les grands chantiers commencés et s’ouvrir de nouveaux
Le peuple sénégalais a choisi comme priorité pour l’action gouvernementale non pas la baisse immédiate des prix des denrées de première nécessité, mais la continuation impérieuse de l’exécution des grands chantiers du Chef de l’Etat déjà annoncés, et l’ouverture de nouveaux chantiers tout aussi ambitieux. Le vote du peuple Sénégalais indique que celui-ci dans sa grande majorité partage la vision ambitieuse de Maître Wade de faire du Sénégal, un pays émergent. Mais, il indique aussi que les entorses supposées faites à la démocratie par le régime de l’Alternance ou encore, les actes de détournement ou de corruption dont seraient coupables certains gestionnaires de la chose publique, pèsent moins lourd dans leur choix, contre toutes attentes, que les possibilités réelles pour un développement émergent qu’offre la vision du développement du Président sortant.
La démocratie dans sa forme d’expression actuelle est considérée par la majorité du peuple comme un champ de bataille politico-médiatique où tous les coups son permis entre les adversaires qui se disputent le pouvoir. Et si la majorité du peule n’a pas sanctionné les entorses supposées faits à la démocratie (les nombreuses convocations adressées par la DIC à des journalistes et des leaders politiques et qui sont des fois suivies d’enferment) par un vote de rejet du candidat Maître Wade, comme d’aucuns le pensaient et l’espéraient, c’est parce que soit elle avait compris que cette démocratie ne s’exprimait pas pour elle, soit elle avait déjà choisi son camp et souhaitait, en particulier, le renforcement du pouvoir de l’alternance contre les attaques qu’il subissait de tous côtés, espérant à tort ou à raison que ce faisant elle allait contribuer à rendre plus efficace les décisions de changement.
N’entendait-on pas dire pendant les moments les plus critiques, en opposition entre les adversaires politiques des deux camps: Gorgui, bayi leen ka mu liiggey’, c’est à dire en parlant du Président de la République sortant :« il faut que ses adversaires politiques le laissent travailler tranquillement».Ceci veut dire pour la majorité du peuple qui n’avaient d’yeux que pour les réalisations de l’alternance qui la fascinaient que ce n’est pas la démocratie qui fait réellement le développement et permet au pays de sortir concrètement de son état de sous développement, mais plutôt des réalisations concrètes, tangibles et significatives, ayant un impact durable certain sur la vie des populations. En effet, la démocratie, tout au plus ne peut-elle être, et seulement dans certaines conditions, qu’un accélérateur du processus de développement : c’est notamment le cas quand elle favorise l’éclosion des initiatives heureuses, la synergie des actions développantes, la recherche collective de l’intérêt national, la critique positive, etc.
Quoi qu’il en soit, l’expression de la démocratie au Sénégal, eu égard à la façon dont elle est perçue par la majorité du peuple, mérite d’être revue, analysée et au besoin corrigée, le but visé devant être de l’adapter à certaines exigences fondamentales : les impératifs d’un développement endogène et durable, la recherche constante d’un compromis durable pour tout conflit et la sauvegarde la cohésion nationale et de l’intérêt national. Le pacte social et le pacte républicain constituent déjà des débuts de réponse à cette interrogation sur ce que doit être la démocratie dans un pays en voie développement où le peuple et ses dirigeants se préoccupent du développement national.
La majorité du peuple a condamné l’agressivité verbale politicienne et médiatique dirigée contre Maître Wade
Le peuple sénégalais a sanctionné négativement une certaine conduite politicienne et médiatique faite de diverses formes d’agressivités verbales frisant par moment l’insolence et l’incivilité, dirigées particulièrement contre Maître Wade durant la période post alternance. Cette conduite tranche d’avec une certaine éthique collective dont les composantes essentielles s’appuient encore sur les valeurs traditionnelles cardinales de notre société : teguinn, yarr, (sérénité, discipline) etc. Certains hommes politiques de l’opposition, ainsi que certains hommes de média, qui se sont montrés particulièrement virulents contre le Président, en réaction à une situation politique ou un événement qui les interpellaient directement sont caractérisés par la conscience populaire comme des personnes yu ñiak-tegginn (c'est-à-dire des personnes qui manquent de tenue).
