La malédiction des tendances monarchistes en Afrique

De nombreux dirigeants africains qui s’accrochent au pouvoir, à l’image d’un monarque. Une obsession renforcée, selon Okello Oculi, par l’implication de la Banque Mondiale et des ONG qui, en Afrique, complètent le revenu de ces kleptocrates et se maintiennent eux-mêmes en refusant de condamner les pratiques de ces dirigeants corrompus. Combattre la créativité de dirigeants dans l’art de piller les deniers publics et dissimuler leurs sources de richesse, soutenir des normes légales communes afin de déférer devant la justice ceux qui enfreignent les lois pour la dignité humaine et le développement, sont devenus une urgence pour Okello Oculi.

Lorsqu’en 1960, Ali Mazrui mettait en garde contre l’émergence de tendances monarchistes dans la politique africaine, ses détracteurs appréhendaient ses propos comme étant la manifestation de sa supposée haine des révolutionnaires africains et des gouvernements socialistes. Le fait qu’il ait visé Kwame Nkrumah et ignoré le pro-français Félix Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire, qu’il s’en soit pris violemment au Mwalimu Nyerere tout en restant muet à propos de l’élimination brutale de l’opposition dans le cas de Mzee Jomo Kenyatta, ont été des prétextes pour ses critiques de plaider la tolérance face à ses accusations. Cette tolérance a toutefois créé l’espace nécessaire aux comploteurs de coup d’Etat pour mettre un terme au cheminement hésitant du nationalisme anticolonial et de la quête de la démocratie.

Lorsque les dirigeants militaires, comme moyen de gouvernance, ont eu recours au meurtre des groupes d’opposition à l’intérieur comme à l’extérieur de l’armée, les populations ont commencé à accepter le minimum vital de paisibles administrations civiles. Le fait que des dirigeants comme Omar Bongo au Gabon pratiquaient les mêmes bouffonneries meurtrières qu’un Idi Amin en Ouganda et un Mobutu Sese Seko au Zaïre, prouve qu’il est nécessaire de garder ses propres règles dans le cadre d’une dictature à parti unique. Même Kamuzu Banda au Malawi était préférable au règne arrosé de sang de Jaafar al Nimeiry au Soudan. Plus ces chefs restaient au pouvoir, plus ils ressemblaient aux monarchies précoloniales. Ou selon l’expression plus aimable en vogue au Nigeria, comme des « chefs traditionnels ». Bientôt ils se laisseront aller à la tentation de renouer avec la pratique qui consiste à remettre le pouvoir à leurs enfants.

Il est clair ces « monarques » sont restés une minorité. La liste des dirigeants africains qui n’ont pas remis le pouvoir à leurs enfants est longue et louable. Mwalimu Nyerere et Léopold Sédar Senghor ont quitté le pouvoir de manière volontaire. Kenneth Kaunda a offert aux Zambiens l’exemple d’un dirigeant qui se présente à des élections, les perd et avec une grande dignité remet le pouvoir entre les mains de celui qui l’a défait. Ahmed Sékou Touré, Houphouët-Boigny et Jomo Kenyatta sont morts pendant l’exercice du pouvoir. D’innombrables personnalités sont passé sans succomber à la tentation de remettre le pouvoir à leurs enfants.

La campagne qui, au cours de quatre décennies de nationalisme anticolonial, devait imprimer dans les médias qu’il n’y a rien de bon qui vient d’Afrique, a cyniquement enseveli sous la boue ce grand héritage politique. En 1985, aux Etats-Unis, la chaîne de télévision CBS s’est surpassée à ce jeu lorsqu’elle a voulu couvrir un moment historique en filmant un stade, croulant sous le nombre de Tanzaniens qui ont fondu en larmes parce Mwalimu Nyerere n’a pas voulu continuer à exercer le pouvoir qu’il détenait depuis la première élection en 1961, quand bien même ils le lui demandaient. A l’exception de Nyerere, les ‘’pères fondateurs’’ ont plutôt laissé un legs de longévité et de stratégies pour élaborer des réseaux de clients dont la loyauté et le soutien étaient liés aux partages de contrats et de ressources gouvernementales émanant des ‘’fonds de sécurité’’ de l’Etat.

Les empires africains avaient des leçons faciles à enseigner. Dans des endroits comme le Nigeria, le califat de Sokoto, le royaume du Bénin et l’empire Oyo on a enseigné le patronage politique aux fils des nouveaux politiciens et aux employés de l’administration. Jomo Kenyatta, Houphouët-Boigny et Senghor se sont tournés, fut-ce de façon sélective, vers les communautés dont ils sont issus, vers les chefs religieux, dans un pacte de soutien mutuel clanique. Ils n’ont peut-être pas transmis le pouvoir à leurs enfants, mais ils ont laissé un héritage de leçons que des esprits moins éclairés vulgariseraient en créant des nouvelles ‘’dynasties’’.

