Le canal du Mozambique, un enjeu stratégique pour la France
Bras de mer de l’océan Indien séparant l’île de Madagascar du Mozambique, le Canal du Mozambique abriterait d’importantes ressources énergétiques. La France est en passe de mettre la main sur ce nouvel eldorado pétrolier et gazier. Dès lors, on comprend encore mieux le jeu que Paris mène avec le pouvoir en place à Madagascar.
« A french coup ! », c’est ce que rapportait Billets d’Afrique (n°185, novembre 2009). Elle émanait d’un diplomate européen à l’issue de la réunion du Groupe international de contact (GIC) sur Madagascar (6 et 7 octobre 2009 à Antananarivo). Ce diplomate aux propos si peu diplomatiques se référait au rôle trouble joué par la France dans le renversement de l’ex-président Ravalomana et son activisme en faveur du nouveau président Andry Raojelina au cours des pourparlers inter-malgaches.
Cela était confirmé par Leonardo Simao, « l’ancien chef de la diplomatie mozambicain et membre de l’équipe de médiation de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) pour Madagascar, dans une discussion rapportée par l’ambassadeur des Etats-Unis. Après avoir rappelé les contentieux opposant la France et M. Ravalomanana, souligné le soutien apporté par la France au régime de M. Rajoelina et mentionné la pression qu’essaient d’exercer certains Français sur les négociateurs malgaches engagés dans le processus de « sortie de crise », M. Simao tira cette conclusion dénuée d’ambiguïté : « L’ingérence française dans les affaires malgaches équivaut à un quasi- colonialisme », (Thomas Deltombe. Le Monde Diplomatique, mars 2012).
En coulisses, la lutte d’influence a été sévère avec les Etats-Unis et surtout les pays d’Afrique australe, l’ambitieuse Afrique du Sud en tête, peu disposés à laisser la France jouer sa partition habituelle en Afrique. L’affrontement politique a d’ailleurs toujours pour conséquence un statu quo institutionnel mortifère pour les Malgaches, rincés par trois ans de tensions sociales, d’insécurité galopante, de prébendes et de corruption plus développée que jamais.
La récente alternance politique en France aura-t-elle une influence ? Pas si sûr à la lecture du blog du sénateur socialiste des Français de l’étranger, Richard Yung, qui préside par ailleurs le groupe d’amitié France-Madagascar et pays de l’océan Indien du Sénat et soutient encore plus le putschiste Rajoelina que la diplomatie française : « Je ne défends pas la séquence qui a abouti au départ de Marc Ravalomanana, même s’il n’était pas un modèle de vertu : autoritarisme, répression de manifestants (50 morts), corruption personnelle généralisée, et peu ami de la France. » (Billets d’Afrique 212 – avril 2012). Trois ans après le putsch, on peut en dire tout autant, voire pire, d’Andry Rajoelina. Ce qui change (tout), c’est que ce dernier soit l’ami de la France. Mais à quoi peut donc bien servir cet ami de la France ?
TOUCHE PAS AU GRISBI !
Parmi les confettis de l’empire colonial français, il y a encore des territoires inconnus de la majorité des Français. Car qui connaît les îles Eparses ? Ce chapelet d’îles paradisiaques, au cœur du canal du Mozambique, entre Madagascar et le continent africain. Rattachés depuis 1896 à la colonie française de Madagascar, ces îlots auraient dû être restitués, le 26 juin 1960, à la proclamation de l’indépendance de Madagascar. Il n’en fut rien, la France conservant dans son giron le récif de Tromelin, l’archipel des Glorieuses et les îlots Juan de Nova, Europa et Bassas da India. Ce n’est que treize ans plus tard, en 1973, que cette annexion a été tardivement remise en cause par Madagascar. En 1979, l’ONU recommandait à la France d’engager des négociations en vue de leur restitution à Madagascar. Puis plus rien jusqu’à l’orée du XXIe siècle.
