Madagascar : Quand les intellectuels prennent des « positions partisanes »
Des intellectuels malgaches se sont exercés à l’analyse de l’alternance extraconstitutionnelle survenue dans leur pays en 2009. Un éclairage de cette nature est intéressant, sauf à tomber dans le parti-pris qui peut remettre en cause la dimension scientifique du travail effectué.
Pour la publicité, l’ouvrage collectif, « Madagascar, le coup d’État de mars 2009 », édité par Solofo Randrianja, Professeur d’Histoire Politique Contemporaine à l’Université de Toamasina, est présenté en page de couverture comme un « ouvrage, composé de onze contributions d’auteurs aux parcours variés, [qui] traite de divers aspects [du] coup d’État, » du 17 mars 2009 à Madagascar. À travers ces contributions, cet ouvrage se propose ainsi de décrire « le déroulement et les mécanismes de cette alternance extraconstitutionnelle, pour lancer des pistes de débats et de recherches sur les changements politiques à Madagascar et leur environnement, ainsi que sur le nature de la démocratie ». Du coup, des journalistes malgaches ont salué la publication de cet ouvrage, qui serait ainsi le premier ouvrage « le plus analytique », voire « scientifique », sur les événements qui se sont produits à Madagascar depuis le mois de décembre 2008.
Cependant, dès la première page de l’introduction, l’éditeur Solofo Randrianja parle de « prises de positions partisanes », lorsqu’il se demande si le fait d’appeler « crise » ou « crise cyclique » ces événements politiques ne serait « tout simplement [qu’] une manière de contourner les prises de position partisanes, source de conflits interpersonnels » (p. 9). En fait, en choisissant le titre « Madagascar, le coup d’État de mars 2009 », et en appelant ces événements politiques « coup d’État », les contributeurs de l’ouvrage ont délibérément pris une « position partisane ».
En effet, sachant très bien que l’actuel président de la Transition confirmé par la Feuille de Route de septembre 2011, Andry Rajoelina, et ses partisans ont toujours maintenu qu’il n’y a jamais eu de coup d’État à Madagascar en mars 2009, alors que l’ancien président Marc Ravalomanana, ses partisans, et des membres de la communauté internationale les ont accusés d’en avoir commis, il va sans dire que les contributeurs de l’ouvrage ont pris une position partisane en faveur de l’ancien président, en soutenant la thèse du coup d’État.
À propos justement de cette thèse du coup d’État, qui était le cheval de bataille des partisans de l’ancien président (ce serait en fait la pièce maîtresse même de leur stratégie de reconquête du pouvoir), force est de reconnaitre aujourd’hui qu’elle a beaucoup perdu de son poids. En effet, à la lumière des dispositions de la Feuille de Route de septembre 2011 qui a été acceptée par la plupart des membres de la communauté internationale (à l’exception peut-être des États-Unis), Andry Rajoelina n’est plus traité comme un vulgaire putschiste : il est confirmé comme le seul « Président de la Transition, » « exerce [seul] les fonctions de chef de l’État » et, encore plus important, il ne lui est pas interdit de se présenter aux prochaines élections présidentielles.
Tout ceci est en contradiction flagrante avec les dispositions de l’Article 25 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance, qui stipule : « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur État. » En somme, la thèse de la révolution soutenu par Andry Rajoelina et ses partisans a en quelque sorte triomphé, ne serait-ce que partiellement, parce que ces derniers n’ont pas totalement le champ libre d’après les dispositions de la Feuille de Route.
Pour en revenir à l’ouvrage « Madagascar, le coup d’État de mars 2009 », l’éditeur Solofo Randrianaja ne s’embarrasse nullement de sa « prise de position partisane », en affirmant sans ambages dans sa contribution sur « Les Années de Ravalomanana (2002-2009) » qu’un « jugement péremptoire » sur celles-ci « ne peut être que partisan » (p. 274). Ainsi, en essayant de redorer ses « années Ravalomanana », il s’attaque aux termes de « patrimonialisme » ou de « neopatrimonialisme » qu’il qualifie de « tartes à la crème, utilisées à mauvais escient par certains politistes » (p. 239).
En détruisant verbalement ces termes qui ont été utilisés par des politologues et des journalistes pour décrire la manière avec laquelle Marc Ravalomanana a géré les richesses nationales, l’éditeur aurait peut-être espéré que les faits reprochés à celui-ci par la plupart des observateurs (y compris la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International) voleraient ainsi en éclat. Tout au contraire, on peut très bien ignorer ces termes, mais les faits sont là, et ils sont têtus : Marc Ravalomanana avait l’habitude de confondre les poches de ses vestes avec les coffres de l’État. C’est du « patrominialisme » ou du « neopatrimonialisme » pour les politologues, vous pouvez appeler ça comme vous voulez !
De tous les contributeurs du livre « Madagascar, le coup d’État de mars 2009 », personne n’aurait surpassé le niveau de partisannerie et de militantisme de Vony Rambolamanana. Elle est, en effet, l’une des partisans et militants de première heure de l’ancien président Marc Ravalomanana. On l’a vue ainsi défendre les causes de celui-ci sur le plateau d’une chaine nationale de télévision en France et dans les arènes de négociations internationales en Afrique. Et elle se propose d’expliquer l’« idéologie du mouvement légaliste » dans sa contribution sur « L’État de droit, la règle de droit et le mouvement légaliste », en essayant de démontrer comment les « revendications légalistes » seraient enracinées « dans le concret de la société et de l’histoire malgaches » (p. 187).
Il faut, cependant, reconnaitre que quelques contributeurs du livre ont réellement essayé d’être objectifs et ont produit d’excellents articles, littérairement et scientifiquement. Tel est, par exemple, le cas de la contribution de Mathilde Gingembre sur « Les Églises Malgaches dans la crise de 2009 ». Toutefois, le fait que ces contributeurs ont décidé d’associer leurs noms et réputations à un ouvrage basé sur une « prise de position partisane » ne pourrait certainement pas empêcher les lecteurs de mettre en question leurs objectivités intellectuelles, ainsi que les valeurs scientifiques même de leurs contributions.
En effet, prendre une position partisane (ou avoir un « parti pris, » pour être clair et net) dans la vie courante n’a rien de mal en soi. N’importe qui peut prendre n’importe quelle position ! Cependant, pour un intellectuel qui se doit de respecter sa neutralité et son objectivité intellectuelle, prendre une position partisane comporte un grand risque : celui justement de perdre cette neutralité et cette objectivité intellectuelle, ce qui en fin de compte peut entrainer la mise en question de la valeur scientifique même de son travail.
Qu’en serait-il alors de l’intention des contributeurs de « lancer des pistes de débats et de recherches sur les changements politiques à Madagascar et leur environnement, ainsi que sur le nature de la démocratie » ? Quels seraient les bases intellectuelles (partisanes ou non-partisanes, subjectives ou objectives) de tels débats et recherches ? Wait and see !
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Adrien Ratsimbaharison, est professeur Associé de Science Politique - Benedict College, Columbia, SC, Etats Unis – Texte paru dans Madagascar-Tribune.com de ce jour 18 Avril 2012
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