Un tel jugement devient une condamnation frappant les personnes concernées quand les actions qui leur sont incriminées sont fréquentes, non apparemment justifiées et s’adressent directement aux figures les plus sacrées de la société : les personnes âgées et les chefs charismatiques, notamment. Or, Maître Wade, comme par accident incarne à la fois ces deux figures sociales hautement valorisées par la culture sénégalaise. Et alors, aux yeux de la majorité du peuple, chez qui la morale doit encore se mêler de la politique pour discipliner ses expressions dans un contexte de démocratie, la compétition politique ne saurait ni autoriser, ni excuser un harcèlement moral excessif sur de telles figures, ici confondues dans un seul personnage.
La majorité du peuple, en votant pour la réélection de Maître Wade a voulu symboliquement se substituer à ce dernier et le venger politiquement contre ses détracteurs et ses adversaires considérés comme inciviles. D’ailleurs dés la sortie des premiers résultats provisoires donnés par les bureaux de vote, n’entendait-on pas dire à l’adresse des candidats qui avaient de très bas scores et qui se trouvaient être aux de la majorité du peuple les plus redoutables adversaires du Président sortant : niaaw c'est-à-dire : c’est très bien fait pour eux. De ce point de vue, le vote de la majorité du peuple en faveur de Maître Wade doit être considéré à la fois comme un acte morale et politique.
Mais il est en plus pour la majorité des sénégalais, une véritable déclaration d’opposition contre cette idée véhiculée durant des années après l’alternance par les adversaires politiques de Maître Wade âgé d’environ 80 ans et selon la quelle : « un vieillard ne peut et ne doit diriger un pays parce qu’il est un moribond». Idée à finalité stratégique dont la visée était de faire douter le peuple des capacités cognitives et de maîtrise de la situation nationale de Maître A.Wade.
Mais cette idée considérée par nombre de sénégalais comme wox bu niaw (c'est-à-dire comme de mauvaises paroles) a eu sur la majorité du peuple un effet tout à fait contraire à celui qui était attendu, car non seulement elle était massivement condamnée, mais en plus elle se trouvait à l’opposée à ce dicton populaire, à visée morale et politique, bien ancré dans la mentalité collective, comme une vérité sociale, et qui dit : mak meet na bayi ci rew, c'est-à-dire : une personne de troisième âge est bien utile à la communauté, au pays. Ici la morale politique s’est opposée à la morale sociale et cette opposition a porté préjudice dans une certaine mesure à l’opposition.
La majorité de peuple a eu davantage confiance au candidat de la coalition Sopi
L’absence de confiance aux capacités des leaders de l’opposition et autres candidats à l’élection présidentielle pour construire le Grand Sénégal du rêve de la majorité des citoyens a certainement amené celle-ci à jeter son dévolu sur le candidat Maître A. Wade, déjà accrédité de plusieurs réalisations de grande envergure durant son septennat. En fait, depuis l’alternance, le Sénégalais est habité par une nouvelle citoyenneté faite certes de la conscience qu’il peut, par son vote, peser sur le destin politique de son pays, mais aussi de rêve de grandeur pour son pays alimenté par des promesses électorales titanesques (celles de Maître Wade lors de l’élection présidentielle de février 2000) qui faisaient rêver d’aucuns, mais dont certains de ses adversaires disaient qu’elles n’étaient que des éléphants blancs, tant les projets auxquels elles renvoyaient semblaient hors de portée de la capacité et de l’intelligence des sénégalais.
