La vision du développement économique de Nyerere
Faustin Kamuzora examine la vision qui a guidé les politiques économiques de Nyerere.
Considérant que la majorité des citoyens vivaient en milieu rural, remarque-t-il, celui-ci avait fait du développement rural une priorité dans les politiques économiques. Des politiques qui ont donné des résultats mitigés. Alors qu’un certain nombre d’indicateurs de développement humain se sont significativement améliorés, la productivité n’a pas augmenté dans d’autres secteurs, note-t-il. Ce qui a entraîné un déclin de la croissance économique. Néanmoins, conclut-il, «la philosophie qui sous-tendait la politique économique de Nyerere qui devait construire une société égalitaire, a permis à la Tanzanie d’atteindre le statut de pays stable»
Suite à l’indépendance, au début des années 1960, de nombreux pays africains ont essayé diverses politiques économiques afin d’apporter le développement économique à leurs citoyens. Le gouvernement de Tanzanie, sous la direction de Mwalimu Nyerere, a appliqué des politiques économiques visant à augmenter le niveau de vie de tous les Tanzaniens. L’objectif principal de cet article est de démontrer que, dans sa phase initiale, le gouvernement, sous la direction de Mwalimu, avait ce désir absolu de réduire le niveau de pauvreté et s’était engagé en conséquence. Cette approche entrera dans l’histoire des politiques économiques, parce que la méthode préconisée reflétait une réalité de lutte afin de parvenir au développement économique des Tanzaniens. Compte tenu du fait que la majorité des citoyens tanzaniens vivaient en milieu rural, il a été accordé une priorité importante au développement rural. Ces politiques ont eu des succès mitigés, mais la philosophie en faveur d’une société égalitaire qui la sous-tend est inattaquable.
Les efforts de développement après l’indépendance
Immédiatement après l’indépendance du Tanganyika, Mwalimu Nyerere a énoncé les trois problèmes du développement. A savoir, la pauvreté, la maladie et l’ignorance. Utilisant les ressources du Tanganyika et celles des donateurs, le plan de développement du Tanganyika pour la période 1961/62 et1963/64 visait à créer un environnement propice au développement rural qui combattrait ces problèmes. A partir de là, le premier budget de développement a réparti les allocations aux principaux secteurs de la façon suivante : agriculture 24%, communication, énergie et travaux publics, 28,8% et éducation 13,7%
Ces allocations budgétaires indiquent clairement la volonté du gouvernement de battre en brèche le sous-développement rural. Près du quart du budget de développement a été alloué au secteur agricole, pourvoyeur de moyen de subsistance de la majorité de la population du Tanganyika. Dans la même veine, la communication, l’énergie et les travaux publics – les infrastructures nécessaires au développement rural - ont reçu une autre part de lion. De même, l’éducation - essentiel pour le combat contre l’ignorance- a reçu une allocation conséquente dans le budget du développement.
Le plan quinquennal (1964 à 1969) visant la réduction de la pauvreté par l’amélioration du développement du secteur agricole, à long terme, a utilisé l’approche de la transformation. Cette dernière approche impliquait des programmes de villagisation où des machines agricoles modernes pourraient être fournies, de même que, si possible, des systèmes d’irrigation. Le plan encourageait l’entreprise privée dans le développement économique, mais soulignait que les contrats s’établiraient selon les intentions du gouvernement qui voulaient étendre les co-opératives et les activités gouvernementales dans le commerce et l’industrie, aussi bien que dans l’agriculture. (Gouvernement du Tanganyika, 1964)
La croissance économique semblait faible dans la réalisation des objectifs visant la réduction de pauvreté. Entre 1960/61-1967, la croissance économique était de 4.3% à 5% par an. Avec croissance de la population de 2.7% par an, la croissance économique réelle était de 2,3% par an, insuffisante pour amener un développement économique tangible. La chute du cours du sisal, le manque d’experts, une réalisation insuffisante du premier plan de développement, les énormes ressources dépensées pour les programmes de villagisation ont été d’autres facteurs dans l’échec des objectifs de développement rural.
