Guinée-Bissau : L’avenir du pays accrochée à la réforme de l’armée et de la police
Les Bissau-Guinéens ont élu Malam Bacai Sanha pour succéder à Nino Vieira, assassiné le 1er mars dernier. A Bissau, on espère une aube nouvelle dans un pays ravagé depuis près de trente par la violence politico-militaire. Mais cet espoir sera vain tant que le pays ne connaîtra les mutations nécessaires au niveau de ses forces de sécurité. Une première phase avait avorté ; la seconde devrait commencer vers la fin de cette année, en collaboration avec l’Union européenne (Ue). L’entreprise risque d’être difficile, tant le corps à guérir est démesurément malade.
L’histoire récente de la Guinée Bissau est parsemée de différents mutineries et soulèvements de l’armée. Le rubicond semble avoir été franchi les 29 avril et 1er mars dernier, quand, en vingt-quatre heures, le chef d’Etat major Tagme Na Wai et le président Vieira ont été assassinés. L’indignation de la communauté internationale, portée à son comble, et les condamnations, n’ont pas ensuite empêché l’assassinat d’un candidat à l’élection présidentielle pour la succession du chef de l’Etat, le 5 juin. Baciro Dabo, ministre de l’Administration territoriale préparait la campagne électorale pour le scrutin du 28 juin. Aujourd’hui, l’élection de Malam Bacai Sanha le 2 août, après un second tour face à Kumba Yala, laisse espérer un nouveau départ. Mais cela ne peut se faire que grâce à une normalisation de l’armée. Une réforme se prépare dans ce sens.
Le gouvernement bissau-guinéen va créer une caisse internationale de retraite pour prendre en charge les militaires qui accepteront d’aller à la retraite anticipée, dans le cadre de l’application de sa politique de réforme du secteur de la défense et de la sécurité. Cette décision a été prise en concertation avec les bailleurs de fonds, dont l’Union européenne (Ue). Ce projet, qui est en phase d’élaboration, doit en principe s’achever dans le courant du mois de décembre prochain. Il prévoit, entre autres, la mise à la retraite anticipée de plusieurs milliers de militaires, afin de réduire les effectifs pléthoriques de l’armée mais aussi des services de sécurité dont la police.
Le secteur de la Justice va également être modernisé, dans le but de l’adapter aux exigences de l’heure. A cette fin, la Commission de l’Union européenne avait dépêché, l’an dernier, une mission à Bissau, pour étudier les modalités pratiques de mise en œuvre de cette réforme. Elle avait également évalué le coût financier de l’opération, en concertation avec le gouvernement. Le mandat de cette commission qui devait en principe prendre fin au mois de mai dernier, a été prolongé de six mois et ne devra s’achever que le 30 novembre prochain. Toutefois, le chef de la mission de l’Ue, le général espagnol, Juan Estéban Verastegui, n’exclut pas une prorogation du mandat de ladite mission ou alors, son remplacement en cas de nécessité, par une autre structure pour la réussite de la réforme.
La mise en œuvre de cette réforme a déjà pris beaucoup de retard dans son application, à cause de la complexité du dossier, mais surtout des réticences de certains militaires d’aller à la retraite anticipée sans contrepartie. Les services de sécurité bissau-guinéens qui comptent neuf corps placés sous la tutelle de cinq ministères différents, sont l’autre point d’achoppement. Un véritable casse-tête supplémentaire pour le gouvernement qui sait, par ailleurs, qu’il doit ménager les susceptibilités des militaires, sous peine de provoquer un énième soulèvement de l’armée.
Devant la réforme qui se dessine, des écueils subsistent, le principal étant relatif au statut des officiers militaires, plus nombreux que les simples soldats. Mais le gouvernement bissau-guinéen et ses partenaires internationaux devront aussi veiller à la mise en place d’un cadre légal pour éviter, à l’avenir, les interférences entre l’armée, la police et le politique. Il s’agit d’amener les militaires à cesser leur immixtion intempestive dans les affaires politiques. Ces derniers ont fait de leur intervention dans l’espace public et dans les orientations politiques du pays un droit découlant des sacrifices faits pour libérer le pays du joug colonial portugais. Dans la misère généralisée que connaît ce pays pauvre, ils n’entendent pas non plus voir se constituer des richesses inouïes au sein de la classe politique, à travers des réseaux de trafic de toutes sortes dont ils seraient absents.
