Le cas Trayvon martin et la nature de la justice américaine»
On ne peut pas extraire le cas Trayvon Martin de son contexte, celui d'un pays dont l'histoire est imprégnée de racisme. Personne ne peut imaginer, que si Trayvon avait été un blanc, il serait mort ce soir-là. L’Amérique a désespérément besoin d’un profond débat sur la race.
«Non coupable!» le verdict rendu le 13 juillet 2013 a suscité une vague d'indignation aux Etats Unis, déchirés suite à l'acquittement par un jury blanc de George Zimmerman, meurtrier de Trayvon Martin, un adolescent noir. Un verdict qui a rouvert des cicatrices nationales. L’acquittement est essentiellement le résultat de la législation de Floride «Stand Your Ground» («Défendez-vous»). Réalité dérangeante et fascinante de la justice américaine, celle-ci n'est pas seulement rendue dans le prétoire où s’est déroulé le procès, mais devant le tribunal de l'opinion publique. Ce jour là, alors que George Zimmerman quittait, libre, le tribunal, des manifestants ulcérés ont crié à la vengeance, révélant l'ampleur et la persistance des tensions raciales en Amérique.
Les faits remontent au 26 février 2012, à Sanford, dans la banlieue d'Orlando. George Zimmerman, homme blanc d'origine hispanique, effectue bénévolement une ronde, en voiture, dans un quartier qui fit récemment l'objet de cambriolages. Il aperçoit Trayvon Martin, un jeune noir de 17 ans, sweat-shirt et capuche sur la tête, sachet de bonbons et téléphone en main. Il n'est pas armé. Zimmerman juge son comportement suspect et appelle la police, qui lui suggère de poursuivre sa route et d’éviter la confrontation. Il décide autrement, sort de sa voiture son pistolet 9mm, à la main.
Quelques instants plus tard, l'adolescent meurt d'une balle dans la poitrine. Aucun témoin, hormis Zimmerman, pour relater les faits. La police locale se saisit de l'affaire sans inculper Zimmerman. Selon les conclusions de la police, il aurait agi en conformité avec la loi «Stand your ground», l'une des plus permissives aux Etats-Unis en matière de légitime défense. Celle-ci autorise l'utilisation d'une arme à feu si on sent sa vie en péril. Il est donc libre. Indignés, les parents de l'adolescent, avec le soutien de figures historiques de la lutte pour les droits civiques, lancent alors une pétition pour qu’il soit mis en examen.
Ils mettent sur pied un mouvement de soutien à Trayvon sur l’étendue des États Unis. La capuche et le sachet de bonbons en deviennent les symboles. Barack Obama déclare «Si j'avais un fils, il ressemblerait à Trayvon» et appelle à la réouverture de l'enquête. C'est chose faite en avril 2012. Zimmerman est inculpé pour meurtre, et se retrouve passible d'une condamnation à la prison à vie. Après 16 heures de délibération, le jury (composés exclusivement de Blancs) se range à l'avis de la défense qui s'était acharnée à démontrer que l’inculpé avait agi en légitime défense. Par contre, l'accusation aurait échoué à établir «au-delà du doute raisonnable» que Zimmerman n'avait pas tiré sur Trayvon en légitime défense.
« Que [ce meurtre] ait eu lieu dans un pays qui a élu puis réélu un président noir n'atténue pas le désespoir que ce verdict inspire, cela l'intensifie. Que cela ait pu arriver à un moment où les Noirs américains se trouvent si impliqués dans la politique nous dit que de tels événements sont une part difficile et persistante de notre réalité », affirmait un éditorialiste. Depuis le début de cette affaire, la question raciale et celle de l'usage des armes à feu en légitime défense ont fusionné pour enflammer les passions. La frustration est grande dans la communauté afro-américaine, persuadée qu'un tel scénario pourrait se jouer avec leurs enfants pour acteurs, à tout moment.