La Déclaration d’Arusha comme stratégie de développement rural.
Les facteurs mentionnés ci-dessus ont amené le gouvernement à changer son approche du développement rural et à faire la Déclaration d’Arusha en 1967, qui a conduit à la nationalisation de nombreux piliers de l’économie. L’Etat, propriétaire des principaux moyens économiques, avait pour objectif premier de s’assurer que la possession des richesses était nationale. Avant la nationalisation, les piliers de l’économie étaient soit dans les mains d’investisseurs étrangers ou de minorités qui, au moment de l’indépendance, dominaient les affaires. A ce moment, la politique économique supposait que les entreprises publiques évolueraient dans un environnement de loi du marché, d’autonomie de gestion et d’encouragement à l’efficience.
Etant donné la nature de la société tanzanienne, l’accent était toujours mis sur le développement rural. La population était encouragée à vivre et à travailler dans des co-opératives organisées en villages. L’idée était d’étendre à toute la Tanzanie les valeurs traditionnelles et les responsabilités liées à la famille. En 1968, un petit livre énonçant le socialisme et le développement rural était publié. Il clarifiait la façon dont la Déclaration d’Arusha devait être appliquée dans le cadre de la stratégie de développement rural dans la perspective de la réduction de la pauvreté.
Cet extrait du discours de J.K. Nyerere résume l’essentiel de la Déclaration d’Arusha sur la question du développement rural :
«Il est maintenant particulièrement important que nous comprenions les connexions entre la liberté, le développement et la discipline, parce que notre politique nationale, qui consiste à créer des villages socialistes, en dépend. Parce que cela fait longtemps que nous savons que le développement des régions rurales doit se poursuivre et que ceci requiert des activités co-opératives des gens…
« Lorsque nous avons essayé par le passé de promouvoir le développement rural, nous avons dépensé d’énormes sommes d’argent pour établir des villages, pour fournir de l’équipement moderne, des services sociaux ainsi que, parfois, une hiérarchie de gestionnaires… Trop souvent nous avons persuadé les gens d’aller dans les nouveaux villages, leur promettant qu’ils y deviendraient riches rapidement ou que le gouvernement leur fournirait des services et équipements qu’ils n’avaient aucune chance de recevoir ni en ville, ni dans leur ferme traditionnelle. En de rares occasions, il y a eu des implications idéologiques ; nous avons pensé et parlé en terme de rendements accrus et des choses qui seraient fournies à ces nouveaux fermiers.
« En réalité ce que nous avons fait, c’était penser en terme de choses et non de gens… Avec pour conséquence qu’en de nombreuses occasions un gros investissement en capital n’a pas conduit à une augmentation du rendement ; l’investissement a été gaspillé. Et dans la plupart des programmes officiellement soutenus, la majorité des gens qui sont allés dans ces nouveaux villages ont perdu leur enthousiasme et ont abandonné le programme ou n’ont pas exécuté les ordres provenant des responsables qui venaient de l’extérieur et qui n’étaient pas eux-mêmes impliqués dans le succès ou la faillite du projet
« Il est donc important de comprendre que la politique de Ujamaa Vijijini ne veut pas être une revitalisation du vieux programme de villagisation sous un autre nom. Le village Ujamaa est une nouvelle conception qui fait suite à la Déclaration d’Arusha, basée sur la compréhension que ce que nous devons développer ce sont les gens, pas des choses, et que les gens ne peuvent se développer que par eux-mêmes…
« Les villages Ujamaa devraient être des organisations socialistes créées par les gens et gouvernées par ceux qui y vivent et y travaillent. Ils ne peuvent être ni créés ni gouvernés de l’extérieur. Personne ne peut être contraint à aller dans un village Ujamaa et aucun fonctionnaire, quelque soit son niveau, ne peut aller dire aux membres d’un village Ujamaa ce qu’ils ont à faire ensemble ou ce qu’ils devraient continuer à faire en tant que fermier individuel.
