Les personnes vulnérables et les pauvres font face aux implications de l’AGCS
On se rapproche vite du jour où l’eau, les soins de santé et tout autre service essentiel deviendront commercialisables – avec d’énormes implications sur les vies des pauvres et des personnes vulnérables. Oduor Ongwen, directeur national de SEATINI Kenya, fait une description de l’accord international qui va réglementer le commerce des services (AGCS), tout en notant que c’est un instrument dangereux pour l’extériorisation des ressources des pays sous-développés tels que ceux se trouvant en Afrique».
L’Industrie des services est en train de remplacer rapidement le commerce des biens en tant que moteur de l’activité économique mondiale. Du tourisme aux services d’audit et du transport à l’assurance, les frontières de la domination économique sont progressivement en train de se déplacer de l’industrie – produits fabriqués et produits de base – au commerce de services.
Les services sont actuellement la composante avec la croissance la plus rapide du commerce et de l’investissement direct étranger (IDE) qui compte pour à peu près 25% du commerce mondial et plus de 76% des cours d’IDE). C’est pour cette raison qu’on s’est mis d’accord, lors du lancement du Round de l’Uruguay des négociations commerciales en 1986,d’inclure le commerce des services dans les négociations, dans l’espoir que ceci allait améliorer le système commercial mondial.
Mais la libéralisation du commerce des services pourrait être un domaine incontrôlé pour la déréglementation aveugle des investissements, la privatisation des services publics vitaux ainsi que l’enracinement des intérêts étrangers au niveau de la Procure des gouvernements, et ainsi un instrument dangereux pour l’extériorisation des ressources des pays sous-développés tels que ceux se trouvant en Afrique.
Extériorisation des Ressources de l’Afrique
Alors que ceux qui ont le contrôle de la haute direction de l’économie mondiale voudraient nous convaincre que la mondialisation est un nouveau phénomène rendu inévitable par le développement qualitatif des forces productives, nous en savons mieux. L’Afrique et le reste du tiers-monde ont été intégrés dans le système économique mondial depuis le milieu du 15ème siècle. Sans le vouloir, l’Afrique faisait partie du système commercial international dominant à l’époque où son rôle dans la division internationale du travail était de fournir au monde « développé » des ressources naturelles sous forme d’or, d’ivoire, de clous de girofle et des ressources humaines sous forme d’esclaves.
La deuxième vague de la mondialisation fut la Conférence de Berlin en 1884 où la « bousculade pour avoir un morceau de l’Afrique » fut conclue avec le continent divisé parmi les puissances coloniales dirigeantes. La division du travail assigna alors à l’Afrique le rôle de fournir les principaux produits de base - des produits des agricoles, des minéraux, des ressources naturelles – pour des intérêts de traitement et de fabrication dans les soi-disant « pays - mères. »Presque un demi – siècle après la défaite formelle du colonialisme, la division du travail non seulement persiste, mais elle a été révisée et renforcée à travers une mondialisation dirigée par les entreprises.
Nous pouvons identifier treize cadres d’extériorisation des ressources de l’Afrique, et ces derniers incluent les cadres suivants mais ne s’y limitent pas : Paiement de la dette ; différence du niveau des taux d’intérêts entre le Nord et le Sud ; des termes commerciaux injustes ; privatisation des entreprises que l’Etat possédait ; droits relatifs à la propriété intellectuelle ; dette écologique ; transfert de capitaux ;fuite des cerveaux ; les lois sur l’immigration ; et la fixation des prix de transfert. La libéralisation du commerce des services facilite tous ces treize cadres où l’hémorragie des ressources de l’Afrique se produit.
Commerce des services
Défini en termes généraux, un service est un produit de l’effort humain visant à satisfaire un besoin humain, mais qui ne peut être catégorisé en tant que bien. Ailleurs on définit un service comme « un produit qui ne peut pas heurter votre pied ». Cependant, l’Accord Général sur le Commerce des Services ( AGCS) ne définit pas ce qui constitue un « service » ; au lieu de cela, un guide relatif à l’AGCS dresse la liste de 12 catégories majeures couvrant plus de 160 services distincts. Ces services couvrent la gamme de la naissance à la mort. La compréhension du terme « Services » évoquée ci-dessus peut prêter à confusion puisqu’en réalité les services peuvent être incorporés dans des produits tangibles. Par exemple, un magazine est un produit tandis qu’un message publicitaire apparaissant dans le magazine est un service. La publication d’un magazine est aussi un service.
L’AGCS est le premier et le seul ensemble de règles internationales à ouvrir le commerce des services à la compétition de la part des firmes étrangères. Signée en 1994, il n’a rien à faire avec l’aspect de savoir si le service est efficacement délivré ou pas. C’est une vente collective de services essentiels qui vont de l’eau à l’électricité et aux médias.
