Mauritanie : «Le coup d’Etat permis de séparer la bonne graine politique de l'ivraie politicienne»

Amal Mint Cheikh Abdallah n'est pas que fille de l’ex-président Sidi Ould Cheikh Abdallah, victime d’un coup d’Etat le 6 août 2008. Elle est aussi une attachée de communication à la présidence de la République. Une position de proximité dont cette doctorante sur "les Fondements philosophiques de la pensée économique dans le moyen âge arabo-musulman" réclame la légitimité de par son "lourd bagage intellectuel". Elle juge sans complaisance les anciens compagnons de son père et ne mâche pas ses mots en particulier quand il s'agit des militaires. Elle a compris son monde. Elle est prête à s'assumer.

Avez-vous des nouvelles du président, des conditions de sa détention?

Amal Mint Cheikh Abdallah : Non. Je n'ai pas vu mon père depuis le 6 août au matin. Nous n'avons pas le droit de le voir ni de lui envoyer du courrier. On ne nous donne pas non plus de ses nouvelles. Les dernières informations sérieuses à son sujet nous ont été communiquées par les responsables qui ont été également enlevés en même temps que lui et qui ont été libérés quelques jours plus tard. Je ne peux qu'être inquiète pour sa sécurité, qui n'est pas du tout assurée tant qu'il se trouve entre les mains de ses ravisseurs, qui ont agi en parfaite irresponsabilité et qui ont commis, par cet enlèvement, un crime passible des plus grandes peines.

L'opinion généralement établie veut que votre père ne soit que la création des militaires. Quelles relations entretenait-il réellement avec son entourage militaire et notamment avec les généraux qu'il a nommés et qui l'ont « tombé » ? Votre père nourrissait-il des ambitions présidentielles avant la transition d'août 2005?

La réalité, c'est que le président s'est présenté aux Mauritaniens avec un programme électoral bien clair et qui s'articule essentiellement autour de la réconciliation nationale et de la consolidation de l'Etat de droit. Il a été élu, sur la base de ce programme, à plus de 52 % des voix, à travers des élections libres et transparentes, connues de tous. D'ailleurs, dès son investiture, le président s'est évertué à cantonner son entourage militaire immédiat au rôle qui lui est dévolu par la Constitution : celui de la sécurité. Hélas, c'est peut-être pour cette raison qu'ils l'ont « tombé » comme vous dites. Tout ce qui peut être dit d'autre n'est qu'une tentative vaine de discrédit.
Il semblerait que les militaires seraient en train de négocier la libération de votre père contre sa renonciation à ses charges présidentielles. Le croyez-vous capable de céder à un tel chantage?

Le président de la République a été élu pour 5 ans. Vous pouvez être certain qu'il est déterminé, aujourd'hui plus que jamais, à aller jusqu'au bout de son mandat et à continuer la mise en oeuvre du programme pour lequel il a été élu. Et ce malgré toutes les tentatives de déstabilisation, soient-elles militaires ou civiles, qu'il a connues ces derniers mois et jours.

Les détracteurs du président parlent de "dérives monarchiques", du blocage des institutions et surtout du détournement des deniers publics au profit de la fondation "KB" (Ndlr : qui était dirigée par la première dame) que pensez-vous de ces accusations graves dont le chargent les putschistes et ses ex-soutiens "frondeurs"?

Prenons ces accusations, point par point : Les dérives monarchiques : tout le monde, y compris ses opposants, s'accorde à dire que le président est un démocrate convaincu, intègre et doté d'un grand sens de l'écoute. C'est un homme qui s'est attelé pendant plus d'un an à l'ancrage de véritables valeurs démocratiques et de liberté dans ce pays. Tout le reste n'est que tentatives vaines, hélas, de justifier l'injustifiable.

Concernant le deuxième point, comment peut-on parler de blocage des institutions alors que tout le monde sait pertinemment que c'est par la volonté du président que celles-ci ont, pour la première fois dans l'histoire de ce pays, joué pleinement leur rôle de manière régulière et totalement indépendante de l'Exécutif. Depuis le début du mandat du président, soit environ 15 mois, aucune institution constitutionnelle, qu'il s'agisse du Parlement, du Conseil Constitutionnel, de la Cour Suprême, du Haut Conseil Islamique, n'a été empêché de fonctionner normalement. Au contraire, c'est grâce au Président qu'elles ont cessé d'être des chambres d'enregistrement et qu'elles ont commencé à fonctionner en toute indépendance.

