Le petit dictateur sénégalais est une création de l’Occident

La forte mobilisation contre le régime du président Abdoulaye Wade cache des faiblesses qui empêchent le mouvement contestataire de constituer une véritable force alternative. Car aussi bien le M23 que le mouvement Y en a marre peinent à développer une idéologie de rupture, pour mieux prendre en charge les désirs de rupture qui montent au sein des populations.

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Pendant que les gouvernements des nations occidentales commencent à prendre leurs distances avec le président sénégalais Abdoulaye Wade, le fait non reconnu est qu’il est leur création. Wade le sait certainement, raison pour laquelle il se montre si déterminé à rester au pouvoir et réprime l’opposition si durement, faisant 6 morts au cours de la première semaine des récentes manifestations (Ndlr : on en est à 14 morts après la deuxième semaine).

Les changements que Wade a apportés à la Constitution lui ont permis d’incarner l’Etat, mais aussi d’ouvrir le pays à plus d’investissements étrangers. Le fait que ceci ne figure pas dans les préoccupations des membres de l’opposition qui mènent les manifestations sous la bannière du Mouvement M23 constitue une indication de ses limites à le destituer ou à offrir les changements désirés par la population.

Les médias qui couvrent l’opposition croissante à Wade mentionnent souvent le scandale de la statue que celui-ci a fait ériger, pour un coût de 23 millions de dollars. Non seulement la statue offense les valeurs musulmanes, Wade prélève 35% du prix des billets d’entrée payés par les touristes sous prétexte qu’il s’agit de "sa propriété intellectuelle". Au vu de l’attachement que Wade porte à ce projet, on comprend le comportement de plus en plus dictatorial de l’homme avec lequel le monde doit composer. La construction de la statue fournit aussi un aperçu significatif de la gestion de l’administration Wade qui est profondément insérée dans une économie globale multipolaire. Ces connections ont alimenté l’émergence d’une catégorie d’hommes d’affaire qui travaillent main dans la main avec des politiciens largement critiqués pour leur corruption et le détournement des finances de l’Etat.

Si l’ego de Wade se compare aisément à ceux de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Egypte, la puissance politique des mouvements d’opposition est beaucoup moindre que dans ces pays. Le M23 sénégalais et le mouvement Y en a marre sont tous deux dotés de capacités d’analyse limitées, de positions idéologiques faibles voire inexistantes et de relations superficielles avec une frange étroite de la société. Fort heureusement, les membres de Y en a marre commencent à exprimer leur insatisfaction quant aux pratiques d’un M23 dominé par des figures de proue qui pratiquent une politique semblable, à s’y méprendre, à celle du président Wade. Il reste à voir s’ils sont capables de produire une analyse meilleure et si leur pratique avec la base politique vaut mieux.

La statue et la "renaissance "du FDI sénégalais

La statue de Wade, par laquelle le scandale est arrivé, a pour nom "Renaissance africaine", en association idéologique avec l’ancien président sud africain Thabo Mbeki qui, en 1997, à lancé une campagne pour la renaissance africaine. Laquelle, selon Mbeki, doit produire une plus grande cohésion sociale, la démocratie, la croissance économique et faire de l’Afrique un acteur significatif dans les affaires du monde. Mbeki a alors, conjointement avec Mouammar Kadhafi, pris la tête de l’initiative qui transformait l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en Union africaine (UA). Nombreux sont ceux qui ont souligné que ce processus impliquait l’abandon de nombreux objectifs du panafricanisme en matière de justice sociale. L’exemple le plus parlant a été l’orientation politique officielle de l’Union africaine, en particulier le New Partnership for Africa’s Development (NEPAD) devenu un moyen pour augmenter les possibilités du libre échange néolibéral sur tout le continent. En résumé, le NEPAD a ouvert le continent à davantage d’investissements étrangers. Il a entériné le droit de propriété, traite les firmes étrangères à la même enseigne que les firmes autochtones, diminue les impôts, permet l’expropriation pour le profit, crée des ports francs et d’autres limitations des droits des travailleurs.

En 2009, le ministre sénégalais de l’Intérieur, Me Ousmane Ngom déclarait « D’une part ces réformes visent à créer une environnement plus favorables pour le business, d’autre part à moderniser le cadre légal et les infrastructures géologiques afin d’attirer et de développer les investissements étrangers directs". Il n’est dès lors pas étonnant que les intérêts économiques internationaux aient chanté les louanges du gouvernement de Wade pendant des années. Ousmane Ngom se vantait de la position du Sénégal dans le dernier rapport de la Banque Mondiale "Doing business", dans lequel le pays occupait une position proéminente, la première en Afrique et la cinquième au monde.