C’est ce Maître A. Wade qui dans l’imaginaire de la majorité des sénégalais porte et incarne ce rêve de grandeur pour le Sénégal, ce rêve d’un Grand Sénégal, que les sénégalais dans leur majorité ont choisi en février 2007 pour occuper à nouveau la magistrature suprême. Le rêve du Grand Sénégal doit être prolongé, mais surtout réalisé par celui-la qui l’incarne le mieux : Maître A.Wade, par ses nombreuses distinctions honorifiques reçues de par le monde, ses multiples projets modernistes et ambitieux pour le Sénégal, etc., a reçu une aura qui le place nettement au dessus de beaucoup d’hommes politiques de son temps dans le monde et qui a fait grandir la confiance des sénégalais en lui, en ses capacités. Par les distinctions reçues par Maître Wade et qui attestent de la reconnaissance de ses mérites par la communauté internationale, c’est aussi le citoyen sénégalais qui gagne en valeur de par le monde, comme cela fut aussi le cas du temps du L.S. Senghor, premier Président de la République du Sénégal, dont le prestige était mondial.
Par les réalisations de Maître Wade, c’est aussi le citoyen sénégalais qui gagne en ferme croyance en la possibilité de développement de son pays : les changements rapides et bénéfiques qui caractérisent le développement sont observés quotidiennement par le citoyen qui pour la première fois fait l’expérience personnelle du développement. Celui-ci désormais sait que par la volonté politique, s’étayant sur une vision ambitieuse et réaliste et le prestige qui ouvre les portes des bailleurs de fonds, tout leader politique peut en s’appuyant sur des hommes déterminés et compétents construire le développement de son pays. L’alternance de ce point de vue apparaît alors comme une vaste pédagogie du développement.
Mais une question se pose malgré tout : comment un peuple atteint par la pauvreté dans une proportion de 60% de sa population peut-il adhérer à des projets aussi grandioses qui semblent éloignés de ses préoccupations quotidiennes de survie? Véritablement la majorité du peuple a été fascinée par l’ampleur des grands travaux et les qualités de l’homme qui incarne la vision qui leur a donné jour. Cette fascination du peuple a amené celui-ci à refouler progressivement ses pulsions les plus alimentaires, ou à tout le moins à différer le moment de leur satisfaction, et à s’élever spirituellement pour participer à la construction d’un destin national qui le dépasse, un destin de rêve, un destin d’aspiration, mais un destin devenu petit à petit accessible et auquel il croit de plus en plus.
En participant à ce grand rêve d’un Grand Sénégal à construire, le peuple a sublimé la demande sociale alimentaire, même si cette opération de sublimation peut n’être que provisoire : la demande sociale alimentaire se confond provisoirement dans une demande de Grand Sénégal à construire et ne s’inscrit plus alors de ce fait même pour sa satisfaction dans une urgence qui ne peut attendre. Sa satisfaction s’inscrit désormais dans un processus qui requiert patience et engagement du peuple, même s’il faut le dire le gouvernement a tout intérêt pour pouvoir continuer à bénéficier de la caution du peuple à alléger le plus rapidement possible les charges domestiques du citoyen.
Le peuple, en faisant sien le rêve de grandeur de Maître Wade pour le Sénégal, va développer des comportements collectifs cohérents par rapport à son engagement, mais qui soient néanmoins susceptibles d’être interprétés dans un sens opposé à celui qu’il leur donne intimement, ce qui peut tromper des analystes.
En effet, au cours des sept dernières années, le champ social était fortement agité par de nombreuses grèves de revendications accompagnées de critiques plus ou moins acerbes des leaders syndicaux contre l’Etat, surtout si ce dernier tardait à réagir dans le sens voulu. Une telle situation a pu faire penser à l’existence d’un mouvement de contestation d’opposition du front social qui allait déteindre négativement sur le comportement électoral des travailleurs concernés, lesquels allaient naturellement sanctionner Maître A. Wade lors de l’élection présidentielle. Mais, cela ne fut pas évidemment pas le cas, car Maître A. Wade contre toutes attentes a été plébiscité.
