Guinée : Halte à l’Etat barbare
Outre la furieuse indignation qu’ils soulèvent en chacun de nous, les récents massacres de Guéckédou, de Zogota et de Siguiri, nous rappellent cruellement mais à point nommé (à quelque chose, malheur est bon !) que nous vivons toujours sous le règne des barbares ; que la démocratie à laquelle nous avons tant rêvé, pour laquelle notre peuple a déjà sacrifié des milliers de ses fils, reste encore une lointaine utopie.
Nous sommes en dictature ! Ce n’est plus la peine de se voiler la face ! Ouvrons les yeux, rendons- nous compte de notre méprise : l’élection présidentielle ne fut qu’une tragique erreur de casting. Alpha Condé ne possède pas les qualités requises pour diriger un Etat, il n’a pas la richesse d’esprit et de cœur qu’il faut pour rassembler une nation ou animer une démocratie. C’est un dirigeant à l’ancienne. Son régime porte en lui toutes les tares de ceux qui l’ont précédé : l’arrogance, le tribalisme, l’incompétence, le laisser-aller, l’irrépressible propension à diviser les Guinéens et à verser leur sang.
Quand Alpha Condé nous disait qu’il allait prendre la Guinée là où Sékou Touré l’a laissée, nous pensions qu’il ne s’agissait-là que d’une simple boutade. Ses propos et les actes qu’il pose depuis son « élection » nous montrent sans l’ombre d’un doute que nous sommes devant un programme savamment planifié et fondé sur une idée mûrement réfléchie. La RTG sous la coupe du parti au pouvoir, la presse privée sans cesse harcelée, les faux complots, les magistrats aux ordres, les procès mis en scène, les exactions de toutes sortes commises par les soldats, les gouverneurs, et les préfets nous donnent déjà un copieux avant-goût de ce cauchemar et nous entrevoyons avec beaucoup d’effarement ce qui nous attend si nous laissons faire.
Nous sommes des Guinéens c’est-à-dire de pauvres bougres trimballant derrière eux une vie pesant pas moins de 54 ans de misère et de sang. Nous ne laisserons personne nous expliquer ce que signifie ou ce que peut coûter une dictature. Quand demain ou tout à l’heure, s’ouvriront de nouveaux camps Boiro ou se remettront à crépiter les mitraillettes du 28 septembre, personne ne dira qu’il ne savait pas. Entendons-nous bien, Guinéens : si Alpha Condé devient un nouveau Sékou Touré, un nouveau Lansana Conté, un nouveau Dadis Camara ou un nouveau Sékouba Konaté, nous en serons tous responsables : les uns par leur soutien aveugle, les autres par leur lâcheté.
La tyrannie, nous en connaissons la couleur et la forme, l’envers et l’endroit, les tenants et les aboutissants. Nous savons que les apprentis tyrans procèdent par ballons d’essai : ils commencent par vous couper un doigt, puis la main, puis le bras puis… Pour eux, si vous ne réagissez pas, c’est que vous êtes consentants, ou suspects ou coupables. Pour eux, le silence est un aveu de faiblesse. Les agneaux sont silencieux donc ils sont à sacrifier. Il y a 54 ans que l’on nous sacrifie, nous, les agneaux guinéens, silencieux et dociles, silencieux et mous, silencieux et résignés, silencieux et impuissants, silencieux et apeurés, silencieux et indignes, silencieux et… Pour des hommes qui n’en valent pas la peine, pour des causes aussi confuses que dénaturées ! Jusqu’à quand ?
Il est temps de se réveiller, temps de se mettre debout, temps pour tous les citoyens de prendre en charge leur destin ! La misère, la torture, la corruption, le népotisme et les élections truquées ne sont pas une fatalité. Les peuples qui se battent finissent toujours par gagner. Gagner quoi au juste ? La liberté et le riz, le savoir, le droit de parler, le droit de vivre, le droit de rêver et par-dessus tout, la dignité. Oui, la dignité, notre dignité ! Battons-nous pour elle ! Battons-nous pour nos morts ! Les victimes du Camp Boiro, les martyrs du 27 janvier 2007 et ceux du 28 septembre 2009 doivent savoir qu’ils ne sont pas morts pour rien.
Comme dirait l’autre, nous n’avons rien à perdre hormis nos chaînes. Et je suis tenté d’ajouter le bâillon, la disette, les routes défoncées, les hôpitaux infestés de rats, l’enseignement au rabais, les pannes de courant, les coupures d’eau…
Guinéens, il est temps, grand temps d’en finir avec la dictature, quelle qu’en soit la forme !
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** Tierno Monénembo est un écrivain guinéen
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