Il est donc juste que la statue de la "Renaissance africaine" ait été érigée par une firme sud-coréenne plutôt que sénégalaise. Plus grande que la Statue de la Liberté, elle représente un homme herculéen, torse nu, un enfant sur son épaule gauche, pointant son doigt, vraisemblablement vers le futur (ce qui, curieusement est la direction de l’Europe). Sur sa droite, il tient une femme légèrement vêtue, que sa poigne soulève de terre tout en lui imprimant une mouvement vers l’avant. Le mensonge idéologique consiste à nier ce que près de 40 ans de recherche ont montré : la femme africaine fait la plus grande partie du travail sur le continent. Si la statue voulait montrer quelque chose plus proche de la réalité, elle devrait représenter une femme, un bébé sur le dos, du bois de feu sur la tête et de la nourriture dans la main, pendant que l’homme, assis quelque part dans le fond, attend son repas. Ceci n’est pas pour dire que les Sénégalais ne font pas de leur mieux pour apporter des revenus au foyer, mais le taux de chômage est de 48%, signifiant ainsi une âpre compétition pour des emplois sous-payés et un pouvoir d’achat en diminution constante. Il n’est guère surprenant que beaucoup d’entre eux soient habités par un profond désespoir et soumis à une humiliation quotidienne.

En examinant les réalisations que le gouvernement de Wade affirme avoir mené à bien, on peine à savoir d’où provient cette image d’un homme africain musclé qui s’avance vers la science, la technologie et les arts qui sont sûrement des éléments essentiels de toute "renaissance". Il semble que le talent principal de Wade ait été de signer des chèques en faveur de compagnies étrangères. Mais sa réalisation la plus importante de Wade, et de loin, a été de permettre l’exploitation des minerais dans la région de Toumbacounda, liés à un projet de construction du plus grand port d’Afrique de l’Ouest pour 527 millions de dollar. Le port est en construction dans le cadre d’un partenariat public/privé avec DP World, une filiale de Dubaï World Group, une compagnie qui a aussi encaissé 800 millions de dollars afin de construire et gérer une zone économique particulière basée à Jebel Ali Freetrade Zone à Dubaï. Le port facilite l’extraction de l’or par une compagnie canadienne et saoudienne : Sobadala Mining et Iamgold Group. Celles-ci sont rejointes par une compagnie londonienne, enregistrées par Jersey Channels Incorporated sous le nom de Rand Gold. La multinationale Arcelor Mittal exploite également un gisement de fer au niveau de la Falémé. De nombreux autres métaux de valeur se trouvent dans la région, tels que du cuivre, du chrome, du lithium, de l’uranium. Les quantités semblent moins importantes que leurs propriétés sont rares pour des alliages utilisés pour de nouveaux composés. métalliques.

Ces minerais arriveront au port par des routes qui devront être restaurées ou construites, projets qui ont été octroyés à des compagnies comme SGS Industrials basé en Suisse, la Henan Industrial Corporation chinoise et l’APIX. Beaucoup de Sénégalais estiment insultants que 50 ans après l’indépendance ils ne peuvent toujours pas construire leurs propres routes. Sous la pression de la Banque Mondiale, le Sénégal a aussi été impliqué dans la privatisation des services de l’eau, quand bien même la privatisation préalable de l’électricité, impliquant Hydro Québec et plus tard Vivendi, s’est avérée un échec et annulé. Vivendi est une société absolument détestée en Afrique du Sud pour son système de prépaiement (connue en Afrique du Sud sous le nom de Veolia Environment). Ces processus de privatisation ont eu pour résultat une augmentation des coûts pour les ménages des travailleurs, alors que les salaires stagnent. Ainsi, au Sénégal un fossé de plus en plus profond s’est creusé au sein de la population, entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne le peuvent pas. Des routes à péage (…) transportent les riches vers les faubourgs, pendant que les autres rentrent chez eux d’une façon qui rappelle l’Apartheid.

Dans la propagande gouvernementale, Wade se présente régulièrement comme une personnalité du genre de Martin Luther King ou de Nelson Mandela, comme s’il partageait leur souci de la justice sociale. Pourtant, au lieu de se préoccuper du nombre croissant de sans abris qui vivent dans des cadres délabrés avec la puanteur des égouts, il met son énergie dans des projets prestigieux qui, au mieux, profitent aux riches. Des projets qui ne sont rien de plus que des imitations bon marché, un peu comme les imitations des montres Gucci qui se vendent à tous les coins de rue. Le Grand Théâtre National, construit récemment par une compagnie chinoise, en est un bon exemple. L’intérieur du bâtiment est magnifique, mais on se demande comment trouver au Sénégal assez de gens ayant les moyens d’acheter le billet qui permettra de remplir la salle. Une visite aux toilettes montre une plomberie médiocre et une robinetterie kitch mal assemblée. A n’en pas douter, ce genre de travail va conduire à de nombreuses fuites d’eau dans quelques années, à l’instar de ceux que l’on trouve dans ces immeubles d’appartements de luxe qui se construisent à toute vitesse en ville. Il est probable que dans deux décennies le théâtre rejoindra les bâtiments qui, comme d’anciennes reliques, entourent la place de l’indépendance. Construits dans l’enthousiasme du début de la période post indépendance, ils sont maintenant la manifestation d’un rêve qui ne s’est pas réalisé.

