Les actualités du conflit casamançais
Avec l’arrivée de Macky Sall à la présidence de la République du Sénégal, de nouvelles opportunités s’offrent pour une résolution de la crise casamançaise qui entre dans sa trentième année. Mais résoudre ce conflit nécessite une remontée aux origines. Car ce sont les mêmes causes d’hier qui motivent encore les revendications actuelles.
Depuis vingt-six ans, le Sénégal assiste presque impuissant à un déferlement inédit de haine et de violence dont les origines trouvent leur fondement dans l’histoire, la politique, la culture de cette belle et verte région de la Casamance, qui se situe géographiquement au sud-ouest du Sénégal, séparée du nord du pays par la Gambie et couvrant une superficie de 28 350 km2, soit 14,4 % du pays.
Les massacres de populations civiles et la mainmise sur les richesses naturelles de la Casamance par des groupes armés aux intentions inavouées constituent des situations préoccupantes qui ne trouvent leur explication que dans ce conflit où l’Armée sénégalaise et la rébellion mènent des combats sans merci depuis le 26 décembre 1982.
Cet ouvrage de Boucounta Diallo (1), avocat défenseur, est un livre de chevet pour tous les médiateurs, les bonnes volontés, les chercheurs et experts qui, inlassablement, oeuvrent pour le retour à la paix. Car il est maintenant temps de parvenir à un accord de paix fondé sur la nécessité, reconnu par toutes les parties, d’une réconciliation des cœurs et des esprits afin de s’engager ensemble, dans les tâches urgentes et essentielles de développement, indispensables à la survie de la nation dans toute sa diversité culturelle et ethnique.
Découverte et occupée successivement par les Portugais, les Anglais et les Français, la Casamance initialement constituée d’une seule entité depuis l’indépendance du Sénégal en 1960, a été, à partir de 1984, divisée en deux régions : celle de Kolda d’une superficie de 21 011 km2 estimée à 932 014 habitants et celle de Ziguinchor d’une superficie de 7 300 km2 avec une population de 517 141 habitants.
Cette réforme administrative qui en suivit d’autres datant de l’époque coloniale, a été expliquée différemment. L’autorité, pour la justifier, a évoqué un souci rationnel d’efficacité tendant à rapprocher davantage le citoyen de son administration tandis que le mouvement irrédentiste y percevait un moyen juridico-politique de le diviser et de l’affaiblir. En 2008, Kolda se voit elle-même transformée en deux autres régions administratives: Kolda et Sédhiou.
La personnalité régionale de la Casamance dans la totalité temporelle et spatiale se fonde sur des données permanentes et sur une longue histoire que les contingences politiques et administratives récentes ou anciennes n’ont pas réussi à faire disparaître. La date du 26 décembre 1982 marque un tournant historique décisif, ponctué de manifestations décisives dans la gestion de la crise casamançaise qui, d’une simple crise identitaire au départ, devient, à partir de cette date, un conflit armé avec la création d’une nouvelle branche armée du MFDC dénommée Atika.
Même si la Casamance avait l’habitude de s’illustrer par la résistance, contre d’abord les autorités coloniales portugaise, anglaise puis française, rien ne laissait entrevoir l’imminence du déclenchement de la rébellion qui couvait. Certes, cette rébellion a toutefois été précédée par l’événement annonciateur d’une tension sociale de plus en plus forte. En effet, vers la fin des années 1970, des affectations de lots de terrains à bâtir par le gouverneur de la région créèrent des mouvements d’humeur parmi les populations de Ziguinchor, notamment du quartier de Tilène, estimant qu’elles avaient été justement « déguerpies » au profit d’originaires du Nord, favorisées par de hauts fonctionnaires de leurs ethnies. Une marche de protestation se dirigea vers le commissariat de police où les agents dispersèrent la manifestation, en retenant, cependant, les « meneurs » pendant plusieurs heures.
Boucounta Diallo rappelle certains événements qui pèsent dans la crise casamançaise : la grève des lycéens ayant abouti à la mort du lycéen Idrissa Sagna tué par la balle d’un policier, la marche sévèrement réprimée du 26 décembre 1982 sur la gouvernance, l’arrestation de l’abbé Diamacoune Senghor condamné à cinq ans de prison ferme, etc.
Le chercheur sénégalais Raphaël Ndiaye, lors d’une conférence donnée à Ziguinchor en juin 1976, prenant conscience de la diversité du peuplement de la Casamance sans commune mesure avec les autres régions du Sénégal, fait remarquer que sur une quinzaine de groupes ethniques qui composent le Sénégal, les deux tiers se trouvent dans la seule région naturelle de Casamance.
