Guinée Bissau : Quelles nouvelles orientations au pays d’Amilcar Cabral ?
La Guinée-Bissau, un pays d’environ 1,5 millions d’habitants et de la dimension de la Suisse, comptait, dans les années 1970, parmi les pays ayant le plus grand indice d'aide au développement par habitant. L'énorme prestige dont il jouissait au sein de la communauté internationale reposait sur des options assumées par les autorités politiques d'alors et qui pouvaient servir d'exemple à plusieurs titres. Bien qu’ayant adopté une orientation fidèle au non-alignement et à la pensée d'Amílcar Cabral, les dirigeants du pays ne sont jamais allés jusqu’à déclarer le marxisme-léninisme comme idéologie d'État, ainsi que l’ont fait leurs «compagnons de lutte» d'Angola et du Mozambique.
Jusque dans la première moitié des années 1980, et malgré des insuffisances enregistrées ici et là, le pays a donné des preuves d'utilisation judicieuse de l’aide internationale. Des progrès significatifs avaient été ainsi atteints dans les domaines sociaux, notamment en matière de scolarisation et d'alphabétisation, d’espérance de vie à la naissance et par rapport au taux de mortalité maternelle et infantile.
Plus de trente ans après ces glorieuses années, le pays semble avoir régressé à tous les niveaux. Pratiquement tous les secteurs de la vie nationale se trouvent plongés dans la crise et sans perspectives de solutions, malgré les efforts et l'attention que la communauté internationale lui accorde. La Guinée-Bissau d’aujourd'hui ne semble plus cheminer sur les sentiers de l’Etat de droit et ressemble à ces pays où les institutions, notamment celles liées à l'administration judiciaire, éprouvent de sérieuses difficultés de fonctionnement. Ces pays où les institutions qui constituent les piliers de la souveraineté de l'État ont du mal à coordonner leurs actions.
Plus préoccupant encore, les derniers développements indiquent qu’on se dirige vers une crise sociale et politique aux conséquences imprévisibles. Parmi ces développements négatifs, deux éléments semblent jouer un rôle central : le développement du trafic de drogue et le malentendu entre les structures de l'État, notamment entre la présidence de la République et les hauts gradés des forces armées.
Quelques observateurs internationaux se sont précipités pour qualifier la Guinée-Bissau de narco-Etat. Cette appréciation est loin de correspondre à la réalité, dans la mesure où ce pays ne se réunit pas les conditions pour le devenir. Les possibilités en termes d'organisation, de coordination et d'efficacité des structures et des institutions, pour aller vers un narco-Etat, sont loin d’être réunies. Par ailleurs, l’implication de hautes personnalités de l'État dans des affaires liées à la drogue ne peut être perçu comme un engagement des institutions dans de telles entreprises.
Il reste que si la Guinée-Bissau n’offre pas les conditions pouvant mener aul’établissement d’un narco-Etat, le trafic de drogues et la criminalisation de certaines sphères de l'État commencent à faire effet. Le pays est désormais considéré par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) comme « la principale porte d'entrée de la cocaïne en Afrique de l’Ouest». Ce qui a contribué à détruire le peu de crédibilité étatique dont le pays disposait encore. Une des meilleures illustrations réside dans les malentendus entre la police et les forces militaires, qui aboutissent parfois à des confrontations directes.
Un autre facteur aggravant commence à se faire sentir au niveau de la santé et le bien-être des populations. Récemment, le Mouvement national de la société civile guinéenne estimait que le crime organisé autour du trafic de drogue avait «de graves répercussions sociales sur le quotidien des citoyens, en particulier sur la corruption, l'insécurité et la santé mentale des jeunes». Initialement qualifié de simple pays de transit, la Guinée-Bissau commence en effet à révéler des indices croissants et préoccupants de consommation de stupéfiants par les populations.
La désarticulation des structures de l'État, à laquelle on assiste, a été un des facteurs ayant conduit à la guerre civile de 1998. Aujourd'hui elle est en train de rendre difficile la stabilité politique dont a besoin le pays, rendant incertain tout pronostic quant à son développement. Cette désarticulation est surtout notoire dans les relations entre le président de la République, constitutionnellement reconnu comme le garant de la stabilité du pays, et la hiérarchie des forces armées qui, de par la loi fondamentale, sont considérées comme les garants de la sécurité intérieure et de l'ordre public du pays (Art. 20).
Aujourd’hui, l'interférence des officiers dans la gestion des affaires a atteint un niveau tel qu’ils pèsent dans la nomination des membres du gouvernement, en se prévalant, à cet effet, de la tacite approbation du chef de l'Exécutif qui, à son tour, semble intéressé, pour des raisons que la raison d’Etat ignore, à maintenir une alliance douteuse avec cette hiérarchie militaire. L'existence de deux types de pouvoir antagoniques, entre le pouvoir constitué et le pouvoir parallèle des militaires, reste la cause principale de l'instabilité chronique que connaît la Guinée-Bissau.
Au cours de ces deux dernières années, cette dualité du pouvoir a été personnifiée par le chef d'Etat-major des Forces armées qui, paradoxalement, se considère comme le défenseur des règles de fonctionnement d'un État démocratique. Une telle interférence des militaires dans des sphères normalement réservé aux élus ou à des personnes dûment mandatées, de même que leur implication dans le trafic de drogue, tendent à se transformer en menace à la stabilité político-militaire du pays. A cela s’ajoute la constitution d'alliances au sein des forces armées elles-mêmes et le développement d’un type de relations, entre hommes politiques et militaires, qui, loin de se baser sur des principes républicains, tendent à privilégier des soubassements ethniques.
L'approche des élections législatives, prévues le16 novembre 2008, ouvre de nouvelles perspectives au développement du pays. Notamment le retour à la stabilité politique, à la pacification sociale et à la croissance de l'économie. Mais ces perspectives peuvent se heurter à des obstacles. Le spectre d'une bipolarisation des candidatures, avec d'un côté le PAIGC, représenté par l'ex-Premier ministre Carlos Gomes Junior, et de l'autre le PRS de Kumba Yala (même si ce dernier a déclaré ne pas être candidat) préfigure trois scénarios électoraux.
Le premier scénario porte sur une victoire du PAIGC avec une majorité absolue qui lui permettrait de gouverner seul et d’aller vers sa réunification. Le pays connaîtrait alors une certaine stabilité politique, facilitée entre autres par la réduction du pouvoir parallèle des militaires, qui perdraient l’influence qui leur permet de peser sur le gouvernement, dans un contexte d'approfondissement de la restructuration des Forces armées, avec des promesses de bonnes retraites. Ce scénario s’accompagnerait d’une amélioration de la situation économique du pays, facilté, entre autres facteurs, par la crédibilité internationale dont jouit le Premier ministre et les opportunités, pour le pays, de mobiliser des financements extérieurs.
Le deuxième scénario verrait le PRS, soutenu par l'actuel chef d'État major des armées et par des subordonnés appartenant à la même ethnie que Kumba Yala, exercer le pouvoir sur la base d'une majorité parlementaire absolue. Cette éventualité pourrait être facilitée par une alliance tacite entre deux ex-candidats à l’élection présidentielle de 2005, à savoir Malam Bacai Sanhá, originaire de l'ethnie beafada, et Kumba Yala, président du PRS, récemment converti à l'Islam. Un tel scénario ferait revenir, peut-être avec plus de force encore, le danger d'un gouvernement basé sur des affinités ethniques, tel qu'il est arrivé dans le dernier mandat présidentiel de Kumba Yala (2000-2003). Et il n'exclurait pas un processus de chasse aux sorcières.
Par ailleurs, l'intervention des militaires dans les affaires politiques continuerait d’être une réalité, du fait du renouvellement des alliances basées sur les réseaux et les affinités ethniques. Tout serait donc propice à la perpétuation de l'instabilité politique, à l’aggravation de la récession économique, à la cessation de l’appui des partenaires économiques du fait d’une mauvaise gouvernance.
Le troisième scénario serait celui où aucun des partis en lice ne sortirait de ces élections avec une majorité absolue et que, face à l’équilibre des voix, les deux plus grandes formations politiques ne se retrouvent obligés de constituer un gouvernement d'union nationale. Le pays connaîtrait une certaine stabilité politique, mais on serait loin d’avoir un gouvernement compétent, à la hauteur des défis que la situation socio-économique et politique impose.
Vu les expériences du passé, le Premier ministre appelé à constituer un tel gouvernement aurait tendance à privilégier non pas la compétence des membres du gouvernement, mais la recherche d’un équilibre dans la distribution des postes entre les différentes forces politiques. On se retrouverait avec un gouvernement à la compétence technique limitée et en conséquence incapable de trouver les solutions aux problèmes du pays. Ses membres obéiraient plus à des orientations et à des stratégies partisanes, qu'aux intérêts du pays et aux directives du Premier ministre élu. Une telle situation a été vécue avec le Pacte de stabilité politique nationale signé en 2007 entre le PAIGC, le PUSD et le PRS. Prévu, en principe, pour garantir la stabilité politique, il avait fini par être mis en cause par le PAIGC. Ce schéma est le meilleur moyen de continuer dans l’errance sans prendre en charge les problèmes de fond.
Le chemin le mieux indiqué pour la patrie d'Amilcar Cabral tarde à être trouvé et le spectre de la crise qui continue de planer sur la Guinée-Bissau démontre, encore une fois, que l’avenir du pays continue de dépendre des caprices et des agendas des élites politique et militaire qui, au détriment des règles institutionnelles, cultivent les relations personnelles et le clientélisme.
* Carlos Cardoso est philosophe, chercheur et directeur exécutif du Codesria
* La version originale de ce texte est parue dans l’édition portugaise de Pambazuka News. Elle peut être consultée à l’adresse suivante :
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