Ce paradoxe dans le comportement électoral de la majorité des Sénégalais s’explique dans le fait que les divers mouvements sociaux de contestation dans le front social exprimaient plus l’espoir que l’opposition : la contestation apparaît ici comme un appel au secours adressé à un homme, Maître A. Wade notamment, dont on a pensé à tort ou à raison qu’il était disposé et avait la capacité d’y répondre favorablement et efficacement. Ces contestations étaient donc motivées non pas par un procès d’intention avec des clichés négatifs sur la personne de Maître A.Wade, mais plutôt par un immense crédit d’intention qui les sous-tendait. D’ailleurs, le port de brassards rouges, en beaucoup de situations tensionnelles, exprimait le même sens : l’espoir et non l’opposition.
La deuxième conséquence qui découle de la situation de fusion entre Maître A. Wade et une partie importante du peuple est le rejet inconscient par celui-ci des leaders d’opinion et leaders politique dont l’action est perçue comme une entrave à la réalisation du rêve du Grand Sénégal ou comme un facteur de détérioration de l’image de Maître A. Wade. Dans l’esprit de beaucoup de Sénégalais, tous ceux qui ne portent pas le rêve du Grand Sénégal, tel que présentement incarné par Maître A. Wade, sont des empêcheurs de développement et méritent à ce titre d’être neutralisés, rejetés.
Mais, ce rejet comporte diverses modalités dont deux méritent d’être mentionnées : il y a le rejet manifesté par des signes d’engagement partisan qui sont visibles dans des comportements conséquents( ceux du militant par exemple) et il y a le rejet discret non exprimé de façon visible, parce que tout simplement, le sentiment qui le porte est refoulé dans le quotidien , l’environnement de l’individu étant peu propice à son expression , laquelle va alors être différée à ce moment ultime où il sera seul dans l’isoloir, moment où sa voix, jusque-là étouffée sera enfin audible et aura la même portée que n’importe quelle autre voix. C’est précisément ce moment là que le citoyen silencieux, effacé en politique, non écouté et anonyme, aura choisi pour enfin prendre sa revanche sur les autres, et notamment sur tous ceux qui se sont opposés à Maître A.Wade qui est sa figure d’identification.
La majorité du peuple a fait un choix de vote sur la base de considérations plus rationnelles qu’affectives ou morales
Les citoyens ont opéré un choix plutôt rationnel en plébiscitant Maître A.Wade. En effet, plusieurs faits indiquent que le choix du peuple a été plus rationnel qu’affectif ou moral, même si des considérations affectives ou morales ont pu aussi influencer leurs votes. Si l’alternance a été le moment d’aboutissement d’un long processus de recomposition mentale sanctionnée par l’émergence d’une volonté collective de rupture totale par rapport à l’ancien régime socialiste, la période post-alternance, apparaît elle, comme un temps de gestation pour la formation et la consolidation de nouveaux repères: l’alternance a détruit les anciens repères et la post-alternance ouvre une période de conquête et de construction de nouveaux repères.
Et parmi ces derniers, trois méritent d’être discutés en raison de leur rapport avec l’élection présidentielle et le choix effectué par la majorité du peuple au cours de celle-ci :
* la fermeture du citoyen à des influences électoralistes de type alimentaire, les quelles se présentent le plus souvent à travers des propos de campagne tenus par des candidats de l’opposition, du genre : le gaz, l’électricité, le riz, etc. sont chers et le seront de plus en plus si vous réélisez Maître A. Wade. Mais de tels propos n’ont pas fait mouche apparemment, même si partout les populations ont admis et déploré la cherté de la vie. Cherté qui d‘ailleurs les aura obligées pour jouir des nombreuses gratifications électoralistes, en argent ou en nature, distribuées à des fins d’achat des consciences par des candidats à l’élection présidentielle de prendre tout offre qui leur sera fait et indifféremment de la couleur politique de l’offreur.
