Les élections de Côte d’Ivoire : chronique d’un échec annoncé
Si la Côte d’Ivoire est aujourd’hui dans une impasse qui risque de déboucher sur une conflagration armée aux conséquences terribles pour le pays et pour la sous-région, le chemin a été bien balisé pour arriver à une telle situation. Pierre Sané relève trois erreurs dans le processus électoral, dont on ne devrait pas s’étonner qu’elles aient conduit aux blocages actuels. Se refusant de jeter en pâtures le régime de Gbagbo, il souligne que la solution ne peut être qu’ivoirienne et appelle les Africains à avoir une lecteur de ce conflit qui, au-delà des clivages nationaux ethniques et religieux apparents, oppose surtout deux projets de société qui, pour faire simple, voient s’affronter des dirigeants tenants d’un libéralisme mondialisé à d’autres qui adhèrent à un panafricanisme souverain et socialisant».
Ce devait être des élections qui allaient permettre de mettre fin à la crise, de tourner enfin la page du legs de Félix Houphouët-Boigny et d’engager la Côte d’Ivoire sur le chemin de la paix et du développement. Cela aura été en tous les cas les élections africaines les plus longuement et méticuleusement préparées qui ont impliqué, depuis les Accords de Marcoussis en janvier 2003 (1), un nombre impressionnant d’acteurs : le pouvoir, la rébellion armée, les partis politiques ivoiriens, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union africaine, la France, l’Union européenne, la Francophonie, les Nations Unies sans oublier les médiateurs successifs (le Togolais Gnassingbé Eyadema, le Sud-africain Thabo Mbeki et le Burkinabè Blaise Compaoré...). Du jamais vu en Afrique !
Le processus électoral avait fait l’objet d’un consensus laborieux entre toutes les parties prenantes, même si à chaque étape il y avait eu des dérapages. Des audiences foraines au recensement de la population, de la constitution du fichier électoral à la délivrance de cartes d’identité nationale, de la constitution puis reconstitution de la Commission électorale indépendante à la distribution des cartes d’électeurs, l’ensemble du processus élaboré et mis en œuvre par le pouvoir, l’opposition et les rebelles sous la supervision sourcilleuse de la communauté internationale était censé délivrer un résultat incontesté. Un code de bonne conduite avait même été élaboré par les partis politiques au-delà de la loi électorale et de la Constitution pour s’assurer du respect des règles par tous les acteurs de la compétition électorale… Cerise sur le gâteau, il était fait appel aux Nations Unies pour certifier l’ensemble du processus… Du jamais vu en Afrique !
Ainsi, après le premier tour, tous s’accordaient pour valider la sincérité du scrutin et les deux candidats s’engageaient à respecter le verdict des urnes au second tour. Mais voilà qu’à l’arrivée on se retrouve avec deux vainqueurs. Un échec et une impasse qui risquent de plonger le pays dans une guerre civile plus dévastatrice encore que celle qu’il a connue de 2002 à 2005. Et, au bout du compte, quel que soit le vainqueur, ce dernier risque de gouverner pendant longtemps contre une moitié du pays.
Que s’est-il passé ? Pourquoi en est-on arrivé là et comment en sortir ? Au-delà des jugements à l’emporte-pièce, des prises de position partiales, instructions péremptoires et menaces, il est important de dégager un post mortem objectif afin de servir de leçon pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique.
Observateur impartial et objectif de la scène politique ivoirienne et conscient que même si on se réclame du panafricanisme on ne saurait s’adjuger le droit de donner des instructions aux dirigeants ivoiriens, surtout dans une Afrique où les conflits internes sont complexes et où la manipulation des processus électoraux est plus la règle qu’autre chose. De ce qui devait être des élections «parfaites» jusqu’au blocage actuel j’ai identifié quatre anomalies/erreurs qui ont, à mon avis, entraîné des dysfonctionnements menant à l’échec programmé du processus. Cet échec est bien sûr à mettre au passif de tous les acteurs impliqués qu’ils soient nationaux ou internationaux.
La première anomalie a trait au non-respect des accords signés, qui prévoyaient notamment un cadre et un échéancier pour l’organisation et la tenue pacifiques des élections présidentielles. Ces modalités ont été stipulées dans le 4e Accord complémentaire à l’Accord politique de Ouagadougou (2), qui dresse un canevas pour les opérations de démobilisation, de désarmement et de stockage des armes, précise les conditions de restauration de l’appareil d’Etat et de son administration dans le pays tout en prévoyant la sortie de la crise.
Ainsi l’Accord complémentaire, dans son article 3, stipule : «[...] Afin de favoriser l'organisation des élections dans de bonnes conditions, les deux Parties ont convenu de relancer, sans délai et sous la conduite du CCI [Centre de commandement intégré] et la supervision des Forces impartiales, le désarmement, le stockage des armes des deux Forces ex-belligérantes, ainsi que la démobilisation des ex-combattants des Forces nouvelles. En tout état de cause, ces opérations devront être achevées au plus tard deux mois avant la date fixée pour l'élection présidentielle. »
L’Accord complémentaire prévoit également le regroupement et le cantonnement des forces rebelles, le démantèlement des milices, le paiement de primes de démobilisation, le tout « devant être achevé au plus tard deux mois avant les élections présidentielles. » En outre, l’article 8 du même Accord complémentaire reconnaît « que la non réunification du pays et les lenteurs accusées dans la normalisation institutionnelle et politique constituent de sérieux obstacles à l'organisation d'élections justes, transparentes et démocratiques.»
Il apparaît que les clauses ci-dessus, absolument essentielles à la tenue d’élections ouvertes, n’ont pas été respectées, les rebelles refusant de désarmer et rendant aléatoire le redéploiement de l’administration et la récupération par l’Etat de ses recettes fiscales et douanières. Or l’expérience récente (Irak, Afghanistan) a montré qu’il était illusoire de prétendre tenir des élections libres et transparentes dans des zones contrôlées par des rebelles en armes.
Pourquoi la communauté internationale n’a-t-elle pas exigé des rebelles qu’ils se conforment à l’Accord politique de Ouagadougou et ses quatre Accords complémentaires qu’ils ont eux-mêmes signés ? Pourquoi le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a-t-il pas donné instruction aux rebelles de désarmer tel que prévu dans l’Accord de Ouagadougou que le Conseil a entériné ? Pourquoi le Facilitateur, parrain du processus de Ouagadougou, Blaise Compaoré, n’a-t-il pas exercé les pressions nécessaires pour faire respecter cette clause essentielle ? Et enfin, pourquoi les rebelles et leur chef politique, le Premier ministre Guillaume Soro, ont-ils refusé de désarmer alors qu’ils étaient signataires de l’Accord ?
Ce manquement primordial au processus électoral élaboré laborieusement ouvrait fatalement la possibilité de violences et d’intimidations dans des zones contrôlées de fait par des groupes d’opposition armés dans le Centre, dans le Nord et dans l’Ouest du pays. Le fait que ces violences aient pu entacher la régularité du scrutin a été apprécié différemment par le Conseil constitutionnel et par le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Côte d’Ivoire, créant ainsi une nouvelle crise.
La deuxième anomalie, à mon avis, tient à la composition et au mode de fonctionnement de la Commission électorale indépendante (CEI). Prêtant serment au palais présidentiel le 25 février 2010 devant le Conseil Constitutionnel et en présence du représentant du Facilitateur et du représentant des Nations Unies, ses membres s’étaient « engagés à remplir leur mission dans le respect de la Constitution et en toute impartialité ».
Or cette Commission est composée de trente et un membres, dont onze représentant les corps constitués et ving venant des partis politiques et groupes rebelles. Fait probablement unique en Afrique, sur les vingt représentants des partis politiques et groupes rebelles dans la Commission, l’opposition compte dix-huit représentants et le parti au pouvoir deux ! A supposer même que les représentants des corps constitués (11) soient tous proches du pouvoir, cela ne ferait jamais que treize en face de dix-huit. En quelque sorte, la Commission « indépendante » est bel et bien contrôlée par l’opposition ! D’ailleurs, son président est un membre éminent de la coalition de l’opposition et ancien ministre PDCI dans le gouvernement Gbagbo. Fait curieux, tous ces membres ont été nommés par décret présidentiel ! Et parmi les dix-huit membres de l’opposition, on en retrouve six qui représentent trois groupes rebelles (MPCI, MPIGO et MJP) ayant depuis longtemps fusionné dans les Forces nouvelles, et huit issus de quatre partis politiques d’opposition (PIT, UDPCI, MFA et UDCY) dont le score combiné au 1er tour de la présidentielle s’est élevé à 3,5 % des voix exprimées, les quatre autres représentant le RDR et le PDCI… Du jamais vu en Afrique… ou ailleurs !
Et pourtant la loi électorale promulguée en 2001 ne prévoyait que « deux représentants de chaque parti ou groupement politique ayant au moins un Député à l'Assemblée Nationale ou ayant remporté au moins une élection municipale » (3).
C’est qu’entre-temps il y a eu une tentative de coup d’Etat, une rébellion armée, l’envoi par la France et les Nations Unies de forces d’interposition et le début du ballet politico-diplomatique menant de Marcoussis à Ouagadougou, en passant par Accra et Pretoria. C’est à Marcoussis qu’une telle composition de la Commission a été concoctée au mépris de la Constitution ivoirienne adoptée deux ans plus tôt par une large majorité des Ivoiriens et au mépris des règles d’équité les plus élémentaires.
En plus de cette composition pour le moins insolite (et sans doute pour en atténuer un peu les conséquences), on y ajoute une modalité de prise de décision qui va nécessairement mener au blocage : le consensus. Ce blocage a découlé du différend concernant le sort à réserver aux résultats de plusieurs départements dans le Nord du pays, de l’opportunité de prononcer des résultats provisoires compte tenu du manque de consensus et du dessaisissement de la Commission électorale par le Conseil constitutionnel. C’est suite à ce dessaisissement que le président de la CEI, membre de l’opposition, a procédé dans la précipitation et la plus grande confusion à une déclaration de résultats provisoires non consolidés et encore moins validés par l’ensemble des commissaires centraux de la CEI et, fait inédit, depuis le QG de campagne du candidat de l’opposition, en d’autres termes de son candidat !
Auparavant une image avait fait le tour du monde, celle de papiers arrachés et déchirés des mains du porte-parole de la CEI, membre de l’opposition. L’auteur de cet acte, commissaire central de la CEI et représentant le ministre de l’Intérieur, a déclaré à la presse pour justifier son acte : « Le mode opératoire que nous avons adopté de façon consensuelle est qu’avant que les résultats ne soient rendus publics, ils ont besoin d’être consolidés en Commission centrale. Ce dont il s’agit, c’est que M. Bamba Yacouba a agi en violation flagrante du mode opératoire unanimement admis par la CEI. »
Il est donc avéré que la Commission électorale n’a pas respecté son serment d’impartialité et de respect de la Constitution. Mais pouvait-il en être autrement au vu de sa composition, de son mode opératoire et des enjeux ? Peut-on être à la fois juge et partie ? Pourquoi devrait-on estimer que les résultats collatés et promulgués par le seul président de la Commission (la Commission n’ayant pas statué à ce jour) reflètent fidèlement le souhait de la majorité des électeurs ? Et surtout pourquoi avoir imposé une telle composition de la Commission électorale ?
En tout état de cause l’ordonnance de 2008 portant ajustement au code électoral pour les élections de sortie de crise indique que la proclamation définitive des résultats relève de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel, la proclamation des résultats provisoires par la CEI ne constituant qu’une étape dans le processus électoral. Et c’est là que survient à mon avis la troisième erreur. Elle est due à la précipitation du Conseil constitutionnel. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause sa légitimité ou la légalité de son action. Comme partout ailleurs, sa composition et ses attributions sont fixées par la Constitution. Et comme partout ailleurs, son président est nommé par le chef de l’Exécutif. L’argument selon lequel son président serait un proche du président de la République n’est donc pas recevable. C’est la même chose partout.
Comme partout ailleurs, le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire est juge de la constitutionnalité des lois. II « contrôle la régularité des opérations de référendum et de l’élection des représentants du peuple » (4). Il « statue sur l’éligibilité des candidats aux élections présidentielle et législative, les contestations relatives à l’élection du Président de la République et des députés. Le Conseil constitutionnel proclame les résultats définitifs des élections présidentielles » (5). C’est fort de ce mandat que le Conseil constitutionnel a procédé à l’annulation du scrutin dans sept départements (sur les huit contestés) sur la base de l’examen des cinq requêtes introduites par le candidat Laurent Gbagbo au sujet d’irrégularités ayant trait « à l’absence de ses représentants et délégués dans les bureaux de vote ; au bourrage d’urnes ; au transport des procès-verbaux par des personnes non autorisées ; à l’empêchement de vote des électeurs ; à l’absence d’isoloirs ; et à la majoration des suffrages exprimés ».
Sur la base des éléments de preuves soumises en appui des requêtes, le Conseil constitutionnel a procédé à l’annulation du scrutin des départements incriminés et procédé au redressement des résultats aboutissant à la proclamation de Laurent Gbagbo comme vainqueur.
Toutefois, puisque comme partout ailleurs la décision du Conseil constitutionnel est finale et sans recours et compte tenu des circonstances exceptionnelles pourquoi le Conseil n’a-t-il pas pris le temps d’enquêter plus à fond sur les requêtes déposées par le candidat Laurent Gbagbo et peut-être même solliciter du candidat Alassane Ouattara un dépôt de requêtes, quitte à faire une exception sur le non-respect des délais ? De même, pourquoi n’a-t-il pas ordonné la reprise des élections dans les départements incriminés en sollicitant, par le biais du gouvernement, les forces armées et les forces des Nations Unies pour assurer la sécurité dans les bureaux de vote de ces sept départements ? Ou, tout simplement, pourquoi n’a-t-il pas procédé à l’annulation et à la reprise du scrutin après 45 jours comme prévu dans l’ordonnance ?
Toujours est-il que cela demeure une décision de la justice suprême du pays qu’il ne nous appartient pas ici de remettre en cause, tout comme cela s’est passé dans nombre d’autres élections africaines et même ailleurs (par exemple lors du face-à-face George W. Bush-Al Gore aux Etats-Unis). Je peux comprendre que la rapidité choisie avait pour but de contrer l’action du président de la Commission électorale, mais cela a inévitablement créé une suspicion de partialité.
La dernière précipitation et anomalie ont été bien sûr la certification des résultats par le Représentant des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire. Lors d’une conférence de presse tenue à Abidjan le 12 novembre 2010, Choi Young-Jin avait certifié les résultats définitifs du premier tour de l’élection présidentielle tenue le 31 octobre 2010, six jours après leur proclamation par le Conseil constitutionnel. S’appuyant sur les cinq critères cadres de la certification (paix, inclusivité, accès aux médias d’Etat, liste électorale définitive et résultats), le chef de l’ONUCI avait estimé que le premier tour de l’élection présidentielle avait eu lieu dans « un environnement globalement pacifique et sécurisé, malgré des incidents isolés, notamment des actes d’intimidation et d’obstruction à la liberté de mouvement dans certaines régions. »
Pour la première fois de son histoire, l’ONU se voyait conférer un tel rôle. A la suite des Accords de Pretoria de 2005 (6), le Conseil de sécurité, dans sa résolution n°1765 (7), avait confié au Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies le mandat de certification exercé à titre exclusif et personnel. La résolution précise que « le Certificateur doit sauvegarder les résultats légitimes avec engagement, honneur et détermination. Il veillera à ce que les résultats soient respectés ; que le vainqueur soit celui qui a gagné les élections ; que les résultats ne fassent l’objet ni de contestations non démocratiques, ni de compromissions. »
Reposant sur le respect des critères cadres ci-dessus la certification confiée au Représentant spécial du Secrétaire général comprend donc les différentes étapes du processus électoral, la sauvegarde des «résultats légitimes» et la prévention de «contestations non démocratiques ». La question essentielle à laquelle il convient donc de répondre est bien celle de la signification du terme « résultats légitimes ». S’agit-il des résultats provisoires ? Ou des résultats définitifs ? Des résultats proclamés par la Commission électorale indépendante ou de ceux proclamés par le Conseil constitutionnel ?
Est légitime ce qui est conforme à la loi. Et dans ce cas d’espèce la légitimité des résultats découle, comme dans toute démocratie, de l’organe qui confère la légitimation à savoir le Conseil constitutionnel. Pourquoi le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies n’a-t-il pas travaillé sur les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel et décidé ou non de les certifier comme cela a été le cas lors du premier tour. En cas de désaccord persistant, pourquoi n’aurait-il pas procédé à la vérification détaillée des critères d’annulation mis en avant par le Conseil constitutionnel et évalué leur force de justification et même demandé, compte tenu des circonstances exceptionnelles, qu’Alassane Ouattara puisse soumettre des « contestations démocratiques » et ensuite transmettre un rapport au Conseil de sécurité ?
Il n’y a pas d’élections « parfaites », ni en Afrique ni ailleurs. Et personne ne peut en outre prétendre aujourd’hui savoir pour sûr qui a gagné les élections présidentielles et surtout si les requêtes déposées étaient valables ou non. Voilà pourquoi un organe judiciaire est celui à qui la loi confère l’autorité en dernier ressort de trancher et de décider du résultat final du scrutin. En Afrique, il y a eu, au cours de ces dix dernières années, maintes contestations de résultats d’élections. Seules les décisions prises par les organes judiciaires suprêmes ont conféré la victoire à l’un des candidats. Cela aurait donc dû être le cas également en Côte d’Ivoire, à moins de récuser la légitimité de son Conseil constitutionnel, ce qui serait contraire à l’ensemble des résolutions du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire qui commencent toutes par : « Réaffirmant son ferme attachement au respect de la souveraineté, de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et de l’unité de la Côte d’Ivoire, et rappelant l’importance des principes de bon voisinage, de non-ingérence et de coopération régionale ». La supervision exercée par les Nations Unies ne suspend en aucune manière la Constitution ivoirienne.
La précipitation du Certificateur à déclarer un vainqueur a certainement contribué à l’impasse actuelle contrairement à ce qui s’est passé en Guinée, où les différents organes ont pris le temps nécessaire ce qui a permis d’apaiser les tensions.
Tous ces dysfonctionnements ont précipité la Côte d’Ivoire au bord de la guerre civile et l’urgence aujourd’hui est d’abord de la prévenir.
Comment en sortir ?
Depuis l’arrivée au pouvoir du FPI en 2000, force est de constater que ce parti n’a jamais pu gouverner sereinement la Côte d’Ivoire. Victime d’un coup d’Etat avorté suivi d’une rébellion armée qui a abouti à une partition de fait depuis 2002, le régime s’est vu imposer par la communauté internationale un partage du pouvoir qui a amené ses opposants et même les rebelles à exercer une partie du pouvoir, y compris le contrôle de la Commission électorale et donc du processus électoral.
Au lieu de sanctionner les rebelles et leurs soutiens, on leur a offert des strapontins ministériels en imposant des Premiers ministres successifs jusqu'à installer le chef des rebelles au poste de Premier ministre (censé être neutre pendant les élections présidentielles à venir). Ce qu’ils n’ont pas réussi à obtenir par les armes la communauté internationale le leur a offert sur un plateau d’argent, sans pour autant obtenir en contrepartie le désarmement et la réunification du pays !
Il est donc compréhensible que la moitié du pays qui a soutenu le président Laurent Gbagbo ait une légitime attitude de ras-le-bol et de défiance vis-à-vis de cette même communauté internationale qui s’est empressée de reconnaître des résultats provisoires faisant fi du processus démocratique et des règles constitutionnelles du pays. Par ailleurs, l’autre moitié du pays estime que seule l’implication de la communauté internationale est en mesure de protéger l’intégrité du scrutin. Ce faisant, les instructions et injonctions ne feront que cristalliser la déchirure qui continue à frapper le pays. Quant a une intervention armée, quel que soit le prétexte utilisé, elle aurait des conséquences incalculables pour toute la région. Et même si, in fine Alassane Ouattara ou Laurent Gbagbo venaient à exercer le pouvoir, ils le feraient contre la moitié du pays et sur un pays dévasté. Ce qui s’impose donc, c’est manifestement le dialogue politique, mais cette fois-ci un dialogue politique direct sans intermédiaires ni accompagnateurs. Qu’on laisse enfin les Ivoiriens régler leurs problèmes ! Aujourd’hui il leur appartient à eux seuls de décider des voies de sortie de crise et surtout de la gestion future des ressources du pays et notamment des réserves substantielles de pétrole qui alimentent bien des convoitises comme partout ailleurs en Afrique. (8)
En attendant l’issue de la crise, une attention particulière doit être impérativement accordée à la prévention de la violence des deux côtés et à s’assurer que toute allégation de violation de droits humains fasse l’objet d’enquêtes judiciaires nationales impartiales et de sanctions rapides et appropriées. En effet, il serait naïf de penser dans une situation pareille que les violences signalées ne viennent que d’un camp. Il n’y a pas, en l’espèce d’un côté les « bons » et de l’autre les « méchants ». Il y a une lutte pour le pouvoir en Afrique aujourd’hui qui, au-delà des clivages nationaux ethniques et religieux apparents, oppose surtout deux projets de société qui, pour faire simple, voient s’affronter des dirigeants tenants d’un libéralisme mondialisé à d’autres qui adhèrent à un panafricanisme souverain et socialisant.
Au moment où l’on commémore les 50 ans d’indépendance, tous les Africains doivent garder les yeux ouverts sur les véritables enjeux de ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire. La naïveté, passé 50 ans, est impardonnable !
NOTES
(1) Accord de Marcoussis (France) de 2003.
(2) Accord de Ouagadougou (Burkina Faso) de 2007.
(3) Article 5 de la loi n° 2001-634 du 9 octobre 2001 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission électorale indépendante.
(4) Article 32 de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire.
(5) Article 94 de la Constitution de la République de Côte d’Ivoire.
(6) Accords de Pretoria (Afrique du Sud) de 2005.
(7) Résolution n° 1765 adoptée par le Conseil de sécurité le 16 juillet 2007.
(8) « C’est une zone prometteuse dont les objectifs géologiques s'apparentent aux découvertes importantes réalisées sur les permis voisins au Ghana », confie Marc Blaizot, directeur géosciences de la branche exploration et production de Total. Dans l’état actuel des connaissances, les réserves pourraient atteindre jusqu’à 1,5 milliard de barils. » in Jeune Afrique.com, 23 octobre 2010.
* Par Pierre Sané est ancien secrétaire général d’Amnesty International et ancien sous-directeur général de l’UNESCO
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