LES CONDITIONS DECLINANTES DU COMMERCE

Bien que la ruée globale sur la richesse sénégalaise ait contribué à enrichir les compagnies étrangères et une petite catégorie de compradors, le reste de l’économie a souffert. L’agriculture reste la source principale d’activité pour 77% des forces de travail. Elle reste néanmoins hautement dépendante d’une météo de plus en plus erratique. La production locale d’arachides – la principale denrée d’exportation - a décliné, en partie en raison de la privatisation de Sonacos, la compagnie étatique de commercialisation et de conditionnement, mais aussi en raison du changement climatique et de la dégradation du sol. L’industrie halieutique décline en raison de la diminution des bancs de poissons due aux bateaux étrangers qui braconnent en toute impunité dans les eaux d’Afrique de l’Ouest. Les mauvaises perspectives d’emploi ont alimenté un courant de migration illégale vers l’Europe parmi ceux qui aspirent à un monde meilleur, même si à l’arrivée ils risquent la mort aux mains d’hommes armés racistes.

Les données les plus récentes de la Banque Mondiale montrent une balance commerciale négative pour le Sénégal, avec - 1,113 milliards de dollars. Le pays exportait en 2009 pour 1 652 milliards et importait pour 3864 milliards de dollars. Les exportations sont bien sûr beaucoup plus conséquentes en termes de volume. Ce qui signifie que plus de cargos quittent le pays, mais ce sont principalement des matières premières. Il s’en suit que la valeur des produits importés est importante, parce qu’étant souvent des biens de consommation manufacturés (téléphones cellulaires, vêtements, électronique). C’est précisément contre ce néocolonialisme que des gens comme Amilcar Cabral ont mis en garde.

LA FORCE ET LES LIMITATIONS DE L’OPPOSITION

A certains égards, l’opposition pourrait s’avérer plus puissante que ce que Barnaby Philips écrivait dans les pages du AJE il y a quelques jours. Ses impressions de Philips concernent Dakar, alors qu’il est intéressant de noter que les manifestations ont pris de l’ampleur dans des villes plus petites à travers tout le pays, là où Wade avait sa base.

Néanmoins, l’opposition est plutôt déconnectée de la lutte quotidienne des travailleurs. Au cours des années précédentes, il y a eu nombre de contestations dans le monde du travail, souvent vaguement relatée dans les médias alors qu’ils ont eu un impact puissant. Il est souvent difficile d’établir si ces disputes sont des grèves des travailleurs ou du capital. Par exemple, récemment, en protestation contre l’augmentation du prix du carburant, les harcèlements de la police et la corruption, il y a eu une grève des taxis et des employés des transports qui ont réussi à perturber le service pendant trois jours avec presque 100% de participation. Précédemment, le syndicat des journalistes au niveau du service public de l’audiovisuel a participé à une protestation et interrompu le travail, dénonçant son utilisation par Wade à des fins de propagande plutôt qu`à maintenir des standards de journalisme. Ce sont là des acquis impressionnants, or les manifestations ne révèlent pas de lien avec les syndicats qui mènent ces luttes.

Dès lors, l’opposition ne parvient pas à procéder à une analyse qui aiderait à comprendre les fonctions de l’économie et à procurer des alternatives. L’homme de la rue ne peut que déclarer que "Wade est trop vieux", pendant que les autres candidats vantent leurs atouts pour assurer sa succession. Pour la plupart d’entre eux, ces atouts ont été acquis dans le parti de Wade, le PDS. Il s’avère en fait qu’ils se montrent plutôt opportunistes et intéressés, allant et venant dans le PDS selon ce que Wade leur offre, sans annoncer de principes politiques. Sans une base, leur rhétorique se limite à des dénigrements personnels plutôt infantiles.

La réalité plus profonde est que l’économie globale néolibérale se défait de sa brève association avec les démocraties libérales. Dans les pages du Financial Times, Wade lui-même a vilipendé l’Occident et a vanté sa capacité à travailler avec les Chinois dans une logique de capitalisme libre imposée au Sénégal par l’Europe et l’Amérique du Nord. Il a suivi leurs injonctions qui, au final, miné leur contrôle qu’ils avaient sur lui et il a maintenant de nombreux partenaires commerciaux fort peu préoccupés par la façade cérémonieuse de la démocratie.

Les Sénégalais eux-mêmes ne devraient pas rechercher plus longtemps un modèle héroïque, mais plutôt reconsidérer l’idée sous-jacente à la lutte pour l’indépendance. Les dirigeants, liés par une idéologie qui a échoué, ne peuvent amener le changement et ne pourront séduire leurs citoyens que par des statues et du spectacle.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



* Toby Moorsom enseigne à la Queen’s University au Canada et est le rédacteur du Nokoko Journal of African Studies. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger


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