Cependant elles resteront toujours, ou à tout le moins le plus souvent, habitées par une volonté de fidélité à leur intime choix de vote, effectué antérieurement à cette tentative d’achat de conscience. Ainsi le citoyen pourra t-il accepter de l’argent de tous les acheteurs de conscience, mais dans la solitude de l’isoloir voter selon son intime choix, comme un citoyen tout à fait libre;
* la quête par le citoyen de l’information contradictoire par tous les moyens à sa disposition : les radios, les journaux, la télévision, la bouche à oreille, l’observation directe sont autant de sources sollicitées par le citoyen afin de pouvoir progressivement construire sa propre opinion sur les choses touchant les affaires du pays et en définitive fonder ses critères de jugement, ses repères, ses convictions. Nous avons affaire à un citoyen de moins en moins pulsionnel et naïf, superficiel et affectif, et de plus en plus vigilant et surtout rationnel dans la détermination de son choix de vote.
D’ailleurs, lors de la campagne, ce sont les mêmes citoyens, dans diverses localités qui formaient l’auditoire des leaders politiques en compétition qui s’y rendaient, ce qui était la traduction de la volonté des citoyens d’aller s’informer à la source sur les programmes et projets de société des divers candidats qui briguaient la magistrature suprême, afin de pouvoir les évaluer et le moment venu faire un bilan évaluatif global ; de même dans les maisons, le journal de la campagne(qui est diffusé à la télé)était massivement suivi pour les mêmes motifs. Partout, le citoyen s’informait sur les candidats et leurs programmes ou projets de société, échangeait avec d’autres citoyens sur les mêmes questions, faisait le bilan de ses observations et informations reçues en matière de changements survenus depuis l’alternance dans son environnement proche ou lointain.
Et tout ceci donnait évidemment lieu à un climat de grande effervescence intellectuelle mettant en synergie ou en compétition des analyses et des convictions différentes : si certaines positions ont pu rester figées, d’autres par contre ont pu évoluer. La période de la campagne est apparue comme une grande école pour la formation de la conscience citoyenne et d’un choix de vote citoyen fondé sur la raison, l’intérêt bien compris du citoyen et de la nation ;
* la recherche par le citoyen du meilleur profil de candidat pour les exigences du développement auquel il aspire. Le citoyen a une certaine vision du développement et de l’intérêt national et il se met en quête du meilleur candidat pour réaliser cette vision. Et les réponses à cette quête ne sont pas stables, car elles varient et dès fois très vite même, comme c’est notamment le cas au cours des sept dernières années, si l’on en juge par la grande différence des scores enregistrés par les leaders de partis ayant brigué la magistrature suprême en 2000 et 2007 : il y a eu un grand recul pour tous, sauf pour Maître Wade.
En fait, entre ces deux dates, la conscience citoyenne et le vécu de la citoyenneté ont beaucoup évolué : la confiance en la République pour une conduite impartiale des élections et la volonté collective de sauvegarder la paix civile ont fini par prendre le dessus sur le sentiment de suspicion à l’endroit des institutions organisatrices des élections et sur l’intempérance collective pré et post électorale, comme peuvent l’attester le calme et la sérénité des citoyens partout au Sénégal dans la journée du vote du 25 février 2007 et après la proclamation des premiers résultats provisoires.
Ce qui était loin d’être le cas pour les élections passées, les quelles étaient toujours marquées par des violences fondées par la suspicion ; un intérêt accru pour les affaires de l’Etat, dû sans doute à la presse privée très dynamique qui livre des informations ciblant particulièrement les institutions et leurs dysfonctionnement, mais aussi à une plus grande écoute de l’Etat des doléances populaires, ainsi qu’à une curiosité accrue, depuis l’alternance, du peuple sur la manière dont est géré l’Etat. L'Etat de l’alternance issu de sa volonté de rupture ; un sentiment national en enflure, fait de croyance en la nécessité de défendre l’intérêt national et de préserver du Sénégal une bonne image et dont l’un des facteurs explicatifs le plus important se trouve dans cet acte républicain préventif et hautement citoyen de félicitation anticipative de Abdou Diouf, Président de la République sortant, et présumé perdant de l’élection présidentielle de février-mars 2000 au vu du cumul des premiers résultats des divers bureaux de vote, adressé à son challengeur du moment, Maître Abdoulaye Wade, présumé victorieux de cette même élection, avant même la proclamation officielle des résultats électoraux .
