L'Afrique et la reconnaissance du CNT libyen
Après la Cote d’Ivoire et la Libye, à qui le tour ? Derrière les oripeaux d’une offensive supposée pour la démocratie et la libération de peuples opprimés par des dictateurs, les pays occidentaux perpétuent une entreprise qui, pour Bernard Bokodjin, cache mal son véritable visage. Selon lui, les pays africains qui ont soutenu la guerre contre la Libye et reconnu le CNT ont avalisé un engrenage qui pourrait les avaler eux-mêmes. Car il y a pire que Khadafi sur ce continent.
Depuis le début du conflit libyen, il y a de six mois, tous les pays africains ont, de manière presque unanime, condamné l’ingérence des pays occidentaux dans les affaires internes d’un Etat souverain. Mais progressivement, face à des intérêts occultes, des chefs d’Etat africains, quelques-uns du bout des lèvres, commencèrent par se distancer du leader Libyen Mouamar Khadafi.
On a vu le président Sénégalais Abdoulaye Wade faire une visite inopinée à Benghazi, alors fief du CNT (Conseil National de Transition) ; visite au cours de laquelle il fustigea le régime de Kadhafi, l’invitant même à céder le pouvoir aux rebelles et oubliant les contestations sans cesse grandissantes dans son propre pays. Mais l’Union Africaine était restée ferme sur sa décision de ne pas reconnaître la légitimité du CNT. Mais les choses se sont précipitées en Libye. Les rebelles, avec l’appui de l’OTAN, sont devenus maîtres de Tripoli. Aussitôt tels des enfants de choeurs, des chefs d’Etats africains commencent à lâcher le guide libyen: la Tunisie, le Nigeria, entres autres, considérés comme des Etats influents au sein de l’Union Africaine ont reconnu le CNT comme instance suprême de transition.
Le 27 août au soir, le Togo contre toute attente, reconnut également le CNT comme étant la seule instance légitime devant gouverner désormais la Libye, ceci alors que l’Union Africaine s’abstient toujours de le faire. Un constat flagrant saute aux yeux. Alors que l’UA, soutenu par la première puissance africaine, l’Afrique du sud, a toujours préconisé la voie du dialogue au différend libyen, d’autres Etats membres de cette même instance rament à contre courant dans le but précis de bénéficier des largesses des Occidentaux, notamment la France.
Si les cinquante et quatre chefs d’Etats africains, pour des questions de souveraineté, ne peuvent pas se mettre d’accord sur la conduite à tenir il n’est pas surprenant que l’Union Africaine soit marginalisée par la fameuse Communauté Internationale. Tous les jours, les populations africaines crient leur raz le bol face à la spoliation de leurs ressources et de leurs souveraineté par des Européens. Normalement, la marche à suivre par leurs dirigeants se devrait d’être plus soudés et solidaires vis-à-vis de l’arbitraire de la Communauté Internationale. Mais paradoxalement toutes les bonnes décisions de l’UA sont sacrifiées sur l’autel des intérêts individuels de chaque Etat.
Ce facteur relance encore l’urgence d’une fédération des Etats africains dans le but de contrer l’hégémonie sans cesse croissante de l’Occident. Une idée chère au désormais ex-président libyen Mouammar Khadafi. A l’heure ou nous traçons ces lignes, le peuple libyen s’entretue avec des armes qui lui sont fournies par l’OTAN, oubliant que ceux qui les arment ne sont animés que par leurs intérêts en l’occurrence le pétrole et le gaz dont regorgent leur sous sol.
Nous savons tous que Kadhafi n’est pas un modèle de démocratie sur le continent, mais une bataille rangée dictée par des étrangers, avec son cortège de morts et d’exilés, ne peut pas et ne doit pas être la solution. Un peuple qui aspire à une liberté peut l’acquérir aisément sans une ingérence étrangère.
L’exemple de la Tunisie et de l’Egypte sont des cas patents. Hier c’était la Cote d’Ivoire aujourd’hui la Libye. Ces Etats naïfs, notamment le Togo qui soutiennent le CNT, pion de l’Occident, doivent se demander à qui le tour prochainement. Et pour le savoir ils peuvent d’ores et déjà faire un bilan des ressources dont regorgent leurs sous sol ou leurs terres puisque c’est en fonction de ces richesses que Sarkozy et ses alliés décident de qui doit entrer en guerre ou pas.
Aujourd’hui plus de mille milliards de dollars US sont dépensés par les Américains dans le conflit afghan. Or selon la FAO, 2,6 milliards de dollars suffiront à endiguer la famine dans la corne de l’Afrique .Trois mois après cet appel à l’aide internationale par Jaque Diouf, le patron de cette institution onusienne, à peine les tiers des fonds sont rassemblés ! Entre-temps, la Grèce un des petits poucets de l’économie européenne, étant à genoux financièrement, a vu ses caisses renflouer à coups de plusieurs milliards d’euros ! Au même moment, les Africains de la Corne de l’Afrique meurent de faim et de maladies bénignes dans une indifférence totale et fragrante de ces mêmes Européens !
Devant une politique tordue et répugnante ou le plus fort devient sans cesse plus fort et le plus faible sans cesse plus faible, ou le plus riche devient sans cesse plus riche et le plus pauvre sans cesse plus pauvre, les dirigeants africains doivent taire pour une fois leur ego et parler d’une seule voix : celle de la non ingérence de l’Occident notamment la France, le Royaume Unis et des Etats-Unis d’Amérique dans les affaires intérieures de leurs Etats respectifs.
Après plus de cinquante ans d’indépendance de la plupart des Etats Africains, force est de constater que tous ces Etats s’accrochent toujours aux basques de leurs colonisateurs pour se nourrir ou pour se vêtir ; quant à l’éducation, n’en parlons plus ! Le classement de meilleures universités mondiales vient d’être publié. La première Université africaine occupe la 201e place ; sur les cinq cent meilleurs universités du monde pas une seule ne figure en Afrique francophone ! Le prix des denrées alimentaires flambent ceci dans une indifférence totale des leaders. Tous les jours le peuple se demande de quoi sera fait le lendemain.
Tout est devenu priorité et à chaque fois on tend la main aux colons ! Il n’est pas surprenant que dans ces conditions on sois les sous fifres des Occidentaux qui se glosent allègrement de nous. Et le pire c’est qu’il n’y a aucune lueur d’espoir au bout du tunnel.
* Bernard Bokodjin est sociologue togolais, activiste des Droits de l’Homme
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