Notes préliminaires sur le FSM Dakar 2011

Le dernier Forum Social Mondial (FSM) s’est déroulé à Dakar du 6 au 11 février Dans la foulée, son Conseil International (CI) s’est réuni pendant deux jours et a commencé une évaluation qui doit se poursuivre au cours des prochains mois et à réfléchir aux deux prochaines années.

Le FSM 2011 avait une saveur particulière cette année. Cependant que les thèmes à controverse habituels au militantisme mondial ont été récurrents comme il était prévisible, bien que souvent formulés en des termes nouveaux et stimulants, comme nous allons le montrer plus loin, l’ambiance générale du FSM 2011 a été largement imprégnée les succès exceptionnel des Intifadas tunisiennes et égyptiennes.

Les militants ont suivis avec inquiétudes le déroulement des évènements et comme un cadeau du Ciel (on me pardonnera cette référence), le jour de la cérémonie de clôture, Hosni Moubarak a finalement capitulé et s’est enfui loin des foules croissantes de citoyens égyptiens, de plus en plus confiantes, qui ne cédaient pas un pouce de terrain et ont déferlé dans les rues du Caire. D’Alexandrie et de toute l’Egypte, balayant sur son passage les sordides vestiges de 30 ans de dictature brutale.

Après que l’année 2010 a donné cours, aux quatre coins de la planète, à des évènements émanant du réseau, les militants se sont retrouvés une nouvelle fois dans un lieu unique afin de renouer les contacts, de se réunir, d’organiser, de discuter et partager les expériences et imaginer un autre monde possible. Les événements récents en Tunisie et en Egypte, et dans une moindre mesure en Algérie, au Maroc, en Jordanie et au Yémen, ont ajouté de la pertinence à ce forum.

Se promenant dans le verdoyant campus de l’université de Cheikh Anta Diop, les militants ont échangé des commentaires sur les récents développements au Maghreb-Mashreq et ceux de la région étaient forts recherchés par ceux qui cherchaient des infos, des explications, des analyses et de l’inspiration. Certains voulaient juste savoir comment ils pourraient faire la même chose afin de faire prévaloir la démocratie, la justice, l’égalité et les droits dans leur pays opprimé. Et bientôt le Forum est devenu un champ d’opportunité où les militants, un nouvel espoir dans le cœur, se rassemblaient pour concocter des plans et des activités pour le changement. Le FSM est, après tout, l’espace où se rencontrent les militants et partagent leurs expériences, leur savoir, leur imagination et des plans d’actions pratiques. Le mandat entier, toute la vision du FSM, semble avoir reçu une nouvelle impulsion.

Le Forum social du Maghreb-Mashreq (FSMM) est devenu un élément marquant de la dynamique du processus du FSM. Développé aux cours de ces quelques dernières années, il a trouvé un élan et il a connu quelques succès inattendus en se joignant aux militants luttant pour les droits humains et la démocratie dans toute la région et en particulier en Tunisie et en Egypte où les militants de FSMM ont été impliqués dans des révoltes qui ont abouti. Le Conseil africain a reconnu cette pertinence croissante et cet élan en attribuant le prochain Forum social du Maghreb à la Tunisie et les militants estiment que bientôt ce sera le tour de l’Egypte d’accueillir le FSM, après avoir reçu l’an dernier le Forum en faveur d’une action collective pour la santé, l’environnement et la terre.

Dans l’intervalle, une délégation du Conseil africain visitera prochainement la Tunisie et l’Egypte, afin d’exprimer sa solidarité et d’offrir son assistance aux militants des deux pays au cours de la période de transition du régime autoritaire à la démocratie. Les militants sont préoccupés parce que, bien que la révolte ait réussi à libérer ces pays de leur dictateur respectif, la démocratie ne peut être tenue pour acquise pour autant.

A l’ouverture de la deuxième journée de la réunion de Conseil International, après un chant touchant offert par un militant syndical tunisien à une foule debout, vibrante, émue, un autre militant tunisien a mis en garde contre les possibles dérives corporatistes qui pourraient affecter le processus de démocratisation, aussi bien en Egypte qu’en Tunisie. Un risque réel existe, a-t-il dit, que les militants radicaux se fassent déloger par les forces libérales qui nourrissent une passion pour les politiques néolibérales et sont capables de délivrer des discours démagogiques concernant la démocratie et les droits humains.

