Le débat sur l’intégration en France, une réalité néocoloniale
C’est quoi être Français aujourd’hui ? La question est devenue centrale dans le débat politique français aujourd’hui. Agitée jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. elle ne porte pas seulement sur l’affirmation d’une identité. Elle traduit la négation de l’autre, de cette diversité qui fait de la société française le reflet d’une immigration multiséculaire. Houria Bouteldja conteste cette dérive qui pousse à devoir, pour les Maghrébins et les Noirs surtout, «renier les fondements de sa culture et adopter ce qui fait la représentation commune de ce que pourrait être le citoyen idéal» pour la France
Pourquoi vous revendiquez vous en tant qu’indigènes ?
Houria Bouteldja : Et bien parce que nous vivons une réalité néocoloniale. Nous sommes les enfants d’une illusion qui a consisté à croire que les indépendances de nos pays signifiaient la fin de la colonisation. Or, en fait il ne s’agissait là que du premier acte de la décolonisation. Car, on le voit autant dans la métropole que dans ses rapports avec les anciennes colonies, la décolonisation est inachevée, ses soubassements idéologiques et culturels sont toujours actuels. Nous continuons donc de vivre une phase coloniale différente. Nous qui vivons des régimes et des systèmes d’oppression de diverses natures, nous nous reconnaissons dans cette appellation qui renvoie précisément et de manière crue à tous les oppresseurs la réalité de l’état où ils souhaitent nous confiner.
Pourquoi refusez-vous la notion d’intégration ?
Houria Bouteldja : De fait, la République abstraite tant célébrée refuse de reconnaître, en tant que citoyens de plein exercice, ceux qui sont originaires d’Afrique ou du monde arabo-musulman. Pour être intégré, il faut, pour paraphraser un personnage illustre, passer sa personnalité « au karcher », renier les fondements de sa culture et adopter ce qui fait la représentation commune de ce que pourrait être le citoyen idéal selon France 2 ou Finkielkraut. Mais même ceci est insuffisant. Adopter les mœurs et les usages locaux dans leur acception identitaire ne mène nulle part. Regardez l’histoire des harkis et le traitement discriminatoire qui leur est fait en France depuis la fin de la guerre d’Algérie. Elle illustre jusqu’à l’absurde cette imposture du reniement de soi présentée comme l’option idéale. A moins qu’il ne faille recourir à la chirurgie esthétique pour tenter de se débarrasser de nos ineffaçables différences...
Comment agit-on contre le Mouvement des Indigènes de la République ?
Houria Bouteldja : Ce n’est pas facile de nous traiter d’islamistes, de terroristes, d’autant que c’est un mouvement qui traverse l’Afrique, les Antilles, la France... D’où les moyens indirects : la diffamation permanente, le spectre de la peur des banlieues, de l’islam... Les élites dirigeantes ne peuvent plus dire ouvertement que nous leur sommes inférieurs, alors ils le suggèrent de diverses manières. Ce qui leur parait le plus efficace, c’est de mettre sur le devant de la scène des personnages « issus de la diversité » qui sont emblématiques pour eux de l’intégration réussie.
Le meilleur signe de cette réussite, de cette dissolution, dans ce qu’ils appellent LA société française, ce sont des gens, des femmes surtout, qui manifestent publiquement l’abandon de toute référence à leur milieu d’origine. C’est ce que nous appelons « l’intégration par le jambon » ou, mieux encore, qui adoptent une posture très offensive contre leurs communautés d’origine. Cette posture, qui se traduit notamment par la stigmatisation indifférenciée des jeunes de banlieue, est véhiculée par le consensus politique dirigeant. Ceci est illustré, par exemple, par cette association généreusement sponsorisée qui porte un nom que vos lecteurs risquent de trouver choquant.
Vous parlez de « Ni putes, ni soumises » ! C’est une appellation notoire, elle ne choquera personne en Algérie. Mais ces gens soulèvent quand même un vrai problème, celui du statut des femmes, surtout celui des jeunes filles, dans les quartiers populaires...
Houria Bouteldja : Il y a partout, dans la société, un problème de domination masculine : les femmes battues ne se recrutent pas exclusivement dans les milieux populaires défavorisés, loin de là. Désigner les jeunes des cités comme une catégorie spécifiquement violente vise à nous enfermer, les Maghrébins et les Noirs, dans une représentation où l’étranger, musulman de surcroît, est rétrograde et dangereux.