Boucounta Diallo évoque quelques figures religieuses qui ont eu à condamner les «injustices commises par les militaires français contre les populations casamançaises en 1918». Fervents défenseurs de la liberté et combattants infatigables contre l’injustice et la domination deux prêtres, le père Pierre Esvan et Jean-Marie Esvan qui se rejoignaient dans leur combat, ont bouleversé toute la perception qu’on avait traditionnellement du prêtre.
Atika, qui signifie la flèche ou encore le combattant en langue diola est la branche armée du MFDC. Les accrochages entre cette structure nouvelle et les éléments de l’armée sénégalaise présente dans la région sont devenus banals. Dans le cadre des voies de solutions, l’auteur examine les limites de la solution judiciaire. Il évoque ainsi une déclaration de Mamadou Dia, ancien président du Conseil, qui déclara qu’«il est temps de se remettre à la raison : l’irrédentisme de nos frères du Sud ne peut pas être résolu par le droit, et encore moins par la puissance de feu. C’est un problème politique qui trouve sa source dans des ramifications historiques, socio-économiques et culturelles, appelant à une solution politique négociée qui ne peut être que le fruit d’un dialogue national.»
L’auteur donne des précisions sur les accords de cessez-le-feu en janvier 1991. Il dresse un bref historique de la gestion de la paix en Casamance de la présidence d’Abdou Diouf à celle d’Abdoulaye Wade.
Il faut féliciter Boucounta Diallo d’avoir abordé le grave et délicat problème de la Casamance. Son appel à un débat mérite d’être entendu par les chercheurs, les hommes politiques, les syndicalistes, etc. Il y a eu très peu de recherches sur la question casamançaise menées par des Africains. Ce sont les chercheurs européens qui ont beaucoup travaillé sur la Casamance. Nous regrettons que l’auteur n’ait pas exploité leurs travaux comme « Histoire de la Casamance. Conquête et résistance : 1850-1920 » par Christian Roche (Karthala, 1985), « Comprendre la Casamance. Chronique d’une intégration contrastée » par François George Baraibier-Wiesser et Alii, (Karthala1994), etc. On ne peut les citer dans le cadre de cette note de lecture.
Il est regrettable que Me Boucounta Diallo n’ait pas lu l’ouvrage d’Oumar Diatta « La Casamance. Essai sur le destin tumultueux d’une région » (L’Harmattan, 2008). Son auteur a beaucoup insisté sur la dimension historique et plurielle du problème casamançais. La tragédie de la Casamance a des racines plurielles parmi lesquelles, figure la cadence inégale de la colonisation (donc l’Histoire) sans oublier les grimaces de la géographie. En 1645 - avant la fondation de Saint-Louis du Sénégal- le colonialisme portugais a fondé, dans la même foulée, les comptoirs de Cacheu, de Farim (en Guinée-Bissau) et de Ziguinchor. Une présence lusitanienne qui n’a pris fin qu’en 1886 via la convention franco-portugaise de Paris. Et il fallut attendre deux ans (1888) avec la ratification conjointe par les parlements de Paris et de Lisbonne, pour que Ziguinchor tombât dans l’escarcelle de la France. Soit près d’une décennie après la constitution définitive de la colonie du Sénégal dans ses ultimes limites territoriales, la fin des résistances et le triomphe de l’ordre colonial. Alors que toutes les zones du Sénégal étaient pacifiées, la Casamance était encore en résistance. En 1943, l’affaire du village d’Effok, provoquée par la mort d’un sous-officier français, illustra de façon violente, le refus par les Casamançais de l’ordre établi.
A cette marche mal rythmée de l’histoire, s’ajoutent plusieurs autres facteurs. Cette vue multidimensionnelle du problème de la Casamance nous paraît féconde pour la recherche d’une paix durable dans la région.
La crise casamançaise ne peut, à notre avis, être abordée sans qu’on n’examine frontalement et systématiquement la question nationale et ethnique au Sénégal. Le type de mise en valeur du Sénégal sur la base de l’arachide a contribué à créer des régions périphériques comme le Fleuve Sénégal, la Casamance, le Sénégal Oriental. Cet inégal développement des régions à la suite de la mise en valeur du bassin arachidier a sa part de responsabilité dans la crise casamançaise. Le soubassement de ce conflit n’est pas au départ culturel contrairement à la thèse soutenue par Me Boucounta Diallo.
Ce livre est passionnant. Il contient des remarques fort intéressantes. Mais son auteur a négligé le jacobinisme des élites politiques et syndicales sénégalaises. Il mérite d’être lu et commenté.
NOTE
1) La crise casamançaise : problématique et voies de solutions – L’Harmattan, 2009 – 154 pages
* Amady Aly Dieng est économiste, ancien fonctionnaire de la Banque centrale de l'Afrique de l'Ouest
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