Dans le cadre de cette confiance retrouvée et à la lumière des possibilités qui s’ouvrent au militantisme progressiste engagé, le FSM a été un terrain d’expérimentation et de réflexion sur le mouvement du MSF en général, ses défis, ses potentiels, ses enracinements régionaux, sa capacité organisationnelle, ses ambitions et ses limites. Cela n’a pas été un forum facile ni pour les organisateurs ni pour les participants. C’était un FSM qui a mis l’imagination à l’épreuve mais a aussi frustré les attentes de beaucoup, qui a abordé des défis anciens et exposé les nouveaux défis, qui a hésité devant les problèmes qui ont affligé les militants du FSM depuis le début et que 10 ans d’expérience n’ont pas réussi à résoudre entièrement.

Une évaluation détaillée du forum de Dakar ne peut guère être conduite ici. A cette fin, la Commission de méthodologie du Conseil International (CI) a mis sur pied un groupe de travail dévoué qui va s’efforcer, au cours des mois à venir, d’élaborer une évaluation pondérée qui sera présentée lors de la prochaine réunion à Paris, en mai. Dans les lignes qui vont suivre, je vais mentionner quelques-uns des domaines les plus débattus qui seront peut-être abordés dans l’exercice d’évaluation

Les attentes des organisateurs, des partenaires et des participants, exprimées et non exprimées, diffèrent énormément. Mais il y des constantes. De nombreux participants avaient à l’esprit les manifestations brésiliennes, et particulièrement celle qui a eu lieu à Belém en janvier 2009, précédant le FSM de Dakar. La comparaison était inévitable. Comparaison aussi avec la précédente et controversée réunion du FSM en 2007, au Kenya.

Pour beaucoup, la clé du succès de la réunion de Belém tenait à la présence d’un large éventail de groupes indigènes que les organisateurs avaient réussi à mobiliser et qui permis des liens étroits avec les militants qui travaillaient dans cette région (Amazonie brésilienne). De ce point de vue, le succès de Dakar est tout aussi retentissant. Une participation de militants du Sénégal, de l’Afrique de l’Ouest et de tout le continent témoigne d’un processus de mobilisation extensif et inclusif.

Le souvenir le plus désagréable que beaucoup de participants ont ramené de Nairobi était sa relative fermeture, les difficultés et le coût de l’accès et les controverses concernant le rôle de certaines organisations chrétiennes et de grandes ONG. Dakar était complètement ouverte et accessible en même temps que militantes et ouvertement politiques, comme on l’a noté lors du CI. Cependant que le FSM en Afrique fait partie d’un processus qui a débuté en 2001 et a déjà produit des FSM à Bamako et à Dakar (ainsi qu’une kyrielle de fora régionaux, sub-régionaux et nationaux), les hôtes sénégalais ont consenti à un effort énorme afin de faire de Dakar un forum accueillant et inclusif, un évènement substantiel. Ce malgré la petite taille du pays. De ce point de vue, Dakar était une étape importante du chapitre africain du Forum.

La mobilisation de militants et de ressources, en comparaison avec la dimension du pays, n’en est que plus impressionnante. Ce n’était évidemment pas grâce aux seuls mérites des organisateurs sénégalais. En fait une contribution importante a été fournie par le Conseil africain et sa capacité de créer des relations dans toutes les régions d’Afrique. Des partenaires extérieurs à l’Afrique ont contribué, aussi bien qu’un grand nombre de participants.

De plus, une contribution clé à l’accessibilité du lieu de conférence et à la mobilisation régionales des militants ont été les caravanes - 12 en tout - qui ont sillonné l’Afrique en tout sens et amené des milliers de militants à Dakar, tout en engageant la discussion avec ceux qu’ils rencontraient, chemin faisant, sur les thèmes de la justice, du développement, de la pauvreté, de l’égalité et de la dignité, en les informant de cet endroit - le FSM - où ces idées ne seraient pas seulement considérées comme de doux rêves mais où les militants se rejoignent dans le but de les réaliser.