Ce n’est qu’en 1999 que la question de la souveraineté des îles Éparses revient sur le tapis avec le projet de la Commission de l’océan Indien (COI) [1] d’envisager la cogestion des îles de Tromelin et des Eparses par la France, Madagascar et Maurice. Une perspective effrayante pour les Français : leur souveraineté sur ces îlots de quelques kilomètres carrés ne se discute pas. Les manœuvres politiques pouvaient alors commencer. Elles vont durer près de dix ans. Ainsi, en 2010, un accord-cadre de cogestion économique, scientifique et environnementale était signé entre l’île Maurice et la France par le ministre de la Coopération de l’époque, Alain Joyandet. Un texte dont les objectifs véritables sont écrits noir sur blanc dans le projet de loi de ratification du 25 janvier dernier présenté par l’ex-ministre des Affaires Etrangères, Alain Juppé :
« Il ne saurait être question que la France renonce à la souveraineté sur Tromelin non seulement sur le principe mais aussi parce que cela pourrait avoir un impact sur les autres différends relatifs à des possessions françaises d’outre-mer, en particulier celui avec Madagascar à propos des îles Eparses situées dans le canal du Mozambique. Devant la persistance du différend et compte tenu du caractère limité des enjeux économiques actuels, la France a privilégié une approche bilatérale en vue de rechercher un compromis. La négociation a abouti à l’accord signé avec Maurice le 7 juin 2010. Il ne saurait en tout état de cause être question que la France s’engage dans une procédure faisant intervenir un tiers (médiation ou procédure arbitrale ou juridictionnelle). C’est pourquoi a été privilégié un projet de cogestions sectorielles et géographiquement circonscrites qui a abouti à l’accord signé avec Maurice le 7 juin 2010. (…)
« Il permet d’apaiser un pan irritant d’une relation franco-mauricienne par ailleurs excellente et pourrait ouvrir la voie à des accords similaires avec Madagascar sur les îles Éparses du canal du Mozambique. »
C’est clair comme les eaux cristallines des îles Eparses : l’enjeu de cet accord, plus politique qu’économique, vise à conforter la possession française sur ces territoires. Il s’agit aussi d’éviter que le règlement de ces questions sensibles de souveraineté ne se fasse devant une instance internationale qui pourrait statuer in fine sur la restitution à Madagascar. Il est donc plus vital de traiter de façon bilatérale avec un rapport de force plus favorable.
Mais on comprend surtout que la France cherche un accord similaire avec Madagascar sur les îles Eparses. Car, dans ce cas, les enjeux économiques sont autrement plus importants. Mais personne ne le crie sur les toits car il s’agit, en fait, de sécuriser l’énorme potentiel énergétique que représentent ces îles. Juan de Nova, l’une d’elles, à 150 km de la côte ouest de Madagascar, est en effet au cœur du canal du Mozambique, au potentiel pétrolier et gazier gigantesque. Au large du Mozambique, les compagnies Anadarko et l’italienne ENI ont annoncé avoir découvert récemment des gisements géants de gaz naturel. Cette dernière prévoit d’ailleurs d’investir 50 milliards de dollars pour ce gisement estimé à plus de 637 milliards de mètres cubes.
Quant à Total, la compagnie vient d’offrir, le 19 mars, près de 113 millions de dollars pour le rachat de Wessex Exploration Plc qui détient 70% des droits d’exploration offshore et d’exploitation d’un des deux permis sur deux blocs au large de Juan de Nova. Quatre autres sociétés d’exploration se partagent les droits exclusifs accordés par deux arrêtés publiés au Journal officiel français du 30 décembre 2008. Leur rapport commun sur le potentiel de la zone parle de découvertes prometteuses. Mais chut ! Total est ainsi opérateur au cœur du canal du Mozambique mais aussi sur le champ de Bemolanga, sur le territoire malgache, à l’extrémité ouest du gisement fossile. Un eldorado pétrolier !
DE MAYOTTE A MADA, GEOPOLITIQUE DE LA FRANÇAFRIQUE
D’aucuns se sont demandés pourquoi la France s’était lancée, avec détermination, dans la départementalisation de l’île de Mayotte, soustraite arbitrairement à l’archipel des Comores en 1976 à l’issue d’un référendum scélérat.
Bien sûr, il s’agissait de mieux contrôler ce canal où transite une grande partie des pétroliers exportant le pétrole du Moyen-Orient vers l’Europe et l’Amérique. Mais n’y avait-il pas un autre enjeu sinon de rendre définitive la souveraineté française de ce territoire, véritable vigie au nord du canal du Mozambique ? Le futur eldorado énergétique est désormais étroitement surveillé !
Pour verrouiller le dispositif, il ne reste plus qu’à conserver sous sa coupe politique un affidé comme Andry Raojelina susceptible de signer un accord bilatéral en faveur de la souveraineté de la France sur les îles Eparses, moyennant une petite part du gâteau. Dans le cas présent, l’enjeu est hautement stratégique. C’est l’économiste et blogueur malgache, Patrick Rakotomalala, qui lève le lièvre en mars dernier dans un article très documenté : en 1978, la France décrète une zone économique de 200 miles marins (370 km environ) autour de l’îlot Juan de Nova. Madagascar fait de même en 1985, en obtenant le statut de Zone économique exclusive (ZEE, s’étendant à 200 miles d’un territoire) créé en 1982 par la convention de Montego Bay, autour de son territoire maritime. Or Juan de Nova est à seulement à 150 km (81 miles marins) des côtes malgaches. Ce qui veut dire que les deux zones se superposent. Il y a donc là un conflit de souveraineté majeur d’autant qu’il n’y a aucun accord de délimitation entre les deux pays [2].
Ironie de l’histoire, le décret français de 1978, crée la zone économique « sous réserve d’accords de délimitation avec les Etats voisins ».
A qui appartiennent donc les ressources énergétiques de la zone ? Comment serait arbitré ce conflit de souveraineté devant une juridiction internationale ? Un cas de figure qui suppose que Madagascar soit offensif sur la question. C’est tout l’intérêt pour la France d’avoir « un ami » pas trop regardant, si ce n’est de ses intérêts personnels, à la tête de l’Etat malgache. Une vieille tradition de la Françafrique et une logique prédatrice déjà à l’œuvre depuis cinquante ans. A ceci près qu’en 2012, la marionnette a besoin d’un vernis démocratique, fut-il appliqué au prix d’élections qui n’en ont que le nom. Elles sont prévues à partir de janvier 2013. Rajoelina prétextant ne pas savoir s’il se présentera.
NOTES
[1] La Commission de l’océan Indien est une organisation régionale créée en 1984. Elle regroupe les Comores, Madagascar, Maurice et les Seychelles ainsi que la France avec La Réunion. La démarche, essentiellement politique, s’inscrivait alors dans une logique de renforcement de la coopération Sud-Sud.
[2] D’après le droit de la mer, une zone économique exclusive (ZEE) est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources. Elle s’étend à partir de la limite extérieure de la mer territoriale de l’État jusqu’à 200 milles marins de ses côtes au maximum. La convention de Montego Bay reste évasive, tant sur la définition du tracé que sur la façon de régler un conflit de tracé. Son article 57 précise qu’elle « ne s’étend pas au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale », sans autre précision concernant des côtes proches de moins de 400 miles. Son article 59 laisse régler un tel conflit entre parties « sur la base de l’équité et eu égard à toutes les circonstances pertinentes ». Mais si le règlement devait être arbitré à plus au niveau, il reste à choisir entre au moins quatre juridictions compétentes. On s’évitera ces tracas si l’un des États en conflit a des dirigeants peu pugnaces.
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** Raphaël de Benito : source : http://survie.org
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