Mise à l’index comme le principal facteur de trouble en Guinée Bissau, l’armée s’est pliée à la mise en œuvre de cette réforme. Mais pas à n’importe quel prix. Les militaires réclament des garanties et des moyens financiers importants. Le fonds de pension pour les futurs retraités, qui devra être alimenté et géré par les bailleurs durant les premières années, avant d’être progressivement transféré au gouvernement bissau-guinéen, est estimé à 20 millions d’euros. Il est aussi question d’équiper l’armée et la police pour les moderniser et en faire des éléments de stabilisation réelle du pays. Tous ces éléments seront sans doute sur la table, lors de la conférence des donateurs prévue dans le courant du mois d’octobre, pour évaluer les besoins en matière d’aide financière au pays.
La Guinée-Bissau est un des pays les plus militarisés d’Afrique de l’Ouest en rapport avec sa population. Ceci est une des conséquences de la lutte de libération et des conflits récurrents dans le pays. L’armée bissau-guinéenne est composée pour l’essentiel, d’anciens combattants de la guerre de libération nationale (1962-1973), qui avaient combattu les colons portugais sous la bannière du parti africain de l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (Paigc, parti au pouvoir).
Peuplée seulement de 1,3 million d’habitants, elle comptait, en 2006, quelque 3 000 gendarmes placés sous la tutelle du ministère de la Défense pour les zones rurales et 1 500 policiers sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Soit un ratio de 284 agents pour 100.000 habitants.
Au sortir de la guerre civile de 1999, le pays comptait plus de 17 000 militaires et policiers, selon un rapport de l’Office des Nations-Unies Contre la Frogue et le Crime (Onudc) citant un document de Jane’s Sentinel Evaluation, sur la sécurité en Guinée-Bissau, publié en août 2007. Le ratio des troupes par rapport au nombre d’habitants était 10 fois supérieur à la moyenne dans les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Mais le budget militaire s’élevait à 7,5 millions de dollars en 2003 et la majorité des soldats ne percevait que 400 dollars américains de salaire annuel.
Par ailleurs, l’omniprésence des forces de sécurité cache des manques terribles. Les services chargés de la lutte contre les narcotrafiquants, qui ont commencé à faire de ce pays un narco-Etat, ne comptent que 60 agents avec des moyens logistiques dérisoires. Jusqu’à une date très récente, cette police judiciaire ne disposait que d’un véhicule de service, souvent garé dans la cour de l’Institution, faute de carburant.
L’armée bissau-guinéenne est aussi caractérisée par le vieillissement de ses troupes, le manque de formation, la modicité des salaires et une pléthore d’effectifs qui demeure une des conséquences de la lutte de libération et des conflits récurrents dans le pays. Près de 7.882 militaires, policiers et milices, avaient été démobilisés entre 2003 et 2005, dans le cadre de l’application de la première phase de la réforme de l’armée et des services de sécurité. Mais le processus n’avait pas été conduit jusqu’à son terme à cause du manque d’argent et de l’instabilité politique.
Avec les changements attendus dans le cadre de l’exécution de cette seconde phase, allant de 2007 à 2009, les effectifs de la Gendarmerie, réputée pour l’indiscipline de ses troupes, devraient passer de 3 000 à 1 200, tandis que le ratio de la police serait ramené à 190 agents pour 100.000 habitants, contre 284. Reste à savoir si ce processus pourra être conduit à terme sans heurts, pour permettre à la Guinée Bissau de ne plus être prisonnière d'une armée incontrôlable et entrer dans une phase pérenne de démocratie apaisée.
* Mamadou Aliou Diallo a travaillé pendant plusieurs années comme correspondant de plusieurs agences de presse en Guinée Bissau.
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