La question des îles malgaches resurgit
Iles malgaches détachées arbitrairement par la France le 1er avril 1960, les «Iles éparses» reviennent dans le débat. Lors de la campagne pour la présidentielle, Hery Rajaonarimampianina avait promis de se « battre pour la restitution » de ces iles. Une question sensible de souveraineté nationale qu’il semble aujourd’hui oublier, une fois élu.
Monsieur le Président de la République,
Les Iles Eparses constituées par l’archipel des Glorieuses, les iles Juan de Nova, Europa et Bassa da India n’ont pas été restituées en 1960 par la France, à cause de l’entrée en vigueur d’un décret français le 1er avril 1960, sachant que notre indépendance (ou notre retour à l’indépendance) datait du 26 juin 1960. Selon M. André Oraison, professeur de droit public à l’université de la Réunion, en 2010, « en réalisant le démembrement du territoire national malgache sans consultation préalable du peuple de Madagascar ou de ses représentants élus et au mépris du principe de l'intangibilité des frontières coloniales, le décret du 1er avril 1960 déroge aux principes généraux de la succession d'États. On peut de surcroît mettre en doute la thèse française selon laquelle Madagascar aurait acquiescé au démembrement de son territoire. Cette amputation lui a plutôt été imposée par la Puissance administrante à la veille de sa résurrection en tant qu'État souverain, le 26 juin 1960. »
En 1973, la remise en cause à bon escient de cette annexion indue par le président de l’époque, M. Didier Ratsiraka, a donné le jour à une succession de démarches juridiques internationales pour faire reconnaître le droit de Madagascar sur ces Iles. Ces dernières n’ont pas vraiment encore abouti, peut-être à cause de l’attitude (dira-t-on molle ?) des dirigeants successifs sur ces Iles, et pour diverses raisons.
Car il s’avère probable, comme nous le savons, que ces Iles Eparses regorgent de richesses dont le gaz et le pétrole. La France a déjà, entre autres, octroyé de permis exclusifs d’explorations offshore en 2008 à Juan de Nova.
Monsieur le président de la République, nous sommes bien en présence d’un différend qui touche notre souveraineté nationale : sujet extrêmement sensible s’il en est.
Vous aviez déclaré, quelques jours à peine avant la fin de la propagande du premier tour (23 octobre 2013) : "Je promets de me battre pour la restitution de nos îles… Cela fait dix ans que Madagascar se bat pour avoir ces îles. Elles contiennent beaucoup de richesses, d'où la difficulté de les récupérer".
Dans une conférence de presse que vous donniez à la presse présente à Washington Dc, mercredi 19 mars dernier, vous proposiez une co-gestion des Iles avec la France : il ne s’agit plus de revendiquer mais plutôt de négocier avec la France la gestion conjointe de ces Iles, et notamment l’Ile Juan de Nova, située à 150 kms des côtes malgaches.
Monsieur le président, pour cette question sensible de souveraineté nationale, les citoyens ont plus que jamais le droit de savoir et d’être informés de la manière la plus transparente possible.
Permettez moi de poser quelques questions de la manière la plus simple possible (non exhaustives sur le sujet) :
- Pourquoi avoir changé d’avis en cinq mois, au-delà du fait que vous comptiez séduire l’électorat avant l’élection présidentielle ?
- Avez-vous consulté les spécialistes malgaches sur ces questions territoriales (juristes éminents, techniciens sur les questions territoriales maritimes,…) au-delà de votre cercle de conseillers nationaux et/ou étrangers : des experts malgaches qui peuvent apporter un avis indépendant , objectif , de sorte qu’un président de la république ne commettrait pas d’impair devant la population et l’histoire de son pays en prenant décision ?
- Quelles seraient les caractéristiques exactes de cette co-gestion avec la France ?
- Quelles sont les raisons qui font que la société Exxon Mobil vous approche aussi rapidement aujourd’hui?
Monsieur le Président,
Dans une démocratie directe, cette question de portée nationale aurait fait l’objet d’un référendum. Il ne s’agit pas de vous en conseiller d’en entreprendre un, mais de vous (re)-souligner l’importance extrême qu’un dirigeant a de consulter, de travailler en concertation avant de prendre une décision qui met en cause la souveraineté nationale et qui de fait doit être mûrement réfléchie. Nous remarquons que vous décidez cette co-gestion deux mois à peine après votre investiture, et avant la formation de votre gouvernement. N’est-ce pas hâtif ?
Je me permettrai dans l’humilité de vous rappeler que toute décision touchant le territoire national vous rend redevable devant les générations futures, en plus du fait que vous êtes déjà redevable avec l’actuelle. Si cette co-gestion suppose le partage des richesses d’un pays avec un autre, aimeriez vous être dépeint dans l’Histoire comme le président qui a vite entrepris un compromis avec un autre pays pour pouvoir jouir des richesses nationales de son pays ? Soulignons qu’il ne s’agit pas de rejeter la France qui est un partenaire historique privilégié de Madagascar. Il s’agit de faire valoir notre souveraineté, à l’intérieur ou sur la base de laquelle Madagascar solliciterait des services à la France, comme à un autre pays respectueux de cette souveraineté.
Il se dit que vous n’auriez pas eu le choix compte tenu des paramètres en place, dont la gestion passée de l’équipe de transition (cette transition désastreuse à laquelle vous avez participé) qui aurait pris des engagements à l’insu de la nation (pour changer !). Si cela était, il vous appartient de nous dire de manière transparente en quoi vous vous retrouvez sous pression et pourquoi vous êtes forcé de prendre cette décision de co-gestion aussi rapidement. Nous pouvons faire de l’empathie si cela était justifié.
Mais de grâce, monsieur le président, ayez de l’empathie pour les citoyens de ce pays que vous dirigez pour 5 ans et qui ont besoin d’être informés et non pas mis devant le fait accompli, sans autre forme d’explication satisfaisante. Cela est d’un autre temps et constitue un schéma révolu, considérant notre soif de plus en plus élevée de bonne gouvernance et de participation citoyenne. Au passage, nous vous suggérons, le plus humblement encore, d’améliorer votre système de communication rapidement, car la manière de rendre compte dans les médias dont vous faites état, avec votre équipe, est plutôt étonnante et peu satisfaisante: nous voulons pour preuve par exemple le manque de clarté et de transparence sur l’existence et l’utilisation future des 350 voitures 4x4 de marque asiatique. L’argument du « win-win » non étayé et non détaillé devrait-il suffire pour apaiser la soif de transparence sur ce sujet, obscur à ce jour ?
Monsieur le président,
Dans cette ère nouvelle qui semble s’ouvrir pour Madagascar après ces 5 ans catastrophiques pour la majorité de la population, nous comptons sur un président qui sache pratiquer la vraie concertation devant les enjeux de portée nationale et adopter de nouvelles pratiques axées sur la redevabilité. Est-ce que ce souhait vous semble accessible dans votre perception de votre rôle de président actuel ?
Bien respectueusement,
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
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** Faraniaina Ramarosaona est membre du Collectif des Citoyens et des Organisations Citoyennes de Madagascar
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