Cet acte d’homme plaçant l’intérêt national au dessus d’intérêts partisans a pu sauver le Sénégal d’un chaos post électoral, qui serait né de révoltes populaires de contestation suscitées par une éventuelle manipulation ultérieure des résultats tendant à les inverser. Cet acte qui a été hautement apprécié et loué de par le monde a fortement rehaussé le prestige du Sénégal et grandi celui-ci en image.
La nouvelle citoyenneté qui a émergé de l’alternance et de la période post-alternance peut se définir autour de quatre dispositions attitudinales essentielles pour le citoyen :
· Une plus grande confiance en la République et une plus grande disposition pour la préservation de la paix civile ;
· une vigilance plus soutenue et plus critique sur ce qui concerne la conduite des affaires de l’Etat ;
· une forte aspiration pour un Grand Sénégal et pour la préservation de l’intérêt national ;
· la dominance de la raison sur les sentiments en matière de choix de vote, de l’indépendance sur la servitude.
Deux de ces dispositions citoyennes ont été particulièrement favorables pour la réélection de Maître Wade. Il s’agit notamment de l’aspiration du peuple pour un Grand Sénégal et de sa plus grande confiance en la République, à l’Etat et en ses possibilités pour satisfaire ses doléances, nonobstant certains manquements décriés. Les deux dimensions dominantes de la nouvelle citoyenneté post-alternance sont en fait inspirées par deux modèles de personnalité, devenus des modèles d’identification pour une majorité de Sénégalais : Abdou Diouf et Maître A.Wade qui dans l’imaginaire du peuple incarnent l’un le juste et le sage républicain qui sauva le Sénégal d’une guerre civile postélectorale et l’autre le visionnaire et le bâtisseur qui réalisera le rêve du Grand Sénégal.
L’influence des moyens utilisés et des actions de soutien sur la réélection de Maître A. Wade
D’importants moyens ont du être déployés par le PDS pour la réélection du candidat de Sopi. Mais ces moyens, quoi que constituant un atout certain, ne sont pas déterminants dans l’issue de l’élection : en février-mars 2000 le candidat du parti socialiste qui était le parti au pouvoir avait perdu à l’élection présidentielle face à face à Maître A. Wade, candidat de la coalition Sopi qui regroupait des partis de l’opposition qui étaient peu outillés en moyens. C’est un ensemble d’effets convergents, redondants issus de facteurs différents qui contribuent à faire gagner une élection, surtout quand les champs social et politique sont complexes comme au Sénégal.
Mais pour revenir aux moyens, il faut dire que leur influence est surtout marquante dans les domaines suivants :
o la mobilisation des militants et la diffusion de l’information en leur sein : les réunions de militants, le maintien de contacts répétés avec les leaders, la diffusion de l’information militante, partout dans le pays où il en est besoin, implique la disposition et la mobilisation de moyens importants par le parti concerné ;
* la propagande tous azimuts en vue de l’élargissement de la base du parti nécessite également la mobilisation d’importants moyens en animation pour favoriser l’intégration, en déplacement ;
* les messes politiques de démonstration de force qui nécessitent la mobilisation d’importants moyens logistiques pour transporter les gens de leurs localités vers les lieux de meeting et vice versa constituent un élément très important du marketing politique à cause de son effet d’appel ou de l’influence qu’il exerce sur la mentalité politique ;
* le transport des militants de leurs lieux de résidence aux bureaux de vote et vice versa ainsi que l’assurance de leur restauration constituent une garantie de leur vote effectif en faveur du candidat du parti concerné. Et un parti doit disposer d’importants moyens financiers pour pouvoir le faire sur toute l’étendue du territoire ;
* l’envoi de représentants dans tous les bureaux de vote pour garantir la transparence du scrutin implique également la disposition pour le parti de moyens importants pour la prise en charge de cela.
