Les Sierra Léonais se souviennent de la guerre
Devant le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, il ne reste plus que l’ancien président Charles Taylor à être jugé pour ses crimes durant la guerre civile qui a ravagé le pays de 1991 à 2001. Voir ses trois autres acolytes chefs de guerre récolter 120 ans de prison ensemble, a été un soulagement pour les populations et a donné du crédit au processus entamé pour la Vérité et la Réconciliation. Mais pour Benedit, ce n’est pas seulement ainsi qu’on pourra tourner la page sur les difficiles années que les Sierra Léonais ont vécues. Il faut plutôt commencer à améliorer le présent pour éclairer le futur.
Le 6 janvier 2010, les Sierra Léonais ont commémoré le onzième anniversaire de l’invasion de Freetown, la capitale, par les forces du Front Révolutionnaire Uni (RUF). L’invasion, qui a mis longtemps à attirer une intervention internationale dans la guerre civile, est l’une des batailles les plus sanglantes et les plus destructrices de ces dernières décennies. Pendant presque un mois, les rebelles du RUF ont combattu les Casques bleus de ECOMOG et les milices loyales au gouvernement de Tijan Kabbah, pour le contrôle de Freetown. Entre autres péripéties de la guerre. Des milliers de personnes ont été tuées, amputées, violées. Les bâtiments résidentiels et les bâtiments publics ont été brûlés ou détruits par les rebelles ou les bombardements aériens de l’ECOMOG.
C’est en octobre 1999 que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a mis en place l’UNAMSIL (Forces des Nations Unies en Sierra Leone), dont la mission était de coopérer avec le gouvernement de Tijan Kabbah et avec le RUF dans l’application des accords de paix de Lomé consistant en un programme de désarmement, de démobilisation et de réintégration. En mai 2000, les forces de l’UNAMASIL comprenaient 17 500 éléments armés, dont 260 observateurs militaires. La prise en otage de près de 500 d’entre eux, par les rebelles du RUF, conduira à l’établissement d’une force internationale plus puissante. En mai 2000, les Britanniques avaient ainsi réagi en déployant le 1er bataillon d’un régiment de parachutistes.
Des escarmouches entre rebelles et soldats pour le maintien de la paix ont continué jusqu’à ce que le processus de désarmement soit achevé,en fin 2001. La fin de la guerre civile, longue d’une décennie, a été ainsi déclarée le 18 janvier 2002 et le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a été établi par la Cour Pénale Internationale (PCI). Les Sierra Léonais qui ont survécu à ces périodes troubles, vivent toujours avec de terribles cicatrices, dans ce qui est considéré comme l’un des pays les plus pauvres au monde.
Mais alors que les Sierra-Léonais mesurent les progrès connus par leur pays plus de dix ans après le massacre de janvier 1999, on se souvient du proverbe de la Sierra Leone qui dit ‘’ qu’un homme qui fait la guerre dans sa maison et casse ses meubles doit apprendre à s’accroupir sur un sol nu’’. Nous nous sommes combattus les uns les autres pendant une décennie et avons détruit chaque fibre de notre pays, sans amener le moindre résultat positif. Un coup d’œil au pays aujourd’hui révèle que nous nous sommes entretués en vain. Il n’y a pas de changements sociopolitiques significatifs et la Sierra-Léone demeure une réplique des erreurs passées.
Néanmoins, il y a une raison de se réjouir cette année, du fait que le TSSL a prononcé son jugement final à l’encontre des principaux responsables des atrocités commises, à l’exception de Charles Taylor dont le procès continue à La Haye. La condamnation des trois derniers prévenus peut ne pas paraître extraordinaire, sept ans après la fin de la guerre, mais pour la plupart des Sierra Léonais elle représente un évènement marquant dans le processus de réconciliation et de réhabilitation. Les trois anciens dirigeants du RUF que sont Issa Sesay, Morris Kallon et Augustin Gbao ont été condamnés à 120 de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans la période de la guerre, allant de 1996 -2001. Bien que la guerre ait duré de 1991 à 2001, le TSSL n’avait pour mandat que la poursuite de ceux qui portaient la plus grande responsabilité pour de graves violations du droit humanitaire international et des lois sierra-léonaises perpétrées sur le territoire de la Sierra Leone à partir du 30 novembre 1996.
La Sierra Leone continue de stagner au bas de l’Index du Développement Humain des Nations Unies, juste au dessus du Niger et de l’Afghanistan. La pays connaît actuellement un des pires taux de mortalité maternelle du monde. Il y a juste un peu plus de 64 médecins du service public dans un pays de 6 millions d’habitants. La plupart des citoyens de la Sierra Leone sont prêts à dire qu’une des raisons principales de la guerre a été la corruption politique. Mais de récents indices d’évaluation révèlent que nous n’avons pratiquement rien appris des conséquences des prébendes et du système de gouvernance clientéliste du passé. La Sierre Leone est toujours au bas de la liste des index de perception de Transparency International. La mentalité du service public reste imprégnée de ce que l’ancien président Siaka Stevens avait institué : ‘’usai you tie goat nah dae e dae eat’’ (une chèvre broute là où elle est attachée).
Ce qu’il y a de décourageant dans la situation de la Sierra Leone, c’est que les gens ordinaires sont les victimes. Que ce soit de la guerre ou de la paix. Les conditions socioéconomiques difficiles qui ont culminé durant la guerre civile émergent à nouveau. Bien qu’il soit peu probable que les citoyens de la Sierra Leone soient prêts à reprendre les armes avant longtemps, il est néanmoins déconseillé de mettre leur patience à l’épreuve. Si la pauvreté n’est pas un révélateur suffisant, les musiciens locaux se chargent de rappeler aux gens les privations socio-économiques et les défaillances systémiques des dirigeants politiques. Dans sa chanson populaire Sweghe, Emmerson déclare que les Sierra Léonais sont las d’écouter de longs discours politiques. Il est temps de passer à l’action !
Alors que la nation se souvient des horreurs du passé, elle doit s’engager délibérément à améliorer le futur. Les citoyens de la Sierra Leone doivent travailler ensemble afin d’aborder le chancre de la corruption qui mine en permanence le tissu des aspirations nationales. Les dirigeants politiques doivent se montrer totalement transparents en matière de gouvernance et d’affaires publiques. La Sierra Leone possède la plupart des ressources requises pour survivre et s’épanouir. Ce dont elle a maintenant besoin c’est d’une meilleure gestion et de dirigeants qui mettent l’intérêt des gens au–dessus des leurs. Ce sont là les engagements que nous devons prendre aujourd’hui afin d’honorer la mémoire de ceux qui ont péri en raison de nos échecs passés.
* Cet article a est paru sur le site http://sierraleonenow.com - Il a été traduit par Elisabeth Nyffenegger
* Veuillez envoyer vos remarques et commentaires à [email protected] ou commentez en ligne à Pambazuka News