« Il est important que ces choses soient parfaitement comprises. Il est également important que les gens ne commencent pas ces villages Ujamaa sur la base de promesses de choses qui leur seront données le cas échéant. La décision d’un groupe de personnes de commencer un village Ujamaa doit être basée sur leur compréhension que seule cette méthode leur permettra de vivre et de se développer librement et dans dignité, en récoltant l’entier bénéfice de leur efforts co-opératifs…
« A moins que les gens soient convaincus dès le début des objectifs et de l’idéologie socialiste des villages Ujamaa, ils ne surmonteront pas les difficultés initiales. Parce que personne ne peut garantir que les récoltes ne seront pas mauvaises la première et la deuxième années. Il peut y avoir des inondations ou de la sécheresse. Et l’autodiscipline requise lorsqu’on travaille en communauté ne se manifestera que si les gens comprennent ce qu’ils font et pourquoi…»
Comme nous pouvons le voir dans les extraits ci-dessus, il y avait un engagement à élever le niveau de vie (et une opposition à la consommation ostentatoire et aux grandes richesses particulières). Le socialisme auquel croyait Mwalimu Nyerere était centré sur les gens. Pour lui, l’humanité dans son sens le plus complet, avait la préséance sur la création de richesse. Les sociétés sont devenues meilleures au travers du développement des gens plutôt que par la stimulation du rendement pour le rendement. En outre, l’aspiration était de créer une société autonome, égalitaire et centrée sur les humains, dont tous les membres ont des opportunités et des droits égaux ; une société dans laquelle chacun peut vivre en paix, sans subir ni infliger l’injustice, sans être exploité ni exploiter autrui. ; une société dans laquelle tous connaissent une augmentation graduelle de bien-être matériel avant que certains individus vivent dans le luxe (Nyerere, 1968, p.340
Force est de reconnaître que ces standards moraux ne peuvent être remis en cause même dans ce monde d’aujourd’hui où la philosophie du marché libre non réglementé et un nombre de tendances post-modernistes ne donnent pas aux pauvres gens le pouvoir d’améliorer leur bien-être socioéconomique. Du point de vue de la politique du socialisme et du développement rural, Mwalimu disait : ‘’Le développement d’un pays est le fait des populations et non de l’argent. L’argent, et la richesse qu’il représente, est le résultat et non la base du développement». (Nyerere, 1968, p. 243) De même l’accent est mis sur les préconditions du développement. Celles-ci étant identifiées comme étant les populations, la terre, de bonnes politiques et une bonne direction.
Par conséquent, conforté par les preuves découlant de l’arrivée dans l’arène d’un nombre de pays asiatiques retardataires, on peut croire que des quatre préconditions, les populations et une bonne direction sont les éléments cruciaux qui manquent au puzzle du développement. Ceci en raison du grand nombre de pays et de sociétés qui, dans le monde d’aujourd’hui, ont réussi à atteindre un haut niveau socioéconomique sans avoir de grands territoires. De même, une bonne direction va certainement mettre en place de bonnes politiques, et logiquement, les dirigeants sont généralement le reflet de la société dont ils proviennent. En atteste l’analogie de Nyerere : si vous allez chercher de l’eau dans un puit souillé, l’eau dans votre bol représente tout à fait certainement la qualité de l’eau du puit.
Les améliorations de l’index du développement humain.
Malgré le fait que la politique économique sous Nyerere a parfois résulté dans la diminution de la productivité dans certains secteurs, sa focalisation sur le développement humain et l’autonomie a eu un certain succès dans d’autres domaines comme le montrent certains indicateurs socioéconomiques de l’Indice de Développement Humain (IDH). L’IDH a été calculé annuellement par le PNUD depuis 1960. Différentes autorités comme le PNUD et la Banque Mondiale ont ainsi indiqué que la Tanzanie a décliné aux cours des récentes années, selon certains indicateurs socioéconomiques.