Qu’est ce qui fait qu’indigène est une catégorie politique pertinente ?
Houria Bouteldja : Le triptyque « colonialisme, impérialisme, normes idéologiques supérieures s’imposant à tous » reste actuel ; il a été spectaculairement remis au goût du jour par la montée des « néocons » au pouvoir partout en Europe. Rappeler alors, en termes de pensée politique, cette vérité et s’inscrire en résistance à ce niveau, fait effectivement mal parce que c’est un mot d’ordre juste qui interpelle. Le mot « Indigènes » est un destructeur de mythe : celui de la République universelle et égalitaire. De plus, il fait le lien avec le statut qu’avaient nos parents à l’époque coloniale et nous montre que la lutte de libération continue ici et là-bas.
Qu’est ce qui fait que cette réalité est niée unanimement à droite, à gauche ?
Houria Bouteldja : Il est normal que les centres même de la propagande occidentale se sentent visés. Ces centres sont de gauche et de droite. La droite toujours coloniale et capitaliste, la gauche à vocation idéologique dominatrice et paternaliste, souvenons-nous de la SFIO et du PCF pendant la guerre d’Algérie. La gauche française n’a pas rompu, loin de là, avec cet héritage. Les ressorts historiques sont toujours là et le mot indigène trouve toute sa justification. S’ajoute aujourd’hui l’action du sionisme qui tient le haut du pavé et voudrait que l’énoncé de la vérité soit exclusivement le fait des anciens « nouveaux philosophes », propagandistes. C’est la thèse sans cesse répétée de la guerre aux musulmans non soumis politiquement ainsi qu’à leurs alliés ex-coloniaux dont le lavage de cerveau n’a pas été efficace, traités d’islamo-gauchistes.
Vous êtes très engagés sur des thèmes de politique internationale.
Houria Bouteldja : Oui, et d’abord en ce qui concerne la tragédie palestinienne. Dans ce drame, les Occidentaux font porter aux Palestiniens le poids de leurs propres fantômes. La négation du fait national palestinien est un crime. Le génocide des juifs ne justifie pas ce déni de droit. La cause de ce peuple est au cœur de notre combat. Nous vivons un monde où les représentations sont inversées : Israël est sans cesse victimisé alors qu’il s’agit d’un état colonial, violent et spoliateur. On observe que la politique extérieure des Occidentaux vise inlassablement à imposer cet Etat aux peuples arabes et à la communauté internationale. Regardez l’Union Pour la Méditerranée, tout le monde voit bien qu’il s’agit de faire admettre le loup israélien dans la bergerie méditerranéenne.
Comment agissent les indigènes et quelles sont les perspectives du MIR ?
Houria Bouteldja : Nous sommes un rassemblement politique et non idéologique, transversal aux faux débats sur l’ethnique, le religieux, critique de la République historique et sarkoziste, de la lecture tendancieuse de la laïcité, etc. Plus nous avançons vers l’affirmation de nous-mêmes, vers l’éventuelle formation d’un parti politique et plus nous sommes l’objet de critiques, particulièrement de la gauche qui voudrait nous récupérer dans une logique qui considère que notre combat est finalement secondaire par rapport à ce qu’ils définissent comme les questions principales qui les opposent à la droite. Outre le racisme institutionnel sous-jacent, l’un des points d’achoppement principal est la question palestinienne et, on le voit bien, un consensus politique actuel aligné sur les thèses israéliennes.
Votre rapport à l’Algérie ?
Houria Bouteldja : Affectif. C’est mon pays d’origine et je suis très attachée à mes racines et à notre culture de résistance et de solidarité. Le combat libérateur des Algériens fait partie de mon histoire. Je suis avec intérêt l’évolution politique de ces dernières années et j’ai observé avec tristesse ce qui a pu s’y passer. Par ailleurs, je suis inquiète du rôle que sont en train de jouer les Etats du Maghreb en se constituant « gendarmes de l’Europe » contre nos frères d’Afrique noire. Ils trahissent l’esprit de l’indépendance et de la lutte anti-impérialiste. Mais j’ai une grande confiance dans le peuple algérien. Je suis sûre qu’il réussira à arracher ses droits, sa liberté et qu’il saura rester du côté des peuples opprimés.
* Houria Bouteldja est Porte-parole du Mouvement des Indigènes de la République (MIR) – Cet entretien a été par Saïd Mekki pour Algérie News
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