Elle dénonce une justice «de Blancs» même dans l'Amérique d'Obama. Une police et une société qui ont tendance à considérer les jeunes Noirs comme des suspects en puissance. Les défenseurs de Zimmerman estiment au contraire que ce dernier a été injustement accusé et diabolisé parce qu'il était blanc et qu’il n’a fait que se défendre en respectant la loi. La «frontière invisible» entre Blancs et Noirs que le président Obama avait décrite dans son «discours sur les races» s’est à nouveau dressée comme un mur. Une militante de l'époque des droits civiques proclame avec force que « cette frontière n'a jamais disparu».
Plus largement, ces événements mettent en lumière les inégalités qui frappent les Etats-Unis et la situation économique dramatique de la communauté afro-américaine. «Nous sommes des citoyens de seconde zone», scandent des manifestants… En 2013 encore aux Etats Unis, la vie d'un Noir vaudrait-elle moins que celle d'un Blanc ? La question relative à la condition des noirs est de taille : plus d'un individu sur quatre vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, un ratio qui monte à un sur trois pour les enfants parmi les 44 millions d'Afro-Américains. Un record. Quant au taux d'incarcération, alors qu’ils ne sont que 14% de la population américaine, ils représentent 1 million des 2,3 millions de prisonniers.
Une étude récente de la grande Association américaine pour l'avancement des gens de couleurs, la Naacp, prévoit qu'à ce rythme, «un jeune homme afro-américain sur trois né aujourd'hui peut s'attendre à passer par la case prison». Ces inégalités sont donc au cœur du combat mené depuis les années 80 par les militants des droits civiques.
A l'âge de Barack Obama, la société américaine n'est toujours pas une société post-raciale. Heureusement le pire tant redouté – de violentes émeutes - après le verdict n’a pas eu lieu. L'Amérique aurait-elle évoluée? Sur Twitter, une protestation souligne : «N'est-ce pas une forme de racisme que de croire que les Noirs vont tout casser» après un verdict qui ne leur plaît pas ? Certains y ont vu «l'effet Obama», autrement dit les conséquences du discours du président, s'exprimant pour la première fois depuis le verdict mais aussi sur son expérience d'homme noir. Ne déclare-t-il pas : «il y a trente-cinq ans, j'aurais pu être Trayvon Martin» ? Avant de poursuivre : «La communauté afro-américaine apprécie ces questions à partir de nombreuses expériences, et une histoire qui demeure. Très peu d'hommes afro-américains n'ont pas vécu l'expérience d'être surveillés dans un grand magasin où ils faisaient des courses. Cela a été mon cas. La communauté afro-américaine sait aussi qu'il existe une histoire de disparités raciales dans l'application de nos lois pénales.»
En expliquant « l'Amérique noire à l'Amérique blanche». Obama a offert une bonne entrée en matière pour briser un tabou et ouvrir le débat sur les questions raciales aux Etats-Unis. Cependant il n’a pas levé le scepticisme de la majorité sur la suite des événements.
Des poursuites fédérales doivent être engagées à l'encontre de Zimmerman pour faire baisser la tension et poursuivre la discussion sur la législation « Stand Your Ground » et les armes à feu. Eric Holder, le ministre de la Justice, lui-même afro-américain, s'en est directement pris, aux lois «Stand your ground» qu'il a décrites comme responsables «d'une longue liste de tragédies et de victimes trop souvent innocentes» et aux croyances erronées et stéréotypes malheureux qui servent trop souvent de base à l'action policière et aux jugements individuels.
On ne peut pas extraire le cas Trayvon Martin de son contexte, celui d'un pays dont l'histoire est imprégnée de racisme. Personne ne peut imaginer, que si Trayvon avait été un blanc, il serait mort ce soir-là. L’Amérique a désespérément besoin d’un profond débat sur la race. Mais nombreux sont ceux qui pensent que malgré ce drame, elle va probablement, comme dans le passé, tout faire pour l’éviter.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
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** Nayé Anna Bathily a publié cette chronique dans le journal sénégal Nouvel Horizon (source : seneplus.com)
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