Le Franc CFA, une insulte à la souveraineté des pays africains
Le 5 octobre 2012, la France et les quinze pays de la zone franc ont célébré 40 ans d’accord de coopération monétaire. Cette coopération qui place l’essentiel des anciennes colonies françaises d’Afrique noire dans une situation de « dépendance » monétaire, essuie les critiques féroces de la part de plusieurs économistes du continent. Ces anti-CFA soulignent l’impact négatif de cette monnaie sur l’essor économique de nos pays.
On célèbre en ce 5 octobre 2012 les quarante ans du Franc Cfa, que vous inspire un tel évènement ?
Demba Moussa Dembélé - Malheureusement il n’ ya rien a célébrer parce que ces accords font partie d’un pacte néocolonial scellé aux moments des indépendances. Les anciennes colonies ont été piégées par le Général (Charles) De Gaulle et le gouvernement français. Donc les accords de coopération monétaire ou de défense, etc., sont tout simplement des instruments pour perpétuer la domination de la France sur nos pays et au niveau monétaire c’est un instrument privilégié pour dominer nos économies.
Plus de 50 ans après les indépendances nous constatons que tous les secteurs vitaux de nos économies sont contrôlées par des sociétés françaises. Donc, des gens qui sont acquis à l’idéologie néocoloniale et qui ne pensent et respirent que par la France, vont célébrer cela quelque part en France. Mais nous, on n’a rien à célébrer. Au contraire on doit dénoncer ces accords qui sont une insulte à la souveraineté de nos pays et à notre émancipation économique.
Justement les critiques soulignent un impact négatif du CFA sur l’essor économique des pays composants la zone franc, pouvez-vous nous en dire plus ?
DMD - Quand par exemple vous prenez la liberté de transfert entre nos pays et la France, c’est un moyen par lequel les capitaux quittent nos pays pour aller à l’étranger parce qu’à partir du moment où les capitaux se trouvent en France ils peuvent aller n’importe où dans le monde. Donc cette liberté de circulation des capitaux entre nous et la France, c’est une façon d’encourager l’hémorragie financière de nos pays. Grâce à cette liberté de transfert qui exclut toute forme de contrôle des mouvement des capitaux, notre épargne domestique peut simplement aller s’installer en France.
Pourtant, les partisans du FCFA vous rétorqueront aisément que son arrimage à l’euro a permis la stabilité monétaire et le maintien de l’inflation des pays de la zone Franc…
DMD - Ce n’est pas un argument valable, j’ai comparé avec d’autres pays comme l’Angola ou les taux d’inflations ne sont même pas comparables et ses taux de croissances sont supérieurs aux nôtres, ensuite ce pays attire dix fois plus d’investissement directs étrangers (Ide) que nos pays. Le Ghana qui est à coté est aujourd’hui en bonne santé, le cedi se porte bien et ce pays attire plus de capitaux que nos pays avec leur soi-disant stabilité financière. Le géant nigérian avec tous ses problèmes attire plus de capitaux étrangers que nous qui sommes dans la zone CFA.
Donc ce n’est pas la stabilité ou le faible taux d’inflation qui constitue un indice de performance, c’est une vision monétariste simpliste qui n’a rien à voir avec la réalité du développement économique et social.
Vous avez des pays comme la Chine qui est aujourd’hui la seconde économie mondiale où les taux d’inflations sont supérieurs aux taux enregistrés ici, parce que tout simplement on nous oblige à suivre aveuglément les politiques de la Banque centrale européenne, étant donné que nos deux banques centrales à Dakar et à Yaoundé sont des correspondantes du Trésor français. Nous n’avons pas de souveraineté sur nos politiques monétaires et c’est au détriment de nos économies.
Ensuite si vous prenez les quinze pays qui utilisent le Franc Cfa en incluant les Comores, à l’exception du Gabon, tous autres, c’est-à-dire y compris la Côte d’Ivoire et le Cameroun, sont classés soit dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA) soit dans celle des pays pauvres très endettés (PPTE).
Alors (…) où est l’atout que représente le Franc CFA ici ? Et j’ajoute à cela que 50 % de nos réserves de change, vous vous rendez compte, sont déposés au Trésor français. Comment voulez-vous que des pays dont la moitié des réserves sont déposés dans un autre pays puissent se développer, ce n’est pas possible !
Les critiques contre ce système font légion, mais quels sont les arguments dont nous disposons pour reconquérir notre souveraineté monétaire ?
DMD - D’abord l’argument que tout le monde peut constater c’est que le FCFA est un échec, on pourra continuer cinquante années encore mais on ne bougera pas. Vous savez, un pays dés qu’il devient indépendant, s’il veut affirmer sa souveraineté, a trois symboles : la monnaie, l’hymne et le drapeau. Vous avez la petite Gambie à coté et qui a son dalasi, est –ce qu’on n’est mieux loti qu’elle ? Cinquante années après la première constatation est que le CFA fait partie des obstacles aux développements de nos pays.
Deuxièmemt si nous qui sommes au sein de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, ndlr), c’est-à-dire quinze pays et 300 millions d’habitants, donc plus nombreux que les européens réunis, si nous ne sommes pas capables d’avoir une monnaie pour nous servir de levier de développement économique et social, alors ce n’est pas la peine d’être indépendants. Or cela fait des années qu’on discute de la mise en place d’une monnaie ouest africaine. D’ailleurs lors d’une rencontre prochaine, à Dakar, le directeur de l’Agence monétaire d’Afrique de l’ouest va nous faire l’état des lieux sur cette question.
Aujourd’hui quels discours faut-il porter à l’intention des chefs d’Etat afin de les faire réagir face à cette question ?
DMD - Le message qu’il faut, c’est de leur dire que toute monnaie qui circule sans être votre monnaie, aliène votre souveraineté. Et d’ailleurs vous vous souvenez qu’en 1994 au moment de la dévaluation du CFA, on n’a pas demandé l’avis de nos chefs d’Etat, on est venu les informer.
Et à l’époque ce n’était ni le président français qui était venu, ni son Premier ministre encore moins le ministre des Finances mais le ministre de la Coopération, qui était venu informer quatorze chefs d’Etat et de gouvernement, vous vous rendez compte ! On les a enfermés dans un hôtel et on leur a dit que c’est à prendre ou à laisser, vous n’avez pas le choix et ils ont signé. Cette humiliation montre qu’ils n’ont aucune prise sur cette monnaie.
Je pense que du point de vue de leur dignité, ils doivent savoir qu’il est temps de faire comme tous les autres pays du monde, même les plus petits qui créent leur propre monnaie.
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** Demba Moussa Dembélé est économiste & chercheur, Directeur du Forum Africain des Alternatives. Cette interview a été accordée à Ouestaf.com
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