Le contraire était vrai sous le gouvernement de Mwalimu Nyerere, lorsque l’IDH était en augmentation. Un bon exemple est le taux d’analphabétisme qui était de 90% en 1960 et qui a décliné à son point le plus bas, dans les années 1980, à 10%. Les chiffres pour la période de 2000-2007 montre une estimation de 28% d’analphabétisme. Dans l’économie du monde d’aujourd’hui, basée sur le soi-disant savoir, l’analphabétisme est un des plus grands obstacles du développement socioéconomique, parce qu’il réduit les chances de l’individus d’explorer le potentiel que Dieu lui a donné et d’être compétitif au niveau national.
Les stratégies de développement rural en Tanzanie dans les années 1970 et au début des années 1980
Comme nous l’avons vu précédemment, les efforts pour réduire la pauvreté ont commencé dès après l’indépendance en 1960. Différentes stratégies ont été utilisées pour réaliser le développent rural. Celles-ci incluaient les programmes de villagisation. Au milieu des années 1970, le programme de villagisation était aussi le moyen par lequel le gouvernement estimait pouvoir amener un développement rural rapide après le rythme lent de la formation des villages Ujamaa décrite plus haut. (Woods1975 et Ellman 1975) De même, au cours des années 1970, il y a eu une décentralisation des fonctions gouvernementales décrites plus bas.
La décentralisation des années 1970
Trois problèmes majeurs ont émergé au cours de la période 1961-1971, dus à la structure organisationnelle dont la Tanzanie a héritée à l’indépendance.
Ces problèmes étaient les suivants :
Primo, le manque de coordination entre les quatre systèmes organisationnels, à savoir, les ministères, le gouvernement local, le parti unique d’alors (le TANU) et les structures de planification. En raison du rôle dominant par ces deux derniers éléments - en particulier le parti - les ministères et les gouvernements locaux ont souvent été confrontés à des politiques et à des plans qui ne pouvaient pas être réalisés, étant peu réalistes, manquant de main-d’œuvre, de fonds, d’équipement, d’organisation et de pouvoir décisionnel.
Secundo, le manque de coordination à l’intérieur des systèmes individuels, en particulier ceux responsables de l’administration gouvernementale et de la planification. En raison des tendances autonomistes des ministères responsables des différents secteurs économiques et sociaux, trois problèmes mineurs sont apparus. D’abord il était difficile de planifier et de réaliser des projets impliquant plus d’un ministère. Par conséquent, il y avait des projets agricoles sans transport ou sans accès aux marchés, des programmes de villagisation sans augmentation du personnel et sans services sociaux, etc. Par ailleurs, il y avait très peu de coordination entre les différents projets dans une même région. En d’autres termes, il n’y avait pas d’intégration régionale de la planification du développement. Enfin, parce que la tendance était de considérer le développement en terme sectoriel plutôt que spatial, il a été prêté peu d’attention aux différences régionales en ce qui concerne les ressources et les besoins, ce qui a conduit à un déséquilibre du développement régional et l’aggravation des inégalités régionales.
Tertio, le pouvoir décisionnel était excessivement centralisé à l’intérieur des organisations politiques, ministériels et de planification. Lorsque le désir de contrôle et la planification au niveau national est devenu dominant, particulièrement après l’indépendance, les effets de la centralisation excessive du pouvoir dans les quartiers généraux ministériels à Dar es Salaam ont été funestes pour la planification et la réalisation des projets sur le terrain et ont éloigné le grand public du processus de développement
La réorganisation gouvernementale, pour résoudre ces problèmes, avait pour but de décentraliser une bonne partie des responsabilités de la planification et de la réalisation des programmes de développement et la dissolution des structures ministérielles traditionnelles.