L’émergence de dirigeants militaires qui se sont accrochés au pouvoir à l’aide du fusil, a conduit les Africains à ne pas voir les dirigeants civils au long cours comme des modèles sur lesquelles la société civile africaine devrait insister. De surcroît, on a perdu de vue que ces dirigeants étaient des intellectuels de haut niveau, sans le fardeau du complexe d’infériorité. Kenyatta était diplômé d’une université et a publié une étude académique reconnue comme de haute facture, sur le système politique des Kikuyu. Senghor a été l’étoile dans une école français réservée à l’élite et est devenu un poète distingué, un expert de langue et de la grammaire française. Nyerere a étudié à l’université d’Edinburgh, la plus prestigieuse des universités écossaises, où il a obtenu un master en philosophie politique européenne. Ils ne dégénéreront pas dans la kleptocratie psychotique d’un Omar Bongo, d’un Mobutu, d’un Idi Amin, d’un Sassou Nguesso ou de nombreux politiciens civils de l’époque post militaire.

Elliot Associates et Global Witness (témoin global) ont récemment rapporté que Sassou Nguesso et sa famille possèdent 23 propriétés à Paris, détiennent 112 comptes bancaires à Paris. Sassou Nguesso, un officier militaire devenu politicien, partage avec Frederick Chiluba (un ex-syndicaliste peu instruit devenu politicien) une passion psychotique pour des vêtements européens haut de gamme. Chiluba a été accusé de dépenser £50 000 pour sa garde robe. Sassou Nguesso est accusé d’avoir dépensé US$ 35 000 pour des vêtements en 2005. Omar Bongo était accusé d’avoir 66 comptes bancaires et 45 logis en France.

La tragédie pour l’Afrique est qu’une telle corruption a créé deux frontières pour son exploitation. La première, souligne Dambisa Moyo, consiste en 100 000 personnes employées par la Banque Mondiale, les Européens, ainsi que les ONG d’Amérique du Nord et leurs alliés africains qui gagnent leur vie en administrant de l’aide aux pays d’Afrique. Comme le déclarait James D. Wolfensohn, un ancien président de la Banque Mondiale, ces gens-là combattent n’importe qui s’oppose à donner davantage d’aide à des dirigeants corrompus. Ils gardent ainsi leur emploi en enflant la dette africaine, tout en soutenant des dirigeants au pouvoir qui se soucient comme d’une guigne de savoir si l’aide parvient à leur population opprimée.

Le deuxième frontière est constituée par le ‘’Fond des vautours’’ en maraude. Il s’agit de groupes de pirates américano-européens qui rachètent à bas prix les dettes de pays africains insolvables, lorsque les créditeurs se présentent. Suite à quoi, ils hantent ces pays pour obtenir le remboursement du capital et des intérêts. Elliot Associates a ouvert la chasse contre Sassou Nguesso qui, comme un voleur patriotique, a élaboré une stratégie pour cacher les compagnies qu’il utilise pour vendre le brut qu’il exporte du Congo. Les vautours de Elliot Associate veulent le tondre. Mais il est difficile à attraper. De surcroît, il est devenu terriblement créatif, montrant de nouvelles limites en mobilisant des politiciens de la diaspora. Le Représentant Maxine Walters, un membre du comité électoral des Noirs du Congrès américain, s’est lancé dans la persécution des vautours. Ce serait bien s’il s’engageait à combattre aussi bien les vautours que les dirigeants africains corrompus, dont la corruption donne naissance à cette vermine économique internationale.

Comme feu Tajudeen Abdul Raheem nous encouragerait à le faire, nous devons cesser de nous lamenter et combattre ces crimes. Nous devons dénoncer ces traits psychotiques chez les dirigeants africains et ne pas attendre que les racistes les utilisent comme prétexte pour attaquer les populations africaines et celle d’ascendance africaine. Nous devons dénoncer les tendances monarchistes émergeantes qui se sont d’abord manifestées au cours des élections au Togo. Au Gabon, les bénéficiaires du clientélisme de 40 ans de dictature corrompue d’Omar Bongo, s’accrochent à son héritage en collaborant avec la France pour truquer les élections et imposer son fils Ali Bongo à une population gabonaise en colère. La répression de l’opposition et l’imposition des fils de Hosni Moubarak en Egypte et de Mouammar al Kadhafi en Libye sont autant de signes de sabotage de la politique démocratique émergente
Enfin nous devons soutenir sur tout le continent des normes légales contre le crime portant atteinte au développement national et la dignité des peuples

* Okello Oculi est le directeur exécutif de Africa Vision 525 Initiative

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