Mauritanie : Trente ans de combat et retour au pays natal pour le Flam
Après des années de lutte armée contre le pouvoir mauritanien raciste, le Flam s’est engagé sur l’échiquier politique. L’organisation fait cependant face à des questions de positionnement. Victime de diabolisation, elle n’inscrit pas moins son nouvel ancrage dans un processus d’union de toutes les forces d’opposition mauritaniennes.
C’est dans un palais de l’Est parisien comble que le Front de libération des africains de mauritanie a célébré son 30e anniversaire, le 13 avril. Trente ans de lutte acharnée contre la dictature du colonel Taya, et ensuite sous le régime d’Ould Abdel Aziz, pour un redéploiement de leur force en terre mauritanienne. Le Flam, à l’instar de l’Anc sud-africaine, a montré ainsi le chemin parcouru depuis avril 1983, de la lutte armée, au processus démocratique.
RETROSPECTIVE
1986 : La Mauritanie est en effervescence. Le régime du colonel Taya découvre un document, le manifeste du négro-Mauritanien opprimé qui fait le procès de la cohabitation entre les différentes communautés. Malgré un constat sans concession, le Flam appelle au dialogue entre « Mauritaniens pour se dire la vérité ». Une répression s’abattra sur le mouvement : les cadres négro-mauritaniens sont arrêtés ou activement recherchés. Après un procès rapidement expédié, les principaux animateurs de l’organisation sont envoyés au fort de Walata où quelques-uns (Bâ Abdoul Ghoudou, Bâ Alassane Omar, Djigo Tafsiou et l’écrivain Tène Youssouf Guèye) décèderont des suites de leur condition de détention. Commencera donc le long exil des membres du Flam.
LE LONG EXIL
C’est au Sénégal que les militants exilés mettent à profit le rassemblement des victimes pour se restructurer. Même si l’organisation n’a pas harcelé le pouvoir mauritanien au point de lui imposer un dialogue sur « la question nationale », elle mettra à profit cet exil pour affûter ses armes. Toutefois le manque de soutien du gouvernement sénégalais ainsi que sa coopération avec son homologue mauritanien fera qu’en juillet 1999, Kaaw Touré, porte-parole de l’organisation, est expulsé en Suède. On verra également que la communauté internationale et le Hcr réduire leur programme d’aide aux réfugiés mauritaniens. Les cadres du mouvement sont toujours harcelés et s’exilent aux Etats-Unis, au risque de faire éclater le mouvement et de le couper de sa base populaire. On verra donc l’émergence d’autres organisations : Ajd, Plej, etc., qui se positionneront sur les mêmes thématiques.
1989 : LA DEPORTATION DES NEGRO-MAURITANIENS
Profitant du « conflit » avec le Sénégal pour tenter de « dénégrifier » le pays, le régime du dictateur Taya va déclencher la déportation de plus de 120 000 négros-mauritaniens vers le Sénégal et le Mali. Il s’agissait aussi de saisir cette occasion pour faire passer enfin une réforme foncière qui rencontrait une forte résistance en milieu négro-africain, pour servir des intérêts inavoués. La déportation permit de redistribuer la terre, et les terres de ces réfugiés en exil forcé au Sénégal comme s’ils ne devaient plus jamais revenir !
MAURITANIE, ENTRE MAGHREB ET AFRIQUE NOIRE
Il s’agissait enfin de frapper les esprits en sévissant durement et partout pour intimider, afin de décourager à jamais toute velléité de résistance, en décapitant la seule force politique organisée que sont les Flam, de manière à neutraliser l’avant-garde éclairée de la contestation du projet hégémonique. Dans le feu des événements allait surgir une quatrième raison : récupérer le bétail peulh (150 000 bovins) pour compenser les pertes matérielles subies par les Maures rapatriés du Sénégal.
Pour se venger du Sénégal voisin, les autorités mauritaniennes allaient se rabattre, sans remords, sur leurs propres citoyens qu’elles spolièrent et dépossédèrent pour les chasser ensuite comme de « vulgaires étrangers ».