S'agissant plus particulièrement du Parlement, il a toujours fonctionné normalement et il est important de souligner une nette amélioration des conditions des élus, et le président de la République n'est jamais intervenu dans le fonctionnement de l'une ou de l'autre des chambres. Au total, l'Assemblée Nationale a tenu sept sessions (ordinaires ou extraordinaires) et voté une quarantaine de lois. La dernière session ordinaire (mai - juillet) a été ouverte et fermée aux dates prévues par la Constitution. La dernière loi votée était celle relative à l'accord de pêche avec l'Union Européenne. Par la suite, il faut rappeler, car on a trop souvent tendance à l'oublier, que c'est le gouvernement qui a demandé l'ouverture d'une session extraordinaire relative à la loi de finances rectificative dans la première dizaine du mois d'août, mais que suite à la demande des parlementaires, celle-ci a été reportée au mois de septembre. Où est le blocage ici ?

Et quarante-huit heures après le départ du président de l'Assemblée Nationale en congés, voilà que les mêmes parlementaires s'activent à la demande d'une session extraordinaire, alors que quelques jours auparavant, ils ont expressément demandé son report. La vraie question est de savoir ce qui s'est réellement passé entre temps ? Pourquoi un revirement aussi inattendu? Cette demande, même si elle semblait rocambolesque, n'a pas du tout été refusée par le président, contrairement à ce que se sont acharnés à faire croire à l'opinion nos parlementaires frondeurs.

Seulement, nous ne sommes pas dans une République bananière et il y a des procédures bien définies dans le règlement de l'Assemblée Nationale et qui n'ont pas été respectées dans ce cas précis. Le gouvernement l'a tout simplement fait savoir. Seul le président de l'Assemblée Nationale est habilité à signer la correspondance portant demande d'une session extraordinaire et non pas son deuxième vice-président, comme c'était ici le cas. De plus, les députés n'avaient pas signé devant le bureau de l'Assemblée comme cela était prévu ; il y avait au moins deux députés qui se trouvaient à l'étranger à ce moment là : on avait signé à la place de l'un d'entre eux et pour l'autre on avait écrit par « procuration », sans que cette procuration n'ait été transmise. De plus, si l'objectif était réellement la tenue de cette session, il suffisait de présenter de nouveau la demande après correction des vices de forme. Et Enfin pourquoi aucun député n'a pris la peine de contacter le Président de l'Assemblée Nationale, et qui était bien joignable, pour l'informer de cette situation?

Vous voyez donc bien que s'il y a eu blocage, c'est bien de la part des parlementaires fondeurs. Jamais nos institutions n'ont été à ce point piétinées et clochardisées. La pratique démocratique à commencé à se résumer chez nous à une accumulation de tous les instruments d'entrave : motion de censure, commissions d'enquête, haute cour de justice, session extraordinaire demandée par les députés. Rappelons que cette dernière est une chose rare même dans les plus grandes démocraties. N'oubliez pas que Charles de Gaulle a déjà refusé une convocation qui lui avait été faite et que Valéry Giscard D'Estaing en a accepté une tout en précisant que c'est « parce qu'il le voulait bien ».

S'agissant à présent du troisième point, l'attaque contre la Fondation a pour unique objectif de nuire au président. Malheureusement pour eux, les sénateurs frondeurs, qui se sont subitement découvert une âme de « lutteurs » contre la gabegie, se sont trompés de cible. La Fondation n'a jamais reçu d'argent public (demandez donc à ceux parmi eux qui ont, pendant plusieurs semaines, passé au peigne fin les comptes du Trésor Public et du Budget pour trouver la moindre trace qui acculerait la Fondation et qui sont, à contre coeur, repartis bredouilles). Le tapage fait dans les médias publics sur les terrains détenus par la Fondation ? Quelle n'a pas été la déception de ces sénateurs lorsqu'ils se sont aperçus qu'il ne s'agissait là que d'affectations provisoires - en d'autres termes ces terrains appartiennent à l'Etat et il peut les reprendre à n'importe quel moment-, dans des quartiers (très) périphériques et à faible valeur marchande, comprenant uniquement des points d'eau distribuée gratuitement ! La réalité c'est que toute cette gesticulation malsaine faisait partie d'un plan très clair de déstabilisation du Président de la République.

Mais je tiens ici à signaler que la Fondation KB doit avant tout être considérée par rapports aux nombreuses actions caritatives qu'elle a réalisées depuis sa création. De l'aide d'urgence aux populations sinistrées (Tintane, Kaédi, Barkéol, Néma, Aleg, Rosso), à la distribution d'équipements en faveur de nos frères réfugiés à Rosso et à Boghé, à la distribution quotidienne d'eau aux populations les plus nécessiteuses de Nouakchott, à la formation de jeunes filles à l'outil informatique, à l'encouragement de la créativité (organisation de concours de poésie dans les langue nationales), à la distribution de vivres pendant le mois de Ramadan aux populations indigentes.

