Insaisissable Guinée Bissau

Le deuxième tour de la présidentielle en Guinée Bissau, qui a porté au pouvoir Malam Bacai Sanha le 26 juillet 2009, est un nouvel espoir pour sortir ce pays d’une tendance vers la « somalisation ». Cependant, pour un pays qui n’a pas connu de stabilité politique réelle depuis le début des années 1980 et a traversé de nombreuses péripéties dramatiques, les équilibres sont précaires. Mais pour Eugène Tavarès, si un début de prise de conscience se manifeste au niveau national, le salut de la Guinée-Bissau ne repose pas seulement sur les fils de ce pays. Cela relève aussi de la responsabilité et de l’implication de l’Union africaine et de la communauté internationale.

La Guinée-Bissau vient de donner la preuve éclatante qu’il est un pays insaisissable, dans tous les sens du terme. Les récentes élections présidentielles qui, de l’avis de tous les observateurs se sont déroulées dans le calme, la transparence et un fort esprit de civisme, ont confirmé que ce peuple sait faire la différence entre les événements politiciens et l’intérêt supérieur de la nation. Les Bissau-Guinéens ont aussi donné un signal fort, très peu souligné, qu’ils constituaient un peuple mûr, souverain, en dépit de la tentative de certains groupes d’individus foncièrement nocifs de les soumettre à leur diktat.

Alors que la communauté internationale attendait au deuxième tour un duel entre Henrique Rosa et un des deux autres candidats, à savoir Kumba Ialá, candidat du Parti de la rénovation sociale (PRS), et Malam Bacai Sanha, candidat du Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), les Bissau-Guinéens ont choisi, le 28 juin, au premier tour, Malam Bacai Sanha et Kumba Yala, démontrant ainsi qu’ils étaient seuls maîtres de leur destin.

L’élection de Malam Bacai Sanha, au deuxième tour, le 26 juillet dernier, avec 63% des voix, ce qui est très confortable, constitue un autre pied de nez à la communauté internationale. En effet, on aurait pu penser les Bissau-Guinéens lassés du PAIGC, mais voilà à nouveau ce parti aux commandes du pays après des expériences dont on ne peut pas dire qu’elles ont été concluantes, c'est-à-dire profitables pour le peuple. Le choix des Bissau-Guinéens est en cela un peu déroutant.

Le fait que ce parti ait libéré le pays du joug colonial ne peut plus constituer une raison suffisante de le porter au pouvoir, et ce n’est pas non plus un programme de gouvernement. Le peuple de Guinée-Bissau doit maintenant dépasser le sentiment qu’il est redevable à vie au PAIGC. Quoiqu’il en soit, il s’est exprimé et il faut respecter son choix. C’est cela la démocratie. Les institutions doivent maintenant pouvoir fonctionner normalement.

De nombreux observateurs et acteurs de la vie politique, économique et sociale de la Guinée-Bissau se poseront certainement la question de savoir ce que peut faire le PAIGC aujourd’hui, qu’il n’a pas su faire hier. Il y a aujourd’hui, nous semble-t-il, une véritable prise de conscience de toutes les sphères de décisions du pays, de la nécessité de sortir la Guinée-Bissau des ornières. Aucun dirigeant ne peut faire fi de cette attente du peuple, sauf à vouloir faire un suicide politique ou « réel ».

La patience a ses limites et nous vivons peut-être là l’expérience démocratique de la dernière chance en Guinée-Bissau. Le nouveau président de la République doit saisir cette opportunité pour assainir le pays dans tous les domaines, avec l’aide des partenaires internationaux. Il doit en outre activer les leviers pouvant engager le pays dans la voie de la stabilité et du développement. Nous ne reviendrons pas sur les pistes de réflexions que nous avons dégagées précédemment. Nous ajouterons cependant qu’une des priorités de Malam Bacai Sanha devrait être d’organiser une sorte d’états généraux de l’armée. Cette tâche est relativement aisée pour lui, puisque les hauts gradés de cette institution sont, pour la plupart, ses anciens compagnons de lutte. Tant que l’armée ne s’inscrira pas dans une logique de respect des institutions et de la démocratie, nous pouvons être sûrs que les élections ne seront toujours que des coups d’épée dans l’eau.