2005, LA SCISSION
La chute de Taya entraînera une scission interne du mouvement. Des cadres du mouvement sont convaincus de porter désormais le combat sur le terrain. Ils créeront le Flam/Rénovation avant de rejoindre l’Ajd pour former l’Ajd/Mr qui présentera Ibrahima Moctar Sarr, un Négro-Mauritanien à l’élection présidentielle en 2007. Malgré la rudesse de ce coup le Flam ne sombre pas, mais envisage sérieusement de se redéployer sur le terrain.
2013 : QUEL BILAN TIRER ?
Depuis 2011, les Flam ont entamé un nouveau processus politique avec les autres organisations, ces dernières revenant sur une position plus radicale vis-à-vis du pouvoir actuel. Et le processus du recensement excluant toute personne qui ne pourrait pas fournir un acte de naissance officiel, démontre aujourd’hui que la question ethnique est au cœur du rapport de force avec le pouvoir clanique. Les mêmes inquiétudes persistent donc depuis 1986.
Aujourd’hui les Flam sont confrontés aux questions de positionnement sur l’échiquier politique et de terrain. Victime de diabolisation par l’ancien régime (rumeurs d’assassinats, de vengeance ou d’établissement d’un gouvernement uniquement composé de Négro-Mauritaniens peulhs), leur retour est d’autant plus attendu qu’il ne se pose pas en termes de concurrence ni de récupération. Il s’inscrit dans un processus d’union de toutes les forces d’opposition mauritaniennes.
Toutefois subsiste encore la question de l’autonomie du Sud. A cela, le Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé, répond clairement : « Il faudrait que le Négro Mauritanien comprenne qu’il ne doit pas s’insurger contre le Beydane en soi, mais contre l’appareil d’État arabo-berbère raciste et oppresseur, afin que Blancs et Noirs puissent enfin dialoguer à égalité, se battre ensemble pour des lendemains plus certains […] Les problèmes mauritaniens doivent être posés par des Mauritaniens, discutés entre Mauritaniens et solutionnés par les Mauritaniens eux-mêmes.
« Notre amour pour ce pays nous commande à inviter toutes nos nationalités à un dialogue des races et des cultures, dans lequel nous nous dirons la vérité pour guérir nos maux. Il faut que nous traduisions dans la réalité nos appels au salut national et au redressement de notre pays, au lieu de dépenser toutes nos ressources et toutes nos potentialités humaines dans des querelles raciales et culturelles dont les principaux bénéficiaires ne seraient certainement pas les Mauritaniens. »
On est donc loin d’un appel à la vengeance, au meurtre, comme cela avait été affirmé par la junte pour justifier ses exactions envers les Négro-Mauritaniens.
Au cours de cette célébration, plusieurs partis politiques et organisations étaient présents. Pour le Ps, le député de Montreuil, M. Razzy Hamadi, s’est engagé à poser une question écrite au gouvernement français concernant la situation de quasi apartheid subie par les Négro-Mauritaniens. On attend donc avec impatience la réponse qui sera apportée par Hollande et ses amis.
Quant au Npa, que j’ai eu l’honneur de représenter, son soutien aux organisations d’opposition n’est plus à démontrer. Depuis 1995, nous sommes aux côtés, notamment, des Flam et plus récemment du mouvement de la jeunesse mauritanienne « Touche pas à ma nationalité ».
Le Npa souhaite donc s’inscrire un long moment encore en compagnon de route des Flam. Trente ans dans la vie d’une organisation c’est long mais c’est aussi le signe d’un dynamisme militant. Certes, il y a eu des remous, des scissions, des réconciliations, mais jamais de trahison envers le peuple. Comme nous l’affirmons dans nos organisations respectives : la lutte continue…
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** Mariam Seri-Sidibé est membre du Nouveau Parti Anticapitaliste
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