Mais en réalité, la vraie interrogation ici concernerait la réelle détermination de ces sénateurs dans leur « lutte sans merci contre la gabegie » : pourquoi n'a-t-on voulu enquêter que sur ce qui touche de près ou de loin à la personne du président, au même moment où un coup d'état se préparait ?

Avec le putsch, vous avez vu certains anciens collaborateurs du président, même ses ministres rejoindre le camp des putschistes; que pensez-vous de ce nomadisme politique des mauritaniens ? Etes-vous surprise de ces retournements de vestes?

Pour certaines personnes, je n'ai pas du tout été surprise. Il s'agit en l'occurrence de tous ceux qui étaient très proches des généraux. Pour d'autres, connus comme étant des spécialistes dans l'art d'applaudir, et qui en voyant tomber une feuille croient savoir d'où souffle le vent, la surprise n'a pas non plus été au rendez-vous et je dirais même que le contraire m'aurait étonné. Par contre, de voir certaines personnes très engagées dans la réalisation du programme du président, et non moins agacées par l'ingérence des généraux dans le Parlement, parmi les premiers soutiens au coup d'Etat, j'avoue que cela m'a quelque peu étonné.

Mais au-delà tout cela, je pense que s'il y a un aspect positif dans ce putsch, c'est bien qu'il ait permis de séparer la bonne graine politique de l'ivraie politicienne. Pour la première fois en Mauritanie, des hommes et des femmes libres disent NON au putsch. Et ça, c'est déjà une victoire en soi.

Si vous deviez faire le bilan de la présidence de votre père, quelles réalisations concrètes et importantes en retiendrez-vous?

C'est tout d'abord la consolidation de l'unité nationale. Cette volonté s'est traduite dans le discours historique du 29 juin 2007, à travers l'organisation des journées nationales de concertation sur le passif humanitaire et l'opération du retour dans la dignité de nos frères réfugiés. A cet effet, un accord tripartite a été signé entre la Mauritanie, le Sénégal et le HCR et un établissement public (l'ANAIR) a été crée. Parallèlement, de fermes instructions ont été données par le président pour accorder un temps d'antenne plus large aux langues nationales notamment au niveau de la deuxième chaîne de télévision et de la radio. Le président tenait à travers cela à l'émergence d'une culture citoyenne plurielle. Il y a également la criminalisation (effective) de l'esclavage, loi qui a été votée, malgré l'opposition de certains sénateurs.

Il y a aussi l'esprit qui a caractérisé le début du mandat du président (jusqu'au 6 août 2008) : celui de la liberté et de l'ancrage des pratiques démocratiques. Les médias publics se sont ouverts de sorte à devenir des médias crédibles et regardés. Notre télévision était d'ailleurs très appréciée à l'extérieur. La presse indépendante a travaillé en toute liberté, au point même que certains journaux ont outrepassé les principes de la déontologie, mais cela n'a jamais pour autant justifier le recours à la censure ou à d'autres pratiques que l'on a pu voir dans certains pays voisins. Il y a aussi la totale indépendance de la justice. Le président de la République n'est jamais intervenu dans une procédure judiciaire quel qu'elle soit. L'Etat de droit commençait véritablement à prendre forme, malgré le lourd héritage institutionnel, administratif mais aussi des mentalités héritées des périodes passées.

Il y a eu également dès le départ la volonté de moraliser la vie publique et de lutter contre la gabegie, avec entre autre la loi sur la transparence financière (déclaration de patrimoine des hauts responsables de l'Etat,) et la dépolitisation de certains postes de l'administration. Terminée aussi la logique des règlements de comptes politiques : être de l'opposition n'est plus une « tare » et n'empêche pas d'accéder à de hauts postes de responsabilité. Vous avez plusieurs exemples à ce sujet.

D'autre part, fini la conception de l'Etat « vache à lait », où chacun veut la plus grosse part (c'est peut être d'ailleurs une des raisons du mécontentement de certains élus frondeurs, habitués, dans le passé à ce genre de pratiques). Sur le plan économique, les réformes engagées depuis un an et demi par le président de la République ont été considérées comme un modèle à suivre dans la sous région comme en a témoigné, le 1 août 2008, à l'occasion de la réunion du Caucus africain qui se tenait à Nouakchott, le Directeur Général du FMI, M. Dominique Strauss Khan. En effet, ces réformes ont pris en compte les besoins prioritaires des populations (coupes faites dans les faramineuses dépenses de fonctionnement des administrations et affectées aux secteurs de l'hydraulique, de la santé et de l'éducation).

