Le paradoxe du « sang paternel » en République Démocratique Congo

Ce disent les lois de la République comptent peu, en République démocratique du Congo, en matière d’héritage. L’approche qui avait consisté à concilier les coutumes et les traditions, pour mieux défendre la veuve et l’orphelin, ne résiste guère à une prédation généralisée qui voit aujourd’hui des enfants et leur mère dépouillés de tous les biens, chassés de leur maison avec la disparition du père de famille. Pour Yves-Junior Manzanza Lumingu, cette pratique développe une mentalité à combattre en RDC, qui est d’attendre que l’autre meurt pour « régner en maîtres sur ce qu’il aura laissé ».

Avec la loi n° 87/010 du 1er août 1987 portant Code de la famille, le législateur congolais réglemente le droit des successions ( ) en tant que transmission des biens d’une personne à une autre du fait de la mort. Cette loi a le mérite d’avoir concilié les coutumes congolaises avec le droit moderne et a fait apparaître un droit successoral qui soit typiquement congolais. Elle distingue alors trois catégories d’héritiers, tous les enfants du défunt constituant la première catégorie et devant être privilégiés dans la répartition de l’héritage.

S’il existe un testament, son auteur reste bien sûr libre de disposer de son patrimoine comme il l’entend, mais en sauvegardant impérativement la part réservée aux enfants en tant qu’héritiers de la première catégorie. De même, en l’absence de toute disposition du de Cujus (succession ab intestat), les enfants reçoivent les ¾ de la succession, le ¼ restant étant dévolu aux héritiers de la 2ème catégorie (conjoint survivant, père et mère du de Cujus, ses frères et sœurs). C’est seulement lorsqu’il n’y a pas d’enfants que la part de ces derniers peut passer aux héritiers de la 2ème catégorie.

Malheureusement, le divorce entre la loi et la pratique est plus que manifeste, au grand dam des orphelins et des veuves. En effet, au lieu que ces héritiers bénéficient de la part des biens qui leur reviennent, c’est d’autres personnes qui, au nom des coutumes malicieuses et malveillantes, s’érigent en « ayants droit ». Les enfants et leur mère sont ainsi dépouillés de tous les biens qui appartenaient à la famille. Et comme si cela ne suffisait pas, ils sont encore chassés de la maison familiale. Aussi souffrent-ils non seulement de la disparition de leur père, mais aussi et surtout des traitements qu’ils auront à subir de la part de leurs oncles et tantes paternels.

Où vont alors les pauvres orphelins une fois délogés du toit parental ? Dans la rue, peut-être ! Ils se débrouillent bon gré mal gré pour trouver une habitation où ils pourront passer le reste de leur vie. A titre d’illustration, une veuve s’est retrouvée dépouillée même de ses volailles et de ses ustensiles de cuisine dans une cité de la Province du Bandundu. Et c’est vers 4 heures du matin que les ravisseurs emporteront leur « butin » au village. Dieu seul sait pourquoi ils ont choisi cette heure. L’on dirait sans doute pour passer inaperçus ; mais cet argument ne peut convaincre, étant donné que la société elle-même reste complaisante et indifférente, pour ne pas dire complice, ne se limitant qu’à de simples condamnations morales.

Quand comprendra-t-on que la mort d’un frère n’est pas l’occasion de martyriser ses enfants et son épouse, mais plutôt de les assister et de les aider à transcender cet événement douloureux ? Quel socialisme que d’aller ravir à ses neveux et nièces leur héritage ? C’est dans ce sens que se justifierait l’exclamation « solidarité africaine, tu n’es qu’un mot ». Et c’est dans ce genre de comportements même qu’il faudrait comprendre et lire l’image des sorciers et non comme on le laisse entendre aujourd’hui. En effet, écrit le Révérend Père Paul DELANAYE, « (…) le ndoki, c’est tout homme (…) qui n’aime pas, qui blesse l’amour et qui fait mal à l’autre (…). Ainsi, les frères du mari qui chassent la veuve et ses enfants, qui lui volent leur maison, leurs habits, leurs meubles et ustensiles de cuisine (…) »

Pourtant, quand un frère était en vie, ses enfants étaient aussi nos enfants, notre « sang », surtout lorsqu’il s’agissait de réclamer la dot d’une nièce ; après sa mort, les enfants sont non seulement abandonnés à leur triste sort, mais également dépouillés de leur héritage.

Comment renier ou chasser au jour du malheur « ce sang qui était nôtre » quand il était question de recevoir un costume ? Ce sang ne sera-t-il pas réclamé de nouveau si ces enfants réussissaient à émerger ou à acquérir une fortune énorme ? Que de fois voit-on ces mêmes ravisseurs se disputer sans scrupules la dot des enfants qu’ils avaient chassés ! C’est là qu’apparaît le paradoxe ; et les philosophes parleraient même d’une auto-destruction pragmatique.

Dès lors, il est inutile de chercher la réponse que de telles personnes donneraient à une question d’euthanasie proposée pour leur frère agonisant. Elle serait certes affirmative, non pas pour épargner le malade des souffrances atroces, mais pour rester régner en maîtres sur ce qu’il aura laissé, surtout s’il était un homme nanti, le « bois vert » de la famille.

Ces pratiques créent une paresse telle que l’on ne compte plus que sur les autres. Alors que l’on ne devrait plus, à ce jour, continuer à se définir en tant que « fils ou fille de », « frère et soeur de », etc. ; il faut plutôt lutter pour pouvoir se déterminer en tant que soi-même (individu doté d’âme et de conscience, corps propre) en cherchant à se façonner une personnalité, une identité, un nom. Et c’est cela qui fera la spécificité de chacun.

Aussi, pouvons-nous conclure avec Kibala Nana, que le véritable bonheur n’est pas le bonheur que nous vivons qui a été découvert par autrui, mais celui que par nos propres efforts inlassables nous découvrons. Enfin, nous bouclons notre réflexion en rappelant à toutes ces personnes qui se comportent en bourreaux qu’elles ont ou auront des enfants qui, plus tard, pourraient subir le même sort que ceux qui sont maltraités : ironie du sort ou vengeance divine ? C’est ici qu’il convient de puiser dans la sagesse des Ecritures Saintes une mise en garde qui n’est qu’un fondement même du droit naturel : « vous ne maltraiterez aucune veuve, ni aucun orphelin. Si vous le maltraitez, et s’il crie vers moi, j’entendrai son cri, ma colère s’enflammera, je vous tuerai par l’épée, vos femmes seront veuves, et vos enfants orphelins » (Ex 22, 21-23).

* Yves-Junior Manzanza Lumingu est chercheur et apprenant en D.E.S. à la Faculté de Droit/Université de Kinshasa - Membre du Réseau universitaire des chercheurs sur le genre)

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org