La majorité et l'opposition : Des oiseaux du même plumage

La plupart des Congolais autant que les observateurs étrangers, sont d'avis que la RDC recule sous tous les rapports. Le système politique issu du processus électoral, sur lequel on avait fondé de grands espoirs pour le redressement du pays, n'arrive pas à répondre aux attentes de la population. Ce constat général sous-entend que le pays est confronté à un problème d'hommes politiques conscients, compétents et responsables pour assumer son destin.

Ces hommes ne peuvent se trouver que dans un corps qu'on appelle la classe politique. La majorité et l'opposition dans le système actuel représentent la configuration de cette classe politique congolaise active. Les hommes et les femmes qui la composent sont les mêmes, et ne sont pas mentalement différents les uns des autres. La majorité et l'opposition sont des étiquettes conventionnelles qui ne reflètent pas la réalité de ce qu'elles doivent être normalement en démocratie. Le Président Joseph Kabila lui-même n'en disconvient pas, dans son interview accordée dernièrement à un journal américain. Répondant à une question, il a avoué que dans son entourage, les collaborateurs ayant la même vision politique que lui peuvent être comptés sur les doigts de la main. Il a même fait allusion à la continuité de la mentalité politique héritée du régime de Mobutu.

Il ne croyait pas si bien dire. Il n'y a pas, dans le système actuel, de majorité et d'opposition pures. En d'autres termes, il n'y a pas de kabilistes bon teint et d'opposants constants. Les uns et les autres sont l'émanation d'une même classe politique versatile de la vieille école. De part et d'autre, c'est un mélange de mobutistes et transfuges de l'UDPS. Ils sont habitués à manger à tous les râteliers, et à adorer tout soleil levant. Ils sont nombreux dans l'Alliance pour la majorité présidentielle et dans l'opposition institutionnelle. Les oiseaux du même plumage, mais qui varient et adaptent leur ramage au gré des régimes qui se succèdent au gouvernail.

Ils ont été avec Mobutu et le vénéraient quand il était l'homme fort, et l'ont lâché après avoir compris qu'il ne faisait plus le poids. Ils s'étaient rapprochés de Tshisekedi lorsqu'il s'était révélé l'adversaire le plus redoutable de Mobutu et la coqueluche du peuple, mais l'ont trahi après s'être aperçus qu'il tardait à conquérir le pouvoir. Outre ceux qui sont dans la majorité et dans l'opposition, il y a aussi des francs-tireurs de cette classe politique, composés d'intellectuels dont certains professeurs d'université, qui galvaudent et monnayent leur savoir par l'apologie des thèses boiteuses et intéressées en faveur des autocraties.

Les uns et les autres se disposent à flatter bassement les dictatures naissantes et à les servir jusqu'à leur trébuchement. Ils tournent casaque aussitôt qu'ils sentent le vent changer de direction. Ils sont sans idéal ni principes auxquels ils peuvent demeurer constamment attachés. L'idéal patriotique et nationaliste de Lumumba a été trahi ; le mobutisme jeté dans les oubliettes. S'il y en a encore qui évoquent leurs noms ou qui se réclament d'eux, c'est sans aucune conviction sinon pour se faire remarquer sur la scène.

Début février 2002, juste au moment où les préparatifs du dialogue intercongolais étaient déjà très avancés, on avait vu nos politiciens s'aligner à l'ambassade de Belgique pour se faire remorquer de Kinshasa à Bruxelles comme des élèves partant en colonie des vacances, pour participer à une réunion politique dont ils ne maîtrisaient pas les tenants et les aboutissants. Le sens de l'honneur et de la dignité faisaient vraiment défaut. Pendant la transition, on voyait Louis Michel (Ndlr : alors commissaire européen) s'amener fréquemment à Kinshasa et réunir les politiciens à qui il s'adressait sur un ton condescendant et méprisant sans qu'ils bronchent le moins du monde.

Une classe politique mouvante

Plus de 200 partis politiques ont été enregistrés au ministère de l'Intérieur. Où sont les leaders de tous ces partis et que font-ils, car on entend parler seulement de l'AMP et de l'Opposition comme des comptoirs anonymes? En dehors des plénières du Parlement, le champ politique est pratiquement désert. Il n'y a pas de leaders politiques qui prennent des risques et montent au créneau pour réchauffer et animer la scène politique. Et pourtant, ce ne sont pas des événements qui manquent dans un pays classé lanterne rouge sur 178 les plus pauvres de la planète, et dont la souveraineté nationale et l'intégrité territoriale sont toujours menacées par des groupes armés et des voisins déterminés à élargir leur espace vital.

S'il y avait des hommes politiques dignes de ce nom et vigilants, ayant des assises populaires avérées, ils auraient été les premiers à faire du bruit autour de l'arrivée des troupes rwandaises au Nord-Kivu, tant et si bien que les hautes sphères officielles en auraient été embarrassées. L'intervention de Vital Kamerhe (Ndlr : président de l’Assemblée nationale, il a démissionné le ) n'aurait pas eu d'impact dramatique, car le pouvoir se serait vu en difficulté avec une classe politique dynamique, sourcilleuse et ombrageuse.

Même plus tard, la classe politique n'a pas récupéré cette affaire pour en amortir le contrecoup sur Kamerhe. Certains disaient de façon irréfléchie que c'était une affaire entre quelqu'un et sa famille politique. Or le fond de l'affaire est l'intégrité territoriale que les politiciens ont l'obligation de défendre à tout prix. On est aujourd'hui vite rattrapé et confondu par l'évolution des événements liés à cette même affaire. Les maquisards des FDLR et de LRA, soi-disant réduits à néant par les opérations combinées RDC-Rwanda et RDC-Ouganda, ont rebondi de plus belle, déterminés à se venger sur la population. La Monuc en donne le bilan macabre chaque mercredi au cours de sa rencontre hebdomadaire avec la presse. Aucune réaction énergique de la part des partis politiques et leurs leaders, alors que c'est un problème très grave et d'actualité touchant à la sécurité de la population et à l'intégrité territoriale.

N'était pas excessif celui qui les a traités de partis alimentaires, de partis de mallettes. Ils pensent uniquement à leur tube digestif et au confort matériel. Il est vrai que si le pays recule au lieu d'avancer, la responsabilité en incombe avant tout aux dirigeants qui le gouvernent et gèrent les ressources. Mais comment peuvent-ils être réveillés et comprendre qu'ils sont en train de se fourvoyer quand ils ont devant eux une classe politique molle, timorée, versatile, incapable de servir de contrepoids ?

Partout en démocratie, ce sont les partis et leurs leaders qui animent la vie politique, suivent de près l'évolution de la situation du pays sous tous les rapports et crient haro sur le pouvoir lorsque surgissent les événements qui prennent une mauvaise tournure, susceptibles de compromettre la sécurité des personnes et des biens, ainsi que l'intégrité territoriale. Ce sont eux qui conscientisent le peuple et se manifestent régulièrement sur le terrain. En RDC, leur champ d'activité se limite aux communiqués diffusés dans les médias et aux débats folkloriques sur les chaînes de télévision. Le développement du pays n'incombe pas exclusivement au gouvernement, mais il dépend aussi du concours d'une classe politique dynamique et active, ce qui n'est pas le cas en RDC aujourd'hui.

* Jean N'Saka wa N'Saka, est journaliste indépendant. Cette analyse est parue dans le quotidien de Kinshasa « Le Phare », dans son édition du 27 avril 2009.

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