L’Accord, comme relevé plus haut, couvre douze grandes catégories : les communications ; la construction et l’ingénierie ; la distribution, la vente en gros et le commerce de détail ; l’éducation ; l’énergie ; l’environnement ; les services financiers ( compris les banques et les sociétés d’assurance) ; la santé et les services sociaux ; le tourisme et les voyages ; le sport, la culture et les loisirs ; le transport ; et au cas où la chose n’est pas couverte par les catégories qui viennent d’être évoquées, elle rentre dans la catégorie « autres ».
Mais les critiques préviennent que les dimensions de l’AGCS pourraient même s’étendre aux services essentiels telles que l’éducation et la Santé, ce qui résulte en leur commercialisation par les entreprises transnationales (ETN). La vérité nue est que dans le lexique de l’AGCS, « service public » est une aberration. L’article I de l’AGCS commence avec une proclamation selon laquelle l’Accord ne s’applique pas aux « services fournis dans l’exercice de l’autorité gouvernementale. » Ceci serait formidable si ce n’était pas neutralisé par la disposition selon laquelle de tels services gouvernementaux ne doivent être fournis « ni sur une base commerciale ni en compétition avec un ou plusieurs fournisseurs de services. »
Dans le monde réel, c’est peut-être seulement au Cuba ou en République Démocratique de Corée qu’il y aurait certains services publics qui ne se délivrent pas sur une base commerciale ou en compétition avec d’autres fournisseurs. La logique et la signification de l’AGCS sont faciles à appréhender. Toutes les activités humaines vont devenir, en fin de compte, des produits de base orientés vers l’intérêt et dans lesquels on peut investir, qui peuvent s’acheter et se vendre. Et l’[accord rend ceci irréversible puisqu’il ne s’agit pas d’un traité fini mais un accord à cadre ouvert qui donne le mandat aux « rounds successifs des négociations » le but d’atteindre des niveaux de libéralisation « progressivement plus élevés ».
Ceci signifie que ce qui n’est pas ouvert maintenant sera traité demain jusqu’à ce que, assume-t-on, tous les services soient ouverts à tous les consommateurs par tous les pays dans tous les « modes » de livraison. L’Article IV est même plus alarmant. Il donne à l’AGCS les pouvoirs de s’ingérer, via le Dispute Settlement Body ( DSB) de l’OMC, dans les efforts des gouvernements d’adopter des « mesures –lois, règles, réglementation, procédures, actions administratives ou toutes autres formes – qui sont jugées comme étant « des barrières non nécessaires au commerce des services. » En d’autres termes, ne laissez pas vos sales normes nationales barrer le passage aux intérêts des entreprises étrangères.
En guise d’exemple, l’un des secteurs qui ont été présentés comme étant d’un grand intérêt pour les pays africains est le tourisme. Il a été assumé qu’avec une libéralisation totale ou substantielle du tourisme, les plages africaines, les parcs naturels et les attractions culturelles regorgeraient de vagues de visiteurs d’outre-mer qui amèneraient une abondance des devises étrangères « rares mais pourtant si nécessaires. Ces bénéfices sont tout au mieux exagérés et au pire non-existants.
On encourage les situations de faire eau grâce à la dominance de la propriété étrangère dans l’industrie du tourisme. « Faire eau » est décrit comme un processus à travers lequel une partie des gains des devises étrangères générés par le tourisme, plutôt que d’être retenue par les pays recevant les touristes, est soit retenu par les pays générateurs de touristes ou remise à ces mêmes pays. Cette domination étrangère du secteur du tourisme en Afrique s’est intensifiée sous le cadre de l’AGCS.
La libéralisation des Services Financiers : Economie des casinos
Une leçon typique du Tiers-Monde en libéralisation financière pourrait être distillée à partir du cas de Uganda Commercial Bank (UCB). Après avoir succombé à la pression de la part des Institutions Financières Internationales
(IFI), le Gouvernement de l’Ouganda a vendu ce bien national à Stanbic Bank. L’UCB avait un grand réseau partout dans le pays, servant les fermiers ruraux, les enseignants et les agents de l’Etat. La plupart des branches menaient leurs activités dans des locaux-même de l’UCB.
Aussitôt que l’accord de vente fut conclu, Stanbic ferma toutes ses branches rurales, vendit les bâtiments (réalisant dans ce processus plus de quatre fois ce qu’il avait payé comme prix d’achat) et rapatria l’argent. Personne ne se souciait de ce que les enseignants, qui d’habitude gagnaient leurs salaires à travers la banque, devaient maintenant passer deux jours chaque mois et plus d’argent pour atteindre la banque la plus proche. Ceci est fait aux dépens de leurs élèves.
