Guinée : Deux profils différents pour la bataille du second tour à la présidentielle
L’élection présidentielle guinéenne du 27 juin va connaître des prolongations. Sur les vingt-quatre candidats en lice, deux se sont détachés pour s’affronter dans un 2e tour qui aura lieu le 18 juillet. Il s’agit de Cellou Dalein Diallo, de l’Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg), crédité de 39,72% des suffrages au 1er tour, et d’Alpha Condé, leader du Rassemblement du peuple de Guinée (Rpg), qui rassemblé 20, 67%. Mamadou Aliou Diallo dresse le profil de ces deux challengers qui vont se disputer la charge de la magistrature suprême en Guinée.
Alpha Condé : la dernière carte ?
Né en 1938 à Boké (Ouest du pays), le Professeur Alpha Condé, se présente pour la troisième fois, à une élection présidentielle en Guinée. Il a été investi, au mois d’avril dernier, par les militants de son parti, candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (Rpg) dont il est le fondateur.
Ses atouts : A 73 ans, ce vieux routier de la politique guinéenne et leader charismatique du Rpg, joue sa dernière carte. Economiste de formation, Alpha Condé se présente peut-être la dernière fois à un scrutin présidentiel après ceux de 1993 et de 1998 remportés par le défunt président, le général Lansana Conté. Il dispose d’un électorat fidèle chez les Malinkés (en Haute Guinée, son fief) ainsi que dans la capitale Conakry, notamment parmi les intellectuels et commerçants malinké. Il dispose aussi d’un solide réseau des relations avec des d’Etat africains dont Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire et Blaise Compaoré du Burkina faso, qui pourraient lui être utile dans la mobilisation des fonds pour sa campagne électorale sans compter le soutien de certains de ses militants.
Opposant historique aux différents régimes qui sont succédés en Guinée depuis l’indépendance du pays en 1958, le professeur Alpha Condé se définit comme « le candidat aux mains propres », pour n’avoir jamais participé à l’exercice du pouvoir. Ce qui lui vaut une certaine considération parmi les opposants aux gouvernements précédents qui l’avaient martyrisé pour ses opinions. Bien que Malinké, ethnie à laquelle appartenait l’ancien président guinéen, Sékou Touré, Alpha Condé avait en effet été condamné à mort par contumace en 1970 par le régime du parti unique. Il passera plusieurs années à l'étranger, jusqu'au coup d'Etat militaire de 1984 qui mit fin à 26 ans de régime autoritaire dirigé par le Parti Démocratique de Guinée/ Rassemblement Démocratique Africain (PDG/RDA) après la mort, quelques jours plus tôt, de Sékou Touré.
Alpha Condé retourne en Guinée à la faveur de l'instauration du multipartisme au début des années 1990 et se présente aux élections présidentielles de 1993 et de 1998 remportées par le général Conté. Il se console alors d'un poste de député à l'Assemblée nationale où il n'a presque jamais siégé. Arêté quelques jours après le scrutin de 1998 et condamné à 5 ans d'emprisonnement pour "atteintes à l'autorité de l'Etat et à l'intégrité territoriale", il bénéficiera d'une grâce présidentielle 20 mois plus tard. Ses faiblesses : En dehors du Mandé (pays des Malinké) et de Conakry, le Rpg n’est pas encore bien implanté dans les autres régions. C’est le cas par exemple dans les régions administratives de Mamou (centre du pays), Labé (Nord), Boké (ouest) et dans une moindre mesure en Guinée forestière où existe quand même une forte communauté malinké. La présence à cette élection d’une multitude de candidats d’origine malinké, dont l’ancien Premier ministre, Lansana Kouyaté, a été un facteur d’émiettement de son électorat traditionnel pour le premier tour. Reste à savoir si les facteurs de rassemblement vont également jouer sur cette base qui reste malgré tout déterminante.