L’inclusion et la différence des participants ont fait du campus de l’université de Cheikh Anta Diop un espace véritablement ouvert, divers et accessible. Pour les organisateurs, ceci était un succès crucial qui a d’une certaine façon effacé le souvenir de Nairobi qui, pour certains, pesaient sur le chapitre africain du FSM. Ceci a été évident dès le premier jour, le jour de la grande marche d’ouverture. Des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans Dakar : des minorités locales et les syndicats, des paysans sénégalais et leurs partenaires régionaux. Les contacts avec l’extérieur se sont poursuivis les jours suivants, de par l’expérimentation de décentralisation virtuelle par Internet (le projet de Dakar étendu qui permettait la participation à distance) ou en organisant des sessions en banlieue comme l’avait fait le World Assembly Inhabitants dans le quartier de Guediawaye, ou en organisant une délégation qui a visité les bidonvilles de Baraka

Et ce que les organisateurs et leurs partenaires internationaux du CI ne pouvaient pas faire, Dakar l’a fait. Avec sa population accueillante, sa météo agréable et une petite brise de l’harmattan qui irisait l’océan, c’est la ville la plus amicale, la plus aimable où se soit déroulé le FSM, a déclaré un membre enthousiaste du CI, lors de la session d’évaluation du 12 février, exprimant ainsi l’opinion de tous. Mieux encore, le commentaire d’une femme qui reconnaît que Dakar était un lieu où les femmes étaient le plus en sécurité. Rien que cela suffit à célébrer Dakar et FSM de 2011. Et l’impressionnant programme culturel du FSM a complété les innombrables offres de la ville.

Une tendance importante, mise en évidence à Dakar, du militantisme global, et qui a contribué à son succès, tient à ce que les militants arrivent déjà bien préparés et organisés entre eux et avec des partenaires locaux, soucieux de renforcer des alliances régionales et subrégionales sur des sujets clés. Ces convergences au cœur du FSM se sont avérées fructueuses, même au-delà des attentes des militants. Pour certains elles semblent indiquer une tendance claire de la consolidation de la lutte au niveau global. Même s’il est prématuré de l’affirmer péremptoirement, c’est néanmoins quelque chose à suivre de près dans les mois et années à venir, afin de capter l’esprit des alliances convergentes et du réseau, des rencontres, des interactions et pratiques qui peuvent influer aussi bien sur la prise de conscience que sur les valeurs qui soutendent une société cosmopolite globale véritablement émancipée.

Certaines de ces convergences ont eu lieu avant le FSM, d’autres seulement au cours des derniers jours. Par exemple, deux jours après le début de la réunion, la Charte des migrants a été lancée dans l’Ile de Goree par des militants qui ont convergé de tous les coins de la planète vers un des pires symboles de l’abominable traite des esclave, afin de revendiquer le droit à la mobilité libre de toute entrave pour tous les individus de la planète, sans frontière qui génère la ségrégation, l’exploitation et de nouvelles formes de traites d’êtres humains. Au cours du Forum, il y eu une convergence vers la Palestine, la première à avoir eu lieu dans le cadre de ce forum et s’est avérée être un succès retentissant. Les militants des médias ont convergé vers l’assemblée de la communication afin de procéder à l’état des lieux du militantisme de la communication à l’époque de Wikileaks et l’influence des médias sociaux sur les manifestations de rue dans la région du Maghreb et de Mashreq.

L’Assemblée mondiale des habitants, dont la déclaration finale a été signée par plus de 200 organisations et mouvements et qui a organisé une pléthore de manifestations, de séminaires et d’ateliers aussi bien à l’université que dans les banlieues, constitue l’une des alliances militantes les plus remarquables au niveau global. Un nouveau paradigme, une nouvelle façon de conceptualiser la lutte pour un monde meilleur, résultent de cette alliance et des engagements pratiques lors de campagnes d’actions concertées. Un paradigme qui oppose aussi bien le modèle néolibéral du développement urbain et le replace dans un contexte centré sur l’humain, le social, un paradigme qui tord le cou au biais en faveur du monde urbain des dernières décennies de développement international et repense la séparation réductrice entre l’urbain et le rural.