Programme de développement régionalement intégré (PDRI)
La tendance à la décentralisation a résulté dans la formulation de différents Programmes de Développement Régionalement Intégré (PDRI). Lorsqu’un appel à l’assistance en faveur des PDRI a été lancé en 1972, le niveau administratif responsable pour le développement des gens était la région. Les régions sont donc devenues le point central de la planification et de la réalisation des interventions de développement.
Cette vague de développement rural intégré est devenue la nouvelle mode des agences de développement bilatéral ou multilatéral. Dans l’année fiscale de 1974/75, toutes les vingt régions du pays avaient reçu des promesses de soutien de la part de donateurs, à l’exception de la région de Rukwa. Néanmoins, à la fin des années 1970, le gouvernement, en collaboration avec différents donateurs, ne réalisait que 10 des PDRI du pays. Celles-ci étaient situées à Kigoma, Mwanza, Shinyanga et Tabora, financées et administrées par la Banque Mondiale. D’autres étaient Tanga (République fédérale allemande), Kilimandjaro (Japon) Iringa (EU), Arusha (USAID), etc. (Ngasongwa 1988)
Le PDRI de Kigoma a plus tard été abandonné par la Banque Mondiale et hérité par NORAD. Le PDRI de Rukwa était aussi financé par NORAD (Shio et al. 1994)
La logique des PDRI voulait que maints aspects du développement soit soutenu, postulant que la théorie du ‘’Trickle down (qui veut que la richesse finisse par parvenir aux plus pauvres) n’était pas valide (Shio et al 1994). Toutefois, au début des années 1980 les praticiens de l’approche intégrée ont commencé à se rendre compte que le PDRI n’était pas la panacée. Au contraire, cette approche semblait générer des tensions dans les pays en voie de développement en raison de leurs exigences excessives en coordination interministérielle. En raison de ces problèmes, les défections des donateurs étaient si importantes qu’en 1986 seules trois régions opéraient encore des PDRI avec le soutien de donateurs, à savoir les régions d’Iringa, Tanga et du Kilimanjaro. (Ngasongwa 1988)
Une autre raison du peu de succès des PDRI était le fait qu’il n’y avait pas d’intégrations verticale qui assurerait la participation de la base dans les organes inférieurs des structures administratives qui lui auraient permis d’interagir librement et mutuellement avec le groupe cible lors de la réalisation du projet.
L’intégration horizontale était également faible. Etant donné l’expertise limitée dans les régions des programmes, il n’y avait pas suffisamment de personnel pour réaliser des programmes holistiques impliquant tous les départements du secteur à un moment donné.
Le système politique tanzanien avait démantelé l’approche de gouvernement local au début des années1970. Avec la réinstallation des gouvernements locaux en 1984, les districts sont devenus le point focal, pour l’administration du développement, des populations, et les régions ont été reléguées au rôle d’organes de coordination du développement régional.
Entre les crises économiques
En dépit du fait qu’il y a eu une réduction de la productivité dans certains secteurs – comme décrit précédemment, la Tanzanie a enregistré une croissance substantielle dans nombre de secteurs à la fin des années 1960 et au début des années 1970. La croissance a été notée dans les secteurs de la sécurité alimentaire, du revenu, de l’éducation, des services de santé. Néanmoins, au milieu des années 1970, une série d’évènements naturels, internes et extérieurs ont perturbé cette tendance de croissance économique. Ces évènements ont inclus la sécheresse en 1973 et 1974, la crise pétrolière en 1973 et encore de la sécheresse en 1974 et 1975, le démantèlement de la Communauté de l’Afrique de l’Est et la guerre entre Tanzanie et l’Ouganda en 1979
Face à ces difficultés économiques sans précédent, résultant de l’agenda conservateur mentionné plus haut, la Tanzanie a essayé de mettre sur pied par elle-même un programme de récupération économique : le National Economic Survival Programme (NESP) entre 1981 et 1983. La libéralisation du commerce en 1984 a été une autre politique économique introduite avant que Mwalimu Nyerere be renonce volontairement au pouvoir en 1985
Nyerere et le Fond Monétaire International (FMI)
Bien qu’il y ait tant de choses pour lesquelles on se souvient de Mwalimu Nyerere au niveau global, sur le front de l’économie c’est sa confrontation avec le FMI qui est le plus classique. Renforcé par l’agenda conservateur décrit plus haut, les Institutions Financières Internationales (IFI)n en particulier la Banque Mondiale se sont détournées de leurs objectifs initiaux et ont décidé de promouvoir, dans les pays en voie de développement, l’agenda de la Libéralisation, du Marché et de la Privatisation (LMP) Avec une clairvoyance plus marquée que la majorité des dirigeants, Mwalimu a demandé : « Qui a fait du FMI le ministre international des finances ?»