Un bon nombre de Membres de l’OMC ont fait des engagements en services financiers. Ces derniers couvrent les opérations bancaires, l’assurance, les valeurs et les comptes capitaux. Un nombre plus petit de gens ont fait des engagements en ce qui concerne la sous-traitance en assurance et le transfert de l’information financière. Moins de gens ont fait des engagements dans le cadre du commerce des dérivés. Les pays africains et la Chine ont été prudents. L’explication de cela pourrait se trouver dans ce qui suit.
En date du 2 juillet 1997, on a dû laisser flotter la monnaie thaïlandaise, le baht. Loin d’être une question isolée d’un seul pays, cette mesure a fait éclater une crise financière et de monnaie qui devait atteindre la sous-région de l’Asie Orientale. Cette crise a projeté des millions de travailleurs, de petites entreprises d’affaires, des enfants et d’autres catégories vulnérables de la race humaine dans l’extrême pauvreté et le désespoir. La crise se répandit rapidement au-delà de la sous-région.
La Russie a virtuellement succombé à la chute financière ; la République d’Afrique du Sud a dû intervenir avec un rehaussement de taux d’intérêt en vue de défendre sa monnaie. En succession rapide, le Brésil a rejoint les rangs des pays frappés par la crise. La crise et sa propagation semblable à celle du feu d’incendie ont forcé certaines questions à tomber dans le domaine du langage international. La question se pose de savoir dans quelles mesures les cours inhérents dans l’ordre économique actuel dominant sont responsables de la tendance de ralentir le développement économique et d’empirer la distribution du revenu mondial. Cette question alimente le présent débat sur l’architecture financière mondiale.
Le débat se mène à partir de deux pôles. D’un côté, il y a le pôle du consensus de Washington ou Wall Street qui maintient que la crise – et en fait la croissance économique mondiale en général – est mieux traitée par un commerce plus ouvert, orienté vers les exportations, une plus grande déréglementation, et des marchés financiers plus libéralisés. Selon cette école de pensée, tout ce qu’il faut c’est un petit rajustement du système financier international. De l’autre côté, il y a l’ « alternative de la grande rue » qui pense que le modèle du Consensus de Washington est irréparablement défectueux et en faillite. Ce point de vue défend la position selon laquelle la question n’est pas celle de rajuster le modèle, mais plutôt de concevoir un nouveau modèle qui soit stable, équitable et pro-pauvre.
Lorsqu’il s’agit de l’architecture financière, les différences fondamentales entre l’alternative de la grande rue et le Consensus de Washington deviennent claires. Ce dernier promeut et utilise les institutions qu’il contrôle pour imposer l’ouverture des marchés financiers locaux, de meilleures normes comptables, plus de transparence et de révélation financières et une surveillance plus grande du Fonds Monétaire International (FMI).
Pour sa part, l’alternative de la grande rue soutient qu’au moment où des normes comptables, une transparence et des révélations financières sont nécessaires, il y a une nécessité aiguë de réduire la spéculation et de faire un investissement à long terme, donnant au risque l’attention qu’il faut. Ceci exige des taxes sur l’achat et la vente des monnaies pour réduire le commerce spéculatif, de même que l’exigence aux investisseurs d’engager leur investissement à une période minimale de temps.
Pour l’Eau ou le Profit ?
L’une des préoccupations clés est qu’à travers les programmes de libéralisation l’eau est traitée comme toute autre commodité qui doit se vendre à profit. Pourtant nous savons que l’eau est essentielle pour la vie et pour la nature. En effet, l’eau est notre héritage commun et elle est placée sous la responsabilité publique. Selon un rapport se trouvant dans un journal de l’Afrique de l’Est, la fourniture d’eau dans la ville portuaire de Dar-es-Salaam ne s’est pas améliorée depuis qu’elle fut privatisée, pourtant la firme britannique Biwater financée par la Banque Mondiale a augmenté les prix plusieurs fois.
Aujourd’hui, l’industrie mondiale de l’eau est dominée par moins de 10 compagnies – les deux menant le jeu étant des firmes françaises, Vivendi et Suez (avec le revenu provenant de l’eau de 11,9 et 8,84 milliards de dollars américains respectivement en 2001). En 2001, Vivendi et Suez étaient classées aux 51ème et 99ème places respectivement chez Global Fortunes 500. Les deux compagnies françaises font face à un défi épineux de la part d’une compagnie allemande, RWE, qui a récemment acheté Thames Water du Royaume-Uni et American Water Works des USA.
RWE se classe 53ème chez Global Fortunes 500 avec 2,8 milliards de dollars américains de revenu provenant de l’eau en 2001. Les autres acteurs clés dans la privatisation des services d’eau incluent Bouygues (France), Bechtel (USA), Severn Trent, Anglican Water et Kelda (toutes du Royaume-Uni). La hausse des prix de l’eau n’est pas la seule préoccupation. La plupart des compagnies enracinées dans le secteur de l’eau ont de mauvais antécédents.
En 1999, le service britannique Drinking Water Inspectorate a déclaré la filiale de Suez, Northumbrian Water, l’avant-dernière parmi les compagnies en termes de performance opérationnelle en Angleterre et en pays de Galles. La raison principale était le mauvais état de la qualité – des niveaux élevés fer et de manganèse ont été trouvés dans l’eau que Northumbrian délivrait. Au Royaume-Uni, on a réussi à porter des plaintes 128 fois, entre 1989 et 1997, contre cinq compagnies d’eau – Anglian, Severn Trent, Northumbrian, Wessex, et Kelda Group. Face à un chef d’accusation en août 2001, Thames Water a plaidé coupable et elle fut condamnée à payer une amende de 26.000 Livres Sterling pour avoir permis des eaux usées de polluer un cours d’eau se trouvant à quelques mètres d’une propriété résidentielle.
Libéralisation et Soins de Santé.
Progressivement mais de façon stable, il y a eu un changement majeur dans la stratégie mondiale en matière de santé au cours de ces dernières années. Grâce au consensus de Washington, la responsabilité de la fourniture des soins de santé a passé de l’Etat aux « forces du marché ». Le trait définissant ce passage est le grand nombre de décès occasionnés par des maladies qu’on peut autrement prévenir et traiter ; la recrudescence des maladies dont l’humanité pensait qu’elles ont été conquises comme la tuberculose et la détention des corps en décomposition dans les ghettos baptisés « cliniques privées » pour manque de paiements.
David Werner, l’auteur du livre célèbre et best-seller intitulé « Where There is No Doctor » (Là où Il n’y a pas de Docteur), est très clair sur les raisons pour lesquelles le public devrait s’inquiéter à propos du renversement des stratégies sanitaires aux niveaux mondial et national. Il rappelle comment le concept célébré des soins de santé primaires universels avait été adopté virtuellement par tous les gouvernements représentés à l’historique conférence mondiale sur la santé qui a endossé la déclaration d’Alma Alta.
Pour avancer vers « la Santé Pour Tous en l’An 2000, « la Déclaration promouvait les principes selon lesquels toutes les personnes sont attitrées à jouir des droits de santé de base et selon lesquels la société (et donc le gouvernement) a la responsabilité de s’assurer que les besoins des gens en matière de santé sont satisfaits, et ce sans considération du genre, de la race, de la classe, de la relative aptitude ou inaptitude. La pierre angulaire de la Déclaration était les soins de santé primaires, une stratégie générale qui incluait une approche équitable, centrée sur le consommateur dans le domaine des services sanitaires et aussi traitait les facteurs sociaux y afférant qui influencent la santé.
Hong Kong : Le Dernier clou
A la réunion de l’OMC conclue récemment en Hong Kong, les pays développés ont bulldozé un cadre pour les négociations de l’AGCS qui forcent les pays à négocier un nombre minimal de secteurs avec des cibles et des indicateurs. Ces propositions vont sérieusement éroder les flexibilités incorporées dans l’AGCS. Ces flexibilités étaient la raison même pour l’acceptation de l’GCS par les pays africains au cours du Round de l’Uruguay. En plus, ces propositions changeraient complètement l’architecture même de l’GCS et l’approche aux négociations comme convenu dans les Ligues Principales des Négociations.
L’Annexe c introduit aux négociations des approches plurilatérales et sectorielles, ce qui forcerait les pays africains et d’autres pays en développement à entrer dans les négociations dans certains secteurs, même s’ils ne sont pas encore prêts à faire cela. Les secteurs qui ont été mentionnés pour des négociations sectorielles incluent l’énergie, l’eau (à travers les services environnementaux) et la santé (à travers les services financiers) – tous sont cruciaux et sensibles dans les pays africains. Etant donné le niveau de développement de l’Afrique, la vente de ces secteurs aux forces du marché poserait de sérieuses menaces à la capacité de payer et d’accéder à ces services chez les pauvres et les personnes vulnérables.
* Oduor Ongwen est directeur national pour Southern and Eastern Africa Trade Information and Negociations Institute ( Seatini) au Kenya. Avant d’occuper ce poste, il était Directeur Exécutif de EcoNews Africa et présidait le Conseil National des ONG au Kenya. Il est détenteur d’une maîtrise en Politique économique pour les Pays en Développement.
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L’article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 240.
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