Madagascar : Pourquoi faut-il voter NON au referendum
C’est un fort plaidoyer pour le Non que lance Johary Ravaloson, à propos du référendum du 17 novembre sur le le projet de Constitution à Madagascar. Car pour lui, le texte proposé «ne délivre pas du tout le peuple malagasy de ce qu'il a déjà refusé : un pouvoir centralisé, irresponsable, agissant en toute impunité et, de surcroît, n'ayant pas les moyens constitutionnels de se sortir d'une crise majeure».
A la question posée au prochain referendum du 17 novembre « ekenao ve ny volavolan-dalàmpanorenana hirosoana amin'ny Repoblika fatahaefatra ? », j'engage à dire non, parce que contrairement à ce qui est annoncé, le projet de Constitution n'amène pas à un réel changement.
Il y a plusieurs raisons à cela, j'en citerai essentiellement trois : premièrement, le projet de Constitution a négligé les changements majeurs réclamés par les « Dinika santatra » (conférences régionales) ; ensuite, il présente des imperfections techniques du point de vue du droit constitutionnel qui ne lui permettent pas d'assurer ni l'efficacité du gouvernement ni la continuité des Institutions en cas de crise ; enfin, ses dispositions transitoires ne contenant aucun délai impératif relatif aux élections n'engagent pas à la mise en place de la quatrième République promise mais justifient l'action de la HAT (Haute autorité de transition) et permettent la prolongation indéfinie du régime de transition.
Premièrement, le projet concocté par un comité restreint a complètement oublié les trois préoccupations dégagées par les « Dinika santatra » censés exprimer la volonté populaire, à savoir un meilleur contrôle du pouvoir exécutif, la fin de la culture de l'impunité et une décentralisation effective.
Relatif au contrôle de l'Exécutif, le projet de Constitution n'offre aucune avancée par rapport à la dernière version de la Constitution de la Troisième République. Pour le fonctionnement ordinaire des institutions, aurait été souhaitable la mise en place de dispositifs clairs et précis - pas seulement des principes - contrôlant notamment les dépenses publiques par les commissions parlementaires mais également par la Cour des comptes. L'article 93 du projet constitutionnel n'impose aucunement la prise en compte de l'avis de la Cour des comptes dans l'exécution des lois de finances ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques. Ainsi, le projet de Constitution ne nous met pas à l'abri d'un caprice présidentiel tel que l'achat d'un Force One 2 (Ndlr : avion de commandement).
Pour les situations d'exception, l'article 61 du projet reprend mot pour mot l'article 60 de l'ancienne Constitution. Il prévoit ainsi l'adoption d'une Loi organique pour fixer l'étendue et la durée des pouvoirs spéciaux du président de la République. Il aurait été plus judicieux de les préciser directement afin d'éviter les incertitudes liées à la non adoption courante des lois organiques dans notre pratique politique et empêcher le recours à des voies extra constitutionnelles en cas de menace sur les Institutions comme le transfert des pleins pouvoirs à un directoire militaire.
Par rapport à l'impunité récurrente des tenants des pouvoirs dans l'exercice de leurs fonctions, le chapitre sur la Haute Cour de Justice devant juger de leur responsabilité pénale reprend simplement le texte de l'ancienne Constitution. Nous savons que l'institution n'a jamais été mise en place dans l'ancien régime. Dans le projet actuel, aucun délai n'a été fixé pour son installation, si ce n'est l'article 167 qui indique douze mois à compter de l'investiture du président de la République ; or, la date des élections présidentielles demeure complètement indéterminée et indéterminable dans le projet de Constitution qui deviendra notre Loi fondamentale en cas de victoire du Oui !
Quant à la seule disposition réellement efficace dans notre histoire constitutionnelle contre l'impunité, il existait un article 50 dans la première version de la Constitution de la troisième République qui sanctionnait les violations de la Loi fondamentale et permettait de déclarer l'empêchement du président de la République. Elle a été utilisée en 1996 contre M. Zafy Albert et a été enlevée du texte fondamental par M. Didier Ratsiraka revenu au pouvoir (révision constitutionnelle de 1998). Le projet présenté aujourd'hui ne présente aucun dispositif similaire qui permettrait de s'assurer que les gouvernants ne se mettent pas au-dessus des Lois.
Concernant la décentralisation promise, à part des inversions de titres de chapitres et l'ajout d'une collectivité territoriale - la province -, aucune nouveauté par rapport à l'ancien texte ne permet d'assurer que la décentralisation serait cette fois-ci plus effective. Les dispositions relatives au budget nécessaire à la décentralisation restent des plus imprécises et obscures et engagent l'État encore une fois sans condition de délai d'exécution.
Ainsi aucune des trois volontés exprimées lors des « Dinika santatra » ne se retrouvent dans le projet de texte qu'on soumet au referendum.
Deuxièmement, le projet de Constitution ne présente aucune des deux caractéristiques attendues en droit constitutionnel d'un texte devant assurer la continuité des Institutions, à savoir d'une part qu'il doit permettre au gouvernement de gouverner quelle que soit la configuration du législatif et d'autre part qu'il doit offrir des solutions en cas de crise entre les Institutions. En effet, selon les articles 100 et 103, une motion de censure ne peut être adoptée que si elle est votée par les deux tiers des membres composant l'Assemblée. Aussi un gouvernement peut rester en place avec le soutien du tiers de l'Assemblée nationale alors qu'il lui faut une majorité pour voter les moindres de ses propositions de Loi, restant ainsi au pouvoir sans avoir les moyens réels de gouverner.
Troisièmement, les dispositions transitoires du projet de Constitution, les articles 164 à 168, représentent un chèque en blanc pour la HAT telle qu’elle est actuellement car elles ne fixent aucune date butoir, ni les conditions pour les prochaines élections ni leurs reports éventuels. Le seul délai impératif contenu dans le projet est fixé par l'article 167 et il ne court qu'après l'élection du président de la République, laquelle n'est ni déterminée ni déterminable à la lecture du projet de Constitution. Ainsi le texte présenté au referendum avalise la gouvernance de la Haute Autorité de Transition, permet son indéfinie continuité et n'assure aucunement la mise en place de la quatrième République promise.
En conclusion, le projet de Constitution qu'on soumet au referendum ne délivre pas du tout le peuple malagasy de ce qu'il a déjà refusé : un pouvoir centralisé, irresponsable, agissant en toute impunité et, de surcroît, n'ayant pas les moyens constitutionnels de se sortir d'une crise majeure. De surcroît, le projet favorise le maintien pour une durée indéterminée du régime de transition actuel. Autrement dit, c'est une question de confiance envers la HAT. Alors, je dis NON.
C'est pour cela que je soutiens avec Harotsilavo Rakotoson et Sahondra Rabenarivo le NON lors du prochain referendum. Rejoindre leur mouvement éthique et responsable est résolument un pas vers la rénovation démocratique de Madagascar. Koa mitsangana, mijoroa, misehoa, misahia miteny Tsia.
* Johary Ravaloson est docteur en droit, chargé de cours à l'Université d'Antananarivo.
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