* la générosité du parti ou de ses leaders à l’endroit de gens nécessiteux de leur entourage contribue à favoriser un élan de sympathie envers ceux-ci, ce qui se traduit le plus souvent un vote en faveur de leurs candidats ;
De tous les candidats en compétition pour l’élection présidentielle en 2007, seuls trois à savoir les candidats de la Coalition Sopi 2007, du Parti Socialiste et de la Coalition And Ligguey Sénégal disposent de moyens permettant à leur parti, et à des degrés divers, de satisfaire en moyens les exigences posées dans les différents domaines précités. Mais dans la hiérarchie des possibilités à satisfaire ces exigences, le candidat de la Coalition Sopi 2007 vient en tête et laisse loin derrière lui les autres candidats.
Quant aux actions de soutien pour la réélection de Maître A. Wade, elles furent nombreuses et se sont développées partout sur le territoire national, avec des niveaux d’organisation et d’emprise différents. Mais ce qu’il y a eu de nouveau par rapport au passé dans ce domaine, c’est surtout l’apparition de nouvelles formes d’action et de nouveaux acteurs caractérisés en particulier pour les unes par leur spontanéité et pour les autres par leur faible envergure d’action ou d’influence due à leur faible prestige social, leur non adhésion au PDS : le rayon de leur action est limité au cercle familial, au voisinage, etc., mais celle-ci est intense et efficace, car s’inscrivant dans un champ de rapports de proximité bien maîtrisés. De tels acteurs que l’on peut considérer comme de nouveaux grands électeurs se divisent en plusieurs catégories :
* les gratifiés du système formel composé d’un coté des salariés, retraités, étudiants et de l’autre de ministres et hauts cadres de l’Etat, lesquels ont bénéficié d’une gratification quelconque leur ayant apporté un haut niveau de satisfaction. De telles personnes, par dette de reconnaissance à l’endroit de l’initiateur de telles mesures salutaires qui se trouvent être le Président de la République développent spontanément des actions de soutien dans leur entourage immédiat en vue de sa réélection : cet entourage est d’autant plus facilement gagné à leur cause qu’elles ont pu faire preuve de générosité solidaire à son endroit, en redistribuant à son bénéfice une partie des gratifications reçues.
En particulier, l’élite composée par tous les ministres, directeurs généraux de sociétés, etc., nommés à ces fonctions dans la période post-alternance et qui ont du s’engager avec des membres de leurs familles, leurs amis dans des actions de soutien pour la réélection de Maître A.Wade, a joué un rôle non négligeable en l’avènement de celle-ci. A ce titre, les nombreux changements de ministres durant les six premières années de l’alternance et qui ont été tant dénoncés et décriés, parce que apparaissant aux yeux de beaucoup d’analystes de la chose politique comme une preuve de mauvaise gestion des affaires de l’Etat, se sont révélés comme des atouts pour la réélection de Maître Wade, en même temps qu’ils constituent pour celui-ci une réserve de cadres expérimentés dans l’exercice du pouvoir et susceptibles donc d’être réutilises à tout moment dans l’intérêt du pays;
* les électeurs communautaires, composés des personnes d’une localité qui a vu s’installer dans ses espaces de nouvelles infrastructures répondant aux besoins de leurs populations. Dans ce cas, la vue par le citoyen de chacune de ces infrastructures exerce sur lui une pression morale de soutien et de vote en faveur de la réélection de Maître Wade ;
* les électeurs d’intérêt public qui sont composés par tous les usagers du service public qui sont satisfaits des améliorations enregistrées dans ce domaine et qui par acquis de conscience citoyenne, et dans l’espoir aussi que de telles améliorations puissent aussi s’étendre plus tard dans de nombreux autres secteurs, sont engagés dans des action de soutien pour la réélection de Maître A. Wade ;
* les électeurs idéologiques qui rassemblent ceux qui partagent, dans l’essentiel, la même vision dans la conduite des affaires du pays que Maître A. Wade. Ils peuvent être des militants politiques du parti de celui-ci, mais ils ne le sont pas toujours forcément, car le lien idéologique est indifférent de l’appartenance organique à un parti. Cependant, leur patriotisme et leur aspiration pour un Sénégal émergent, développé, grâce à une action d’investissement soutenu sont manifestement partagés par tous ;
o les électeurs affectifs qui regroupent des inconditionnels du personnage et de sa vision. Ils se recrutent tant à l’intérieur du PDS qu’à l’extérieur de celui-ci ; ils sont particulièrement fascinés par le personnage qui apparaît à leurs yeux comme un démiurge, par ses qualités ou ses capacités jugées peu ordinaires;
* les électeurs transhumants constitués par tous ceux qui sont venus d’autres partis politiques rallier le PDS, en drainant à leur suite un nombre plus ou moins important de membres de leur ancien parti. Quelque soit le motif qui a pu guider à l’origine l’acte des transhumants, ceux-ci sont en général très engagés pour la réélection de Maître A. Wade : la victoire de ce dernier constitue une source de légitimation et de valorisation de leur nouvel engagement, lequel il faut le dire peut des fois traduire un changement profond dans leur foi politique.