Les Tanzaniens de toutes tendances, y compris l’auteur qui, en 1981, était en cinquième année scolaire, ont organisé des marches dans tout le pays, en protestation contre les conditions du FMI. Même si la voix dissidente de Nyerere n’a pas vraiment été entendue en raison de la cacophonie des partisans fondamentalistes du marché, les évènements récents dans le monde économique ont ramené le FMI sous les feux de l’actualité une fois de plus. Lorsque le FMI a failli à son devoir d’apporter des solutions à la crise financière de l’Extrême Orient à la fin des années 1990, les experts ont remis en cause l’utilité d’un tel organisme. De même, dans la crise financière actuelle qui a culminé en septembre 2008 en raison des garanties frauduleuses et de la bulle des « sub-prime » et des produits dérivés dans des économies majeures, la même vieille question sur l’efficacité du FMI resurgit une fois de plus.
On peut conclure qu’après que de nombreux pays en voie de développement ont essayé l’approche LMP et d’autres approches communément entreprises sous l’étendard du ‘’Consensus de Washington», il semble que les IFI ont choisi de se faire discrètes. Il y a des années de cela, en 1998, Mwalimu Nyerere doutait de l’efficacité de l’agenda des IFI et de ses dispositions. Dans cette même année, au cours d’un entretien accordé à Ikaweba Bunting, il a mis en opposition les périodes d’avant et après les programmes d’ajustement structurel :
« J’étais à Washington l’an dernier. A la Banque Mondiale, la première question qu’ils m’ont posée est «comment avez vous échoué ? J’ai répondu que lorsque nous avons reçu ce pays, 85% des adultes ne savaient ni lire ni écrire. Les Britanniques ont régnés pendant 43 ans. Lorsqu’ils ont quitté, il y avait deux ingénieurs et 12 médecins. Voilà le pays dont nous avons hérité. Lorsque j’ai quitté le pouvoir le taux d’alphabétisation est de 91 % et chaque enfant était à l’école. Nous avons formé des milliers d’ingénieurs, de médecins et d’enseignants
« En 1988, le revenu per capita en Tanzanie était de 280$. Aujourd’hui, en 1998 il est 140$. J’ai donc demandé au gens de la Banque Mondiale ce qui avait été de travers. Parce que au cours des dix années écoulées la Tanzanie a signé sur les lignes pointillées et a fait tout ce que voulait la Banque Mondiale. L’inscription à l’école est tombée à 63% et les conditions de santé et d’autres services sociaux se sont détériorés. Je leur ai de nouveau demandé : qu’est-ce qui est allé de travers. Ces gens sont juste restés là, à me regarder. Ils m’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire. Je leur ai dit «ayez un peu d’humilité» De l’humilité ! Ils sont tellement arrogants ! »
Survol de la situation actuelle
Permettez-moi de terminer cet article en faisant un bref survol de la situation économique actuelle du monde. Depuis la chute du Mur de Berlin en 1989, il a semblé à nombre de personnes que le libéralisme occidental triomphait universellement au point de déclarer «la fin de l’histoire». Néanmoins, la crise financière actuelle vient de donner raison à ceux qui ont toujours douté de la durabilité d’un système capitaliste qui continue d’être axé sur l’exubérance irrationnelle, la cupidité et des systèmes de réglementations faibles.