Alpha Condé est aussi le seul des 24 candidats à cette présidentielle à avoir passé la plus grande partie de sa vie à l’étranger. C’est dire que contrairement aux autres, il ignore certaines réalités du pays. Il manque aussi d’expérience en matière de gestion des affaires publiques pour n’avoir jamais géré un poste de responsabilité dans l’administration guinéenne. Son âge (73 ans) pourrait également constituer un handicap. D’aucuns le trouvent en effet trop vieux pour diriger le pays et souhaitent plutôt avoir un président plus jeune, incarnant la rupture avec une vision passéiste de la gestion du pouvoir et résolument tourné vers l’avenir, à l’image de Barack Obama. Le leader du Rpg fait aussi peur à la communauté libano-syrienne qui craint, une fois élu, qu’il les chasse du pays sous prétexte de lutter contre la corruption. A ce propos, le passé poursuit Alpha Condé, dont cet extrait du journal de son parti date de juillet 2003, avec ce titre: «Pourquoi devons- nous barrer la route aux libano- syriens et à tous leurs semblables ».
Cellou Dalein Diallo : Le credo de l’unité nationale
Né en 1952 à Dalein, dans le Fouta- Djalon, nord du pays, Cellou Dalein Diallo a été Premier ministre (2004-2006) du feu général Lansana Conté. Limogé en catimini et contraint momentanément à l’exil, il est revenu au-devant de la scène politique nationale en 2008 et rejoint l’Union des forces démocratiques de Guinée (Ufdg) qui le désigne candidat à l’élection présidentielle.
Ses atouts : A 58 ans, Cellou Dalein Diallo s’est lancé à la conquête du pouvoir en dénonçant l’ethnocentrisme qui menace l’unité et la cohésion nationale. Sa popularité dérangeait jusque dans la junte militaire quand celle-ci a pris le pouvoir. Il devint alors la cible des attaques tous azimuts, les autorités brandissant même l’épouvantail des audits sur sa gestion en tant qu’ancien Premier ministre. D’autres lui collent des étiquettes ethnocentristes. Il fait partie de ceux qui ont failli perdre leur vie pendant la sanglante répression du 28 septembre 2009 et s’en sort avec plusieurs côtes brisés, devant des militaires qui avaient reçu l’ordre d’éliminer physiquement certains responsables des partis politiques regroupés au sein du Forum des Forces vives.
Cellou Dalein Diallo jouit d’une popularité en Moyenne Guinée, son fief. Il dispose d’un réservoir électoral dans les régions administratives de Labé (nord du pays), Mamou (centre), Boké (ouest) et à Conakry. Outre l’électorat traditionnel de l’Ufdg, il recrute aussi dans les rangs du Parti de l’Unité et du Progrès (Pup) de l’ancien président Lansana Conté et de l’Union pour le progrès et le renouveau (Upr) de Siradiou Diallo, ancien journaliste à l’hebdomadaire Jeune Afrique, décédé il y a trois ans. Il est aussi entrain de faire une percée remarquable dans les autres régions du pays, si l’on tient compte de la mobilisation suscitée par son parti depuis le début de la campagne électorale, le 17 mai dernier. C’est le cas notamment dans le Mandé (pays Malinké) comme Siguiri, Kankan ainsi qu’en Guinée forestière dont Kissidougou et Nzérékoré.
Il est le candidat qui connaît le mieux les différents rouages de l’administration guinéenne pour avoir travaillé pendant plus de 30 ans dans la Fonction publique. Il a occupé onze postes ministériels dont celui de l’Equipement. Ce qui lui a permis de réaliser un certain nombre d’infrastructures le pays qui ont fait partie de ses arguments de campagne. Notamment le pont de Djélibakoro et celui sur le fleuve Tinkisso, ainsi que la route qui relie Kankan à Kourémali via Siguiri, en haute Guinée.
Ses faiblesses : Ses adversaires l’attaquent sur son bilan. Sa longévité dans le gouvernement du général Lansana Conté, la versatilité de l’électorat peul et les soupçons de non neutralité de l’administration et de certains membres du gouvernement de transition qui pourraient fausser le jeu démocratique. Il pourrait aussi être victime du vote ethnique en dans ce second tour de la présidentielle.
* Mamadou Aliou Diallo est un journaliste d’origine guinéenne. Il a eu à travailler avec plusieurs agences de presse panafricaines.
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