* les électeurs chefs des partis de la coalition Sopi qui ont mobilisé leurs militants, sympathisants, parents, etc. pour faire réélire leur candidat.
Conclusion
Une grande majorité des sénégalais a voté le 25 février 2007 pour la réélection de Maître A. Wade à la tête du pays. Ni durant la campagne électorale, ni pendant le jour du scrutin ou au moment de la proclamation des résultats provisoires donnant victorieux le président sortant, il n’y eut scènes de violences collectives quelconques, ce qui est un témoignage de la maturité et du sens de responsabilité du peuple sénégalais. De ce point de vue, on peut dire que Maître A .Wade a été vraiment bien élu.
Cependant force est de constater 44,1 % des Sénégalais ont voté pour d’autres candidats et contre Maître Wade. Ce qui veut dire que leurs rêves pour un Sénégal Nouveau sont bien portés par d’autres leaders politiques. Si Sopi veut dire changer, Sellal, Jappanté liguey, tekki, (qui veulent dire : rigueur et transparence ; union pour construire le Sénégal ; être utile pour son pays) et j’en passe, qui sont les slogans phares des autres partis ou coalition de paris dont les leaders ont battu campagne, indiquent comment ce changement, dans certains de ses aspects pourraient être pensés dans l’intérêt du Sénégal. Car, chacun de ces slogans cache un diagnostic du mal dont souffre le Sénégal et des solutions supposées les mieux adaptées pour le guérir ou le soulager.
Si pour construire le Grand Sénégal il faut un grand peuple qui accepte de prendre en charge un tel projet, et ce grand peuple a déjà émergé, il faut aussi de Grands Guides d’Hommes qui acceptent, au nom de l’intérêt national, de mettre en synergie toutes leurs capacités, toutes leurs possibilités, et de s’ouvrir réciproquement à des meilleurs dispositions d’acceptation et de collaboration.
Je dis bien de Grands hommes, car même si Maître A. WADE est incontestablement un Grand Homme et un Grand Guide d’Hommes, la construction à un rythme accéléré du Grand Sénégal exige l’engagement dans cette œuvre de tous ses Grands Fils, de tous ses Grands Hommes contemporains.
L’ambition d’un Grand Sénégal habite en fait tous les Grands Fils du pays. Et il a existé dans le passé des tentatives de conceptualisation de cette ambition collective : majorité d’idées, pacte républicain, gouvernement d’union nationale, etc., témoignent de cette ambition pour un Grand Sénégal, pour un Autre Sénégal qui doit se développer dans un climat de concorde nationale, où la démocratie en tant que volonté commune de vivre ensemble, à travers la recherche constante de compromis et de synergies pour promouvoir et servir l’intérêt national et celui des citoyens sera au cœur des préoccupations de tous.
* Professeur Abdoulaye NIANG est Sociologue. Il enseigne à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Senegal). Il peut être joint à cette adresse : [email][email protected]
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