Le chef d’Etat major de l’armée, le général José Zamora Induta, en exhortant les différents candidats malheureux à respecter le verdict des urnes, donne là un signal que tout le monde apprécie. Il faut que cet état d’esprit perdure et permette au président nouvellement élu d’envisager son mandat avec plus de sérénité. Cela fait plus de vingt ans que la Guinée-Bissau patauge. Il est temps qu’il sorte de la boue.

Face à l’armée, la jeunesse doit jouer un rôle de contre-pouvoir. Elle est la seule force capable d’incarner véritablement le changement dans le pays. C’est la seule alternative crédible contre laquelle l’armée sait qu’elle est impuissante. La jeunesse bissau-guinéenne ne s’est jamais vraiment manifestée durant ces deux décennies de violence et d’instabilité. Pourtant, le tempérament du Bissau-Guinéen n’est pas celui de la soumission. Si les autorités qui seront mises en place ne prennent pas le chemin de la normalisation, il y a gros à parier que la Guinée-Bissau court un grand danger de « somalisation ».

Le PAIGC ne doit pas gâcher la chance qui lui a été offerte de redorer son blason depuis longtemps terni par toutes les vagues d’assassinats, l’instabilité chronique du pays et une pauvreté extrême. Le président n’a qu’à replonger dans les archives de son parti pour redécouvrir les ambitions, les projets que ce dernier avait pour la Guinée-Bissau du temps d’Amílcar Cabral.

Encore une fois, le pays doit refermer ses plaies, se réconcilier et s’unir comme du temps de la lutte de libération. Sans oublier les événements tragiques, qui font maintenant partie de son histoire, il doit en tirer les leçons pour bâtir une société solide, de progrès et de prospérité. Le président doit tendre la main à tous les fils de Guinée-Bissau, et nous avons même envie de dire, à toutes les bonnes volontés, pour sortir définitivement le pays des heures sombre de son histoire post-indépendance. Il ne doit pas répéter les erreurs commises par son parti après la libération, en s’engageant dans une chasse aux sorcières et dans une politique d’épuration qui ont été préjudiciables au pays. Il s’agit surtout, aujourd’hui, de faire appel aux hommes et aux femmes compétents de ce pays pour entamer la reconstruction.

La communauté internationale, à travers ses différents mécanismes de financement, d’aide et d’appui au développement doit résolument se mettre aux côtés de la Guinée-Bissau. En le faisant, elle fait non seulement œuvre utile, mais elle prévient aussi le risque d’une déstabilisation de la sous-région.

Les organisations africaines sont concernées au premier chef. Le rôle premier de l’Union Africaine ne doit pas être d’assurer le développement des Etats membres, mais d’instaurer la paix sur le continent tout entier. L’organisation ne sera crédible que lorsque qu’elle permettra, à travers ses différents instruments et mécanismes de fonctionnement, à des pays comme la Guinée-Bissau de retrouver définitivement la stabilité. Les pays africains ne pourront résolument se consacrer au développement que lorsqu’ils seront définitivement débarrassés du poids des guerres, des coups d’état, des menaces de déstabilisation de toutes sortes. La Guinée-Bissau ne fait pas exception. Les récentes élections sont un signe encourageant qu’il faut consolider et pérenniser.

« Malam Bacai Sanha, ora tchiga », disait le slogan de campagne. Oui, l’heure est arrivée de transformer ce pays en une véritable démocratie et en une société de progrès, non pas au profit d’une minorité, mais au profit de tous les Bissau-Guinéens.

Ce peuple a envie de démontrer qu’il sait faire autre chose que de vivre et de survivre dans les crises.
Bonne chance Président Malam Bacai Sanha. Que les esprits de Cobiana vous accompagnent.

* Eugène Tavares est Dr en Études portugaises, brésiliennes et de l’Afrique lusophone, diplômé d’Études diplomatiques supérieures - Écrivain-chercheur

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