D'importants chantiers de réforme de la gestion des finances publiques mais aussi de l'investissement privé ont été mise en oeuvre. Lors de la réunion du groupe consultatif qui s'est réuni à Paris en décembre dernier, la Mauritanie a pu bénéficier d'un montant supérieur à 2,1 milliards dollars pour le financement de son programme d'investissement public. Des conventions de 600 millions de dollars ont été signées dernièrement et d'autres, de 800 millions étaient sur le point de l'être. D'autre part, dans le cadre de la promotion de l'investissement privé, d'importants projets étaient sur le point de se concrétiser comme le Projet el Aouj ou la baie de Nouadhibou. De nombreuses banques qui ont demandé des agréments et les ont obtenus, étaient sur le point de s'installer en Mauritanie. Il ne s'agit ici que de quelques exemples qui me viennent à l'esprit. L'économie mauritanienne était prometteuse, mais malheureusement le 6 août, tout cela a été compromis.

Sur le plan diplomatique, la Mauritanie s'est hissée au rang des nations respectables. La Mauritanie a été citée à plusieurs reprises comme l'exemple d'une démocratie véritable et le Président comme un démocrate convaincu et un grand bâtisseur. Dans ce cadre, la Mauritanie a été intégrée tout dernièrement à l'Union pour la Méditerranée, bien qu'elle n'appartienne pas à la Méditerranée.

Vous voyez-vous un rôle politique immédiat ou futur, un peu à la Benazir Bhuto, qui s'est dressée au péril de sa vie pour combattre les tombeurs de son père?

Merci pour la comparaison en espérant tout de même plus de chance à ma famille. Ce dont je suis sure, c'est qu'il y a dans la vie des combats qui méritent la peine qu'on les mène et que celui-là en fait partie.

Quelles relations entretenez-vous avec le Front national de défense de la démocratie et quel est le moral au niveau de la résistance de l´intérieur ? Sentez-vous en sécurité en tant que membres de la famille du président?

Je suis une partie intégrante de ce Front et j'ai un respect tout particulier ainsi qu'une grande considération pour ses leaders, mais aussi pour tous ceux qui en font partie. Ce sont des personnalités comme celles-là dont la Mauritanie a besoin aujourd'hui plus que jamais pour se construire, pour se développer et pour sortir du gouffre multidimensionnel dans lequel elle se trouve depuis le 6 août.

Je ne me sens pas en sécurité tout simplement dans la mesure où aujourd'hui nous nous trouvons dans un Etat de non droit où l'arbitraire est la règle et où tous les pouvoirs sont confisqués par une poignée d'hommes. Comment voulez-vous que quiconque se sente en sécurité au moment où le premier magistrat de ce pays est détenu arbitrairement ?

Les FLAM et d´autres organisations mauritaniennes de la diaspora et des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali ont condamné vivement ce coup de force, quel message lancez-vous à tous ces soutiens de l´extérieur et que pensez-vous de leur prise de position dans cette épreuve?

Je suis très fière que nos compatriotes aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur s'opposent avec la plus grande fermeté et une grande détermination à ce coup d'Etat. Je salue ce courage et il est évident que cet élan de patriotisme, manifesté avec force par toutes ces organisations, s'inscrit dans leur attachement indéfectible à la légalité, à la démocratie mais aussi notre unité nationale, objectif premier du Président de la République.

Avez-vous un appel à lancer à l´opinion internationale, votre dernier mot aux mauritaniens....

Je salue tout particulièrement le courage des Mauritaniens qui ont dit non au coup d'Etat. Dieu sait qu'il y en a eu beaucoup en Mauritanie. Celui-là est le coup d'Etat de trop et c'est pour cela que l'on a vu pour la première fois, et malgré la répression, la violence, l'intimidation des forces de l'ordre, des manifestations gigantesques de soutien à la légalité (La Marche du défi qui a été organisée le mercredi 13 août par le Front National pour la Défense de la Démocratie a rassemblé plus de 40.000 personnes). Aujourd'hui, le plus étonnant est que c'est la majorité des Mauritaniens qui s'oppose à ce putsch et non pas le contraire. Et c'est pour cette raison qu'il a déjà lamentablement échoué. J'appelle donc tous les Mauritaniens soucieux de la consolidation de notre unité nationale et attachés à la préservation de la légalité à s'unir autour du Front National pour la Défense de la Démocratie pour rétablir, dans les plus brefs délais la légalité constitutionnelle incarnée par le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.

Je salue également la constance et la fermeté de la communauté internationale dans la condamnation de ce coup d'état ainsi que sa détermination au rétablissement de l'ordre constitutionnel, détermination qui recoupe les aspirations profondes du peuple mauritanien.

* Kaaw Touré est porte-parole et Ibra Mifo Sow est secrétaire national à l´Organisation et à l´Orientation politique des Forces de libération africaine de Mauritanie. Cet entretien a été réalisé avec Flamnet

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