Ceci n’est pas rien, compte tenu du groupe hétéroclite de partenaires qui amène avec lui une telle diversité culturelle, intellectuelle, idéologique et stratégique mais partage une aspiration commune de justice et d’égalité pour tous les habitants du monde et une résistance sans faille à l’encontre de ces processus d’accaparement des terres (si douloureusement actuel en Afrique) et la dynamique de marché qui veut moderniser les bidonvilles et nie aux secteurs les plus faibles de la société le droit à un logement et à des moyens de subsistance qui favorisent leur épanouissement. Parmi ceux qui ont porté ce débat, il y a International Habitat Coalition, The International Alliance of Inhabitants, No Vox. Leur premier objectif commun est l’organisation d’une journée de mobilisation qui coïncide avec la Journée mondiale de l’habitat : une journée alternative de la Journée l’habitat, le 3 octobre.

Une autre manifestation impressionnante a été la convergence de l’Assembly of Social movments, un évènement récurrent dans les Forums dès la première édition, qui s’est tenue dans le plus grand auditorium de l’université, qui a vu la participation de milliers de militants et qui a généré un moment de joie immense, un moment où l’on célébrait le bonheur d’être ensemble en si grand nombre et venant de tant d’endroits différents. Les assemblées se sont orientées de sorte à aborder quelques-uns des thèmes récurrents du forum, provenant des organisateurs et critiques de celui-ci, en particulier la fragmentation des programmes et l’atomisation des différents tendances du militantisme global perçues comme affaiblissant la résistance au néolibéralisme et réduisant l’impact des imaginations et des pratiques qui ont pour objectif de construire un nouveau monde.

Toutefois, certains ont noté qu’une des choses qui n’a pas fonctionné à Dakar a été le processus d’agglutination des activités organisées par soi-même. Ceci fait partie de la méthodologie depuis 2005 et le processus est supposé faciliter la convergence de différents ateliers et séminaires. Bien que la pratique n’oblige personne à travailleur avec un partenaire indésirable, elle permet néanmoins de diffuser l’information sur des thèmes similaires auprès de militants qui pourraient être intéressés à travailler en réseau et à trouver de nouveaux partenaires potentiels. Si l’agglutination avait réussi, a-t-il été dit, un nombre restreint de manifestation aurait eu à se mettre en compétition pour moins d’espaces disponibles à l’université et peut-être n’y aurait-il eu aucune compétition.

Et ceci a été la réalité la plus difficile pour les participants, les organisateurs et les membres du CI qui se sont efforcés d’évaluer ce qui s’était produit. Oui, que s’est-il passé au cours des premiers jours du forum ? Pourquoi les gens ont-ils été accueillis dans un chaos de changement de salle, de manque d’un programme définitif et d’arrangements impromptus ? Simple. Le nouveau recteur n’a pas honoré les engagements pris par le précédent, qui avait promis la suspension des cours tout au long du forum pour permettre aux étudiants de participer aux manifestations du FSM et la mise à disposition du campus universitaire aux organisateurs du forum.

Lorsque ces facilités ont été retirées, au tout dernier moment, la panique a saisi les organisateurs et bientôt la confusion et même la frustration se sont répandues parmi les participants. De nouvelles tentes ont été montées pour abriter les manifestations et chacun a dû improviser mais il a fallu un certain temps jusqu’à ce que tout le monde soit familiarisé avec l’espace et les programmes (affichés tous les jours aux tableaux d’information dans tout le campus). Finalement il est estimé que seul 80% des activités prévues ont pu avoir lieu.

La créativité, l’efficacité et l’ingéniosité et par-dessus tout, la solidarité ont permis à plus d’une âme perdue à se repérer dans les avenues du campus, grâce à leur téléphone cellulaire et escortés par les volontaires les plus accueillants. Un aspect plus sombre de la confusion initiale a été souligné par de nombrkleuses personnes. La compétition pour l’espace et les différentes capacités des militