La lutte contre le sida freinée par la crise financière internationale
La crise financière mondiale s’est invitée à la 15e Conférence internationales sur le sida et les maladies infectieuses (CISMA ; ICASA en anglais) qui s’est tenue à Dakar du 3 au 7 décembre 2008). La décision prise par le Fonds mondial de réduire ses prochains financements de 10 % (1re phase) puis de 25% suivant des conditionnalités (2e phase) constitue un choc. Les coupes ainsi prévues se montent à 3 milliards 100 millions de dollars. La mesure, prise lors du Conseil d’administration de l’agence tenu du 7 au 8 novembre 2008, est justifiée par la décision des bailleurs de fonds de réduire leurs engagements financiers. Ceci dans un contexte de crise financière internationale. Pour les organisations de la société civile africaine engagées dans la réponse à l’épidémie à VIH, c’est le début d’une ère d’incertitudes.
En prenant rendez-vous pour cette 15e CISMA, les activistes et les décideurs africains engagés dans la réponse au sida ne pensaient sans doute pas avoir à faire face à une telle «réalité». Derrière le thème choisi pour la conférence, à savoir «Réponse de l’Afrique : faire face aux réalités», il était plutôt question des défis qui se posent encore pour mieux faire face au Vih et au sida, mais aussi des acquis et des engagements forts notés ici ou là, poussant à l’optimisme quant au futur de l’Afrique face à cette maladie.
Des avancées existent, qui montrent que l’Afrique ne fait plus seulement que subir l’épidémie. Nombre d’expériences positives ont été avancées durant la conférence. Par exemple, sur un million 407 000 personnes sous Arv en 2006, en Afrique, sont venus s’ajouter 2 millions 10 000 autres malades du sida en fin 2007. Ce qui représente une augmentation de 54% en un an, soit la plus importante progression dans le monde. En matière de prévention de la transmission mère-enfant, on est aussi passé de 10% en 2004 à 33 % de femmes enceintes prises en charge en Afrique, en 2007. (1)
Un environnement favorable commence à se mettre en place dans beaucoup d’autres domaines pour mieux contenir l’épidémie. Il se traduit, entre autres, dans des approches politiques positives en matière de genre, qui aident à mieux faire face à la féminisation du sida, dans le vote de lois qui garantissent les droits des personnes vivant avec le Vih, voire dans une inclusion plus poussée des minorités sexuelles ou autres.
L’optimisme dans lequel cette 15e CISMA pouvait baigner (sans occulter les défis à relever encore dans la réponse multidimensionnelle qui s’impose face au sida), a été ainsi assombri par la décision du Fonds mondial. Venant du principal bailleur des Etats, des ONG et autres associations communautaires engagées dans la mobilisation contre le sida, cette décision présente des conséquences prévisibles sur la prise en charge correcte des malades et sur les activités de prévention en Afrique. Mais aussi des conséquences sur lesquelles on s’interroge.
Une lettre ouverte lancée par des organisations de la société civile, au cours la 15e CISMA, pose les enjeux futurs et précise les risques qui pourraient en découler. La question majeure qu’elle soulève est de savoir si la communauté des bailleurs, à laquelle est adossée le Fonds mondial, va continuer à respecter ses engagements pour faire face à «ces machines à tuer dans les pays en développement» que sont le sida, le paludisme et la tuberculose, les trois maladies prises en charge cet organisme. Ou si ces bailleurs vont tourner le dos aux drames humains qui frappent des centaines de millions de personnes infectées et affectées de par le monde.
Les premiers éléments de réponse sont là. Dans les 18 mois qui viennent, les fonds jugés nécessaires pour le financement des programmes souscrit au niveau du Fonds mondial s’élèvent à 8 milliards de dollars. Soit moins de 1% de ce qui a été investi dans le sauvetage des banques du Nord, par les gouvernements, face à la crise financière mondiale. Cela représente peu pour justifier, de la part de ces même bailleurs, une remise en cause aussi drastique des financements attendus.
L’indignation est d’autant plus vive pour les organisations africaines engagées dans la lutte contre le sida, que , «pour la première fois, les pays ont proposé des plans de qualité et bien budgétisés, qui ont passé avec succès le comité technique d’examen des propositions». Ainsi, l’appel à proposition a vu la demande des pays atteindre les 6 milliards de dollars. A savoir un niveau de financement qui commence à permettre de «satisfaire les besoins réels pour l’accès universel au traitement, aux soins et à la prévention». Mais avec les coupes annoncées, de nouveaux projets de lutte contre le sida vont être compromis à hauteur de 2,75 milliards de dollars. Or, leur financement aurait permis au Fonds mondial «d’être sur la bonne voie pour atteindre son objectif de 6 à 8 milliards de dollars de financement total par an». (1)
Dans un dossier de presse publié par l’ONG française AIDES durant la 15e CISMA, on apprend que lors de la réunion du Fonds mondial avec ses bénéficiaires, le 6 novembre, le ministère français des Affaires étrangères avait «demandé que le Fonds réalise des économies sur les traitement indispensables au malades africains, arguant que la crise financière obligerait l’Afrique à faire des économies sur la santé». Paris aurait aussi suggéré «que les 700 millions de dollars demandés au Fonds mondial par 25 pays pauvres dit «2B» soient refusés. Parmi ces pays figurent le Burkina, le Congo et le Burundi». Dans le même temps, poursuit AIDES, le gouvernement français a investi 300 milliards pour sauver un système financier mis à mal par les spéculateurs boursiers.
Cette restriction des fonds risque de briser un élan porteur. Dans la lancée des efforts jusqu’ici accomplis en Afrique, la lutte contre le sida peut en effet atteindre un «score» appréciable dans l’atteinte des Objectifs de développement du millénaire en 2015. Ceci en termes de maîtrise ou de réduction des taux de prévalence. Les responsables de programmes nationaux, d’ONG et d’associations communautaires qui ont fait part de leurs résultats dans le cadre de la 15e CISMA, soulignent avoir encore du chemin à faire pour l’atteinte des objectifs de prévention et de prise en charge de la maladie, mais les progrès qu’ils ont étalés prouvent qu’une dynamique positive existe pour amoindrir le poids de l’épidémie à Vih sur le continent. Cela a commencé à se traduire dans la baisse des taux de prévalence qu’on note depuis deux ans sur le continent, même si nombre de pays se situent toujours au-delà des 3% qui constituent le début du stade de l’épidémie généralisée.
Dans son rapport 2007, l’Onusida estime à 33,2 millions le nombre de personnes vivant avec le VIH dans le monde, à 2.5 millions le nombre de nouvelles infections, et à 2.1 millions le nombre de personnes décédées du sida dans le monde. Parmi les nouvelles infections, 1,7 millions ont eu lieu en Afrique subsaharienne, soit la première baisse dans la région depuis l'apparition de l'épidémie. Mais cette région demeure la plus sévèrement touchée, avec au total 22.5 millions de personnes vivant avec le VIH, soit 68% du total mondial. (2)
Ces baisses découlent certes d’un changement et d’une amélioration des méthodes d’enquêtes et d’analyse des statistiques, mais elles témoignent aussi d’activités plus efficaces sur le terrain et d’engagements politiques plus forts de la part des Etats. Qu’en sera-t-il demain, devant la réduction des fonds alloués à la réponse à l’épidémie ?
Selon le directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (Anrs) en France, qui a tenu un point de presse lors de la CISMA, une des premières conséquences de la situation actuelle c’est que l’accès aux médicaments de seconde ligne va être plus difficile. «Et pourtant les malades vont en avoir besoin. Surtout ceux qui sont en échec (pour le traitement de première ligne). On risque de se retrouver avec un pourcentage élevé de malades multirésistants au virus et nous n’avons pas de solutions, dans la majorité des pays du sud, pour la prise en charge de ces traitements de seconde ligne», L’Oms estime que ces médicaments ne peuvent être accessibles pour moins de 1 200 dollars.
Cependant, si la situation est critique pour l’avenir des programmes anti-sida en Afrique, face à la crise financière internationale, c’est parce que l’implication des Etats n’est pas encore à la hauteur des engagements pris. En dehors du Ghana, aucun pays n’a respecté la recommandation faite par l’Oms de porter la part de la Santé à 10 % du budget national. Quant à l’engagement pris par les chefs d’Etat et de gouvernement à Abuja, en 2001, de porter à 15% des budgets le montant consacré à l'amélioration du secteur de la santé, il reste encore un vœu pieux.
Un leadership politique plus engagé et plus responsable est nécessaire face à une épidémie qui pèse sur le développement du continent. Mme Jeannette Kagamé, une des premières dames présentes à cette CISMA, l’a souligné. Pour elle, «cette pandémie exige que nous réinventions notre leadership. Il nous faut un leadership de conviction, un leadership novateur, un leadership politique responsable et engagé, un leadership faisant preuve d'intégrité morale et financière».
Nouveau directeur de l’ONUSIDA, en remplacement de Peter Piot, s’inscrit dans cette philosophie. Pour lui, pérenniser les ressources est «une question fondamentale en cette période de crise financière. D’après mon expérience, les ressources locales sont les plus durables. Les dons internationaux ont tendance à être dispersés et à entrer dans le cadre des stratégies politiques. La crise financière obligera les pays en développement à chercher eux-mêmes des ressources. Au lieu de considérer cela comme un problème, prenons le comme une opportunité. Cela peut ouvrir l’espace pour de nouveaux débats sur ce qui est important et ce qui l’est moins et peut inspirer une vision continentale de la façon dont on peut produire localement une partie de ce qui est nécessaire, avec des ressources nationales».
Dans cette génération de ressources locales, M. Sidibé dégage trois pistes : «D’abord, les gouvernements doivent s’engager pour que des ressources soient prévues dans les budgets nationaux (…) La deuxième action est d’élargir la base des revenus. Les gouvernements peuvent augmenter leur effort, élargir l’assiette fiscale et améliorer l’efficacité de la collecte des impôts. Ils peuvent développer un environnement plus attractif pour les investisseurs. La troisième action est d’explorer de nouvelles formes de financement, comme l’encouragement à la philanthropie africaine et à la participation du secteur privé» (4).
Un leadership tourné vers l’auto-responsabilisation s’impose donc, car le continent ne peut pas continuer à gager son avenir.
NOTES
(1) Lettre ouverte publiée par la société civile lors la 15e CISMA
(2)
(3) Entretien avec « Sunugal - Notre pirogue » (journal de la 15e CISMA)
* Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News.
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