Néanmoins et de façon significative, le système capitaliste - du moins en Occident- est relativement sensible aux réalités sur le terrain. Par exemple, après avoir découvert des lignes de fracture dans le marché capitaliste déréglementé, nous voyons comment, pratiquement, les économies occidentales s’approprient les principaux tenants des politiques socialistes. Les exemples de ces politiques incluent la nationalisation de systèmes économiques critiques comme des institutions financières (au moins pour un temps ou en déversant des quantité colossales de l’argent du contribuable pour assurer que ces institutions fonctionnent), des dispositions pour une assistance financière généreuse et la nationalisation des services de santé.
Cet article a montré quelques-unes des politiques économiques de Mwalimu Nyerere qui ont été mises en route afin d’apporter le développement socioéconomique aux Tanzaniens. Ces politiques ont eu des résultats mitigés. Cependant qu’un certain nombre d’indicateurs de l’Index du Développement Humain se sont améliorés de façon significative, la productivité dans certains secteurs n’a pas augmenté, entraînant un déclin de la croissance économique. En raison d’un certains nombres de facteurs, tel l’absence d’une réponse politique rapide aux problèmes économiques comme le déclin de la croissance économique, l’économie tanzanienne a mis longtemps à récupérer.
Néanmoins, la philosophie de Nyerere sous-tendant les politiques économiques, qui voulaient construire une société égalitaire a permis à la Tanzanie d’atteindre le statut d’Etat stable. Une leçon essentielle à tirer des politiques économiques de Nyerere c’est que si on veut réaliser un développement socioéconomique, générateur de stabilité pour les citoyens, les politiques doivent avoir pour objectif aussi bien d’augmenter la productivité que de promouvoir l’égalitarisme. Ceci est un fait inattaquable : aucune nation ne s’est développée sans augmenter sa productivité. Egalement, une distribution égalitaire durable de la richesse nationale ne peut être atteinte que quand il y a suffisamment de croissance économique résultant de la productivité augmentée
* Faustin Kamuzora est vice chancelier et professeur associé en Développement économique et Informatique à l’université de Mzumbe - Cet article constituera un chapitre dans le livre à paraître ‘Nyerere’s legacy’, textes rassemblés par Chambi Chachage et Annar Cassam et publié par Pambazuka Press Books
* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org
REFERENCES
Bunting, I. (1999). The Heart of Africa: Interview with Julius Nyerere on Anti-Colonialism. New Internationalist Magazine. Issue 309, January-February.
http://www.hartford-hwp.com/archives/30/049.html >
Ellman, A. (1975). Development of Ujamaa Policy in Tanzania in Rural Cooperation in Tanzania (edited by Cliffe and Lawrence). Tanzania Publishing House. Dar es Salaam.
Government of Tanganyika (1964). Tanganyika Five-Year Plan for Economic and Social Development 1st July, 1964/65—30th June, 1969. Government Printer. Dar es Salaam.
Kamuzora, F. (2002) An Evaluation of Rural Development During Mwalimu Nyerere's Government Using Sustainable Livelihood Approach. Uongozi Journal of Management Development (Nyerere Special Edition), 76-98.
Ngasongwa, J. (1988). Foreign-Assisted Regional Integrated Development Projects in Tanzania. 1972-1987). Conference Paper. DPPC. University of Bradford.
Nyerere, J.K. (1968). Ujamaa: Essays on Socialism. Oxford University Press. Oxford.
Shio, L. et al. (1994). Rural Development Strategies in Tanzania: The Case of Rukwa Development Programme. Agder College – Institute of Development Management Collaboration Research Report no. 3.
Woods, R. (1975). Peasants and Peasantry in Tanzania and their Role in Socio-political Development in Rural Cooperation in Tanzania. Tanzania Publishing House. Dar es Salaam.