Les réponses aux défis de l’agriculture africaine

Lettre de la société civile africaine critique des investissements étrangers dans l’agriculture lors du Sommet du G8

En prévision du Sommet du G8 tenu les 18 et 19 mai à Washington, des organisations de la société civile ont publié une déclaration à l’intention des chefs d’Etat participants pour critiquer, entre autres, les formes d’investissements étrangers en cours dans l’agriculture africaine.

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CIMMYT

Monsieur le président (de l’Union africaine)

En prévision du symposium sur la sécurité alimentaire qui se tiendra dans le cadre du G-8 à Washington du 18 au 19 mai 2012 et du G-8 qui se déroulera à Camp David le 20 mai 2012, permettez, je vous prie, à un paysan de l’Afrique de l’Ouest de partager avec vous ses préoccupations. Deux évènements lors desquelles la sécurité alimentaire de notre continent sera discutée, suite à ceux d’Aquila en 2008 et de Paris en 2011.

Les débats internationaux sur le financement de l’agriculture africaine ne semblent pas prendre la direction requise pour un renouveau nécessaire. Les choix faits aujourd’hui en Afrique subsaharienne, concernant les modalités de financement de l’agriculture ainsi que son orientation, marqueront la forme du développement agricole et la nature du système alimentaire africain de demain.

Il semble que les approches financières adéquates afin d’aborder notre principal défi n’ont pas été trouvées. L’agriculture en Afrique subsaharienne est aujourd’hui confrontée à trois problèmes principaux qui ont été identifiés à l’unanimité :

- Augmenter la production de manière durable et équitable et améliorer le fonctionnement des marchés ;
- Améliorer la productivité et la viabilité économique des fermes et valoriser les chaînes afin de créer une base durable pour la souveraineté et la sécurité alimentaire ;
- Equilibrer les prix afin qu’ils soient bas pour les consommateurs tout en assurant un revenu décent aux producteurs.

Ces défis nous placent devant une équation complexe qui inclut les questions suivantes :
- Quels investissements faire ?
- Quels systèmes de production doivent être préconisés ?
- Quels marchés cibler (locaux, régionaux, internationaux) ?
- Qui devraient bénéficier de soutien ?

Il est clair que ces questions ne peuvent recevoir une réponse simple : aucune innovation technique ou institutionnelle ne peut suffire à elle seule pour faire face à ces défis.

Aujourd’hui, en Afrique subsaharienne nous sommes face à deux aspirations contradictoires : d’une part le désir de contrôler notre développement et, d’autre part, la tentation de s’appuyer excessivement sur les ressources externes.

Vingt-cinq ans après sa création, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), au cours de la première décennie de l’an 2000, a opté pour l’établissement de politiques agricoles sectorielles régionales, en harmonie avec les intentions originelles des pays fondateurs et qui est la promotion du bien-être de tous les peuples de la région au travers du développement économique et de la paix.

Le PAU de l’Union Economique et Monétaire de l’Ouest Africain (UEMOA) suivi de l’ECOWAP de la CEDEAO ont été formulés en 2001 et 2005 dans un esprit de dialogue avec le réseau des paysans et des organisations de producteurs, en rupture avec "l’approche projets" dont les limites étaient apparues à chacun. Ces politiques ont été validées et ratifiées par les chefs d’Etat africains.

En même temps, les Etats africains s’engageaient à Maputo à allouer davantage de ressources à l’agriculture. Afin de compléter cette initiative, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) a donné naissance en 2006 à un nouveau partenariat pour l’agriculture. Tous ces accords, mis bout à bout, témoignent d’un engagement réel en faveur de l’agriculture de la part des autorités africaines, d’un désir nouveau de prendre le contrôle du développement africain en dialogue avec les populations locales. Ils ont suscité un espoir significatif et des attentes de la part des mouvements sociaux et des réseaux de paysans et de producteurs qui ont vu l’agriculture reprendre sa place au cœur de l’agenda politique. Ils voyaient que les autorités africaines prenaient finalement leurs responsabilités avec détermination pour définir, valider, financer une bonne proportion des dépenses dans le secteur clé de leurs économies : l’agriculture, le pastoralisme, les forêts, les pêcheries connus sous le nom générique de "secteur agricole".

Malheureusement, la méthodologie adoptée pour la formulation du Comprehensive Agriculture Development Programme (CAADP) a rapidement dégénéré. Le National Agricultural Development Programmes, promus depuis en haut dans le cadre d’un dialogue insuffisant avec les acteurs concernés, est apparu par-dessus tout, comme l’occasion de négocier une nouvelle aide. Dans de nombreux cas, le contenu de ces programmes nationaux ne semble guère différer des listes standard traditionnelles, qui se chevauchent ou qui sont même contradictoires, le même d’un pays à l’autre. Pourtant, il semble que nous avons considérablement souffert de ce genre de programmes par le passé et qu’il serait de notre intérêt de concentrer notre attention pour appliquer nos politiques agricoles, le long des mêmes lignes que CAP en Europe, le Farm Bill aux Etats-Unis ou les politiques en place au Brésil et en Inde.

Le paradoxe entre le consensus africain concernant la nécessité d’augmenter les investissements dans l’agriculture et le manque de clarté concernant la destination de ces investissements (quel produit ? quel marché ?) constitue à mes yeux une sérieuse cause de préoccupation : comment concevoir la réalisation de politiques si peu claires ? A mon avis, ECOWAP devrait accorder les principaux avantages aux principaux investisseurs dans l’agriculture, à ceux qui prennent le risque au sein d’entreprises familiales, c'est-à-dire le paysan et non aux sources urbaines ou étrangères de capitaux.

Trois incidents ont aggravé ces doutes. Premièrement le malentendu concernant le principe de la révolution verte proposée par AGRA. Ensuite le Forum Economique Mondial où "Grow Africa" (Croisse l’Afrique) a été lancé. Et finalement l’approbation de l’USAID de la "nouvelle alliance" pour la sécurité alimentaire qui devrait devenir réalité en juin 2012. Tous trois sont à mon avis des signaux qui risquent de sérieusement compromettre la réalisation de la mission originelle d’ECOWAP, du PAU et d’autres politiques similaires.

Au moment où le président des Etats-Unis, de bonne foi j’en suis sûr, décide d’organiser un symposium sur la sécurité alimentaire le 18 et 19 mai 2012 à Washington, à la veille du Sommet du G-8 à Camp David, je m’adresse à vous, en tant que président de l’Union africaine et à travers vous, à tous les chefs d’Etat africains. Je vous demande d’expliquer comment vous pouvez justifier l’idée que la sécurité alimentaire et la souveraineté de l’Afrique peuvent être garanties par la coopération internationale en dehors du cadre des politiques formulées en terme d’inclusion avec les paysans et les producteurs du continent.

Un coup d’œil sur l’histoire du développement de l’agriculture dans diverses parties du monde révèle que l’agriculture ne s’est jamais développée de cette manière. Nous savons que les progrès réalisés dans le domaine de l’agriculture, les importantes réussites des politiques agricoles en Europe, aux Etats-Unis et dans des pays émergents comme le Brésil et l’Inde ont toujours été le résultat d’une volonté souveraine et du partenariat entre les Etats et les acteurs économiques que sont les producteurs, ceux qui transforment, les marchands.

A mon humble avis, la justification des Etats qui disent n’avoir pas suffisamment de ressources financières pour financer ces politiques n’est pas acceptable. La gestion des ressources minières exploitées par d’autres, où les pays africains sont généralement les perdants, devrait générer les ressources pour de tels investissements. L’établissement de priorités dans les dépenses publiques est aussi en cause. La contribution des activités agricoles, du pastoralisme, de la foresterie, des pêcheries à la richesse de nos pays agricoles, à la création d’emploi et à la stabilité sociale, justifie un choix clair de la parts des Etats africains. Ceci n’est en aucune façon en contradiction avec notre appréciation de la coopération internationale, dans un contexte dans lequel nous attendons un respect accru de la Déclaration de Paris, au droit à l’alimentation en accord avec la Charte des Droits de l’Homme des Nations Unies, ainsi qu’un combat déterminé contre la spéculation financière et la corruption.

Je voudrais simplement rappeler que la sécurité et la souveraineté alimentaires sont la base de notre développement général comme le souligne tous les gouvernements africains. C’est un défi stratégique. Raison pour laquelle nous devons baser notre politique alimentaire sur nos propres ressources à l’instar de ce qui se fait dans d’autres parties du monde. Ni le G-8 ni le G-20 ne peuvent être considérés des fora appropriés pour des décisions de cette nature.

En vous demandant de transmettre ce message à vos collègues présidents, je vous prie de pardonner ce cri du cœur d’un paysan, aussi embarrassant qu’il puisse apparaître, un paysan africain convaincu que nous avons les moyens, le savoir et les ressources pour construire notre propre futur.

Veuillez accepter, Monsieur le Président, l’expression de ma plus haute considération

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Mamadou Cissokho est président du ROPPA, président du comité de pilotage CDP/CSO au nom des fermiers membres des organisations mentionnées ci-dessous.

*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News

Liste des organisations signataires:

1. Le Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l' Afrique de l'Ouest (ROPPA),
2. Réseau des Plateformes d'ONG de l' Afrique de l'Ouest et du Centre (POSCAO-AC);
3. Réseau des Plates-formes nationales d'ONG d'Afrique de l'Ouest et du Centre (REPAOC),
4. Forum des Organisations de la société civile d’Afrique de l’Ouest (WASCOF),
5. Coalition des Organisations Africaines pour la Sécurité alimentaire et le Développement Durable (COASAD),
6. Organisation de la Société Civile d’Afrique Francophone (OSCAF),
7. Réseau des Journalistes Economiques d’Afrique de l’Ouest (WANEJ),
8. Association des femmes de l’Afrique de l’Ouest (AFAO),
9. Réseau de Recherche Pour l'Appui au Développement en Afrique (REPAD),
10. Institut Ouest-Africain pour le Commerce et le Développement (WAITAD),
11. Association des bareaux d’Afrique de l’Ouest (WABA),
12. Réseau des Chambres de Commerce d’Afrique de l’Ouest (RECAO)
13. National Association of Nigerian Traders (NANTS)
14. Plate forme des Acteurs de la Société Civile au Bénin (PASCiB),
15. SYTO (Réseau ouest africain de la jeunesse)