Lettre aux journalistes maliens
Au Mali les journalistes ne sont plus en sécurité. Dans un pays marqué par la confusion politique et déstabilisé par l’occupation de sa partie nord, la presse est devenue une cible des ennemis de la libre expression. Or c’est ainsi que naissent les dictatures.
A Alexis Kalambry, Thiégoum B. Maïga, Hamèye Cissé et à tous les autres
CC. Capitaine Sanogo, à Kati (Mali)
Chers amis,
Ainsi donc, ce 17 juillet 2012, vous avez décidé avec l’ensemble des confrères et consœurs du Mali, de descendre dans les rues de Bamako pour dire non à l’arbitraire et refuser que votre pays soit transformé en une dictature ou en une Somalie-bis. Les échos que j’ai eus de votre action me disent que ce fut un succès total. J’espère qu’en haut lieu, à Bamako et à Kati, où, nous dit-on, siège le capitaine Amadou Haya Sanogo, votre message sera bien reçu et perçu pour ce qu’il signifie. La liberté de presse n’est pas négociable. Il veut aussi dire qu'il n'est pas acceptable de laisser prospérer quelque attitude liberticide dans ce secteur là.
Or en s’en prenant aux confrères Keïta et Haïdara ils ont posés les premiers pas vers le bâillonnement total de la presse. C’est ainsi que naissent les dictatures. Heureusement vous l’avez si vite compris. Vous avez raison de dire halte au bon moment, c'est-à-dire dès maintenant!
Au-delà de la presse malienne, tous les confrères et consœurs d’Afrique se sentent concernés.
Je sais que comme moi, et tous ceux qui choisissent ce métier, vous n’êtes pas des suicidaires. En embrassant la profession, votre projet n'est ni de vous faire tuer, ni de vous faire violenter. Votre devoir est d'informer. Hélas, il arrive que parfois dans la pratique du journalisme, les circonstances vous mettent dramatiquement sur le front, sans que vous ne l’ayez forcément cherché. Alors il faut assumer.
Dans de telles circonstances, il n’est donc que normal et naturel, que de Dakar à Niamey en passant par Ouagadougou, Abidjan, etc., nos voix viennent en écho aux vôtres pour également dire « Halte ».
Halte aux auteurs des agressions contre les journalistes, halte aux militaires qui ont intérêt à retourner dans leurs casernes, halte aux commanditaires, qui qu’ils soient. Bref, halte à la dérive totalitaire et à la destruction d’un pays dont l’histoire, de l’ancienne à la plus récente, a souvent donné à l’Afrique des raisons d’être fière.
Si le capitaine Amadou Haya Sanogo est interpellé ici, c’est pour lui rappeler, qu’à défaut de trouver les vrais coupables de ces agressions, tous les regards accusateurs continueront de se tourner directement vers lui. En grande partie, il reste celui par qui la déchirure, qui nous fait si mal, est arrivée.
A Bamako comme à Dakar et ailleurs dans le monde, on n’oublie pas que c’est lui qui, par son acte posé le 22 mars 2012, a mis le Mali dans cette situation chaotique : impasse politique à Bamako, occupation totale du Nord par des groupes armés, insécurité pour l’ensemble des citoyens. Passons outre les difficultés économiques pour les entreprises et les populations, dans un pays déjà bien mal en point.
Alors qu’à Tombouctou, Gao, Mopti et les autres localités du Nord du Mali, le monde, ahuri, observe les scènes impardonnables qui s’y déroulent, aucun militaire malien digne de ce nom ne veut être aujourd’hui envoyé dans des « semblants » de front. Attaquer des journalistes ou s’en prendre à des civils qui ne font qu’exprimer leurs idées ou revendiquer leurs droits, ne peut constituer un champ de bataille pour un militaire qui se respecte.
Aujourd’hui pour le Mali et pour l’armée malienne, nous savons tous où se trouvent le vrai front et les vrais champs de bataille. Je sais que des milliers de soldats, des sous-officiers, officiers ou officiers supérieurs, engagés sous les drapeaux pour servir leur patrie, trépignent d’en découdre avec les occupants, pourvu que ceux qui sont supposés leur donner des ordres le fassent et leur en donnent les moyens.
Pour qui connaît le Mali, les Maliens et leur sens de l’honneur et de la dignité, ces moments-ci doivent être des moments difficiles. Le peuple dans sa grande majorité est meurtri de voir son sol occupé et son leadership s’entredéchirer.
Inutile donc de répéter qu’en s’en prenant à la presse, les auteurs de ces agressions font fausse route. Les priorités pour le Mali et les Maliens sont bien ailleurs. Au moment où ce pays qui nous est cher s’interroge sur son avenir, compromis par la faute de quelques aventuriers et l’incompétence de sa classe politique, il serait dramatique de détruire le dernier bastion, le seul qui lui reste, pour que ceux qui aiment ce pays puissent encore continuer à s’y intéresser . Je veux nommer sa presse.
Une fois n’est pas coutume, on me pardonnera, à travers le trio de confrères nommés dans le titre, de m’adresser à tous les autres confrères et consœurs du Mali pour leur apporter notre solidarité agissante et notre sentiment de fierté de les voir au front. A commencer par mon frère Alexis, directeur des Echos.
Les lecteurs seront moins surpris si je leur dis qu’il fut là, aux premiers jours lorsqu’Ouestaf n’était que balbutiement. Mieux entre lui et l’auteur de ces lignes, c’est une longue histoire faite d’estime réciproque et de loyauté, qui a commencé sur les bancs de l’école de journalisme et qui se poursuit depuis... Puis, mes nombreux déplacements au Mali m’ont permis de découvrir les autres confrères cités ici, et d’apprécier leur courage et leur amour du métier. Tout combat dans lequel il s’engage est aussi forcément le mien.
Quant au capitaine Sanogo, il sera surpris que je le mette en CC, alors qu’il peut à bon droit, dire que lui et moi « n’avons pas gardé les vaches ensemble » pour que je me permette une telle liberté… C’est vrai, je le lui concède. Toutefois il faut aussi qu’il sache que, comme moi, tout le monde l’observe. Et en ces temps de revendications citoyennes et de liberté recouvrée partout dans le monde, le conseil le plus amical que l’on puisse lui donner c’est de retourner dans le rang et de se mettre humblement au service de son pays… Toute autre option ne serait qu’un leurre qui pourrait bien se retourner contre lui.
Pour que vive le Mali uni, dans une Afrique prospère.
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** Hamadou Tidiane Sy, est un journaliste sénégalais, fondateur d'Ouestaf News. il est également un Fulbright New Century Scholar et a été reconnu "News & Konowledge Fellow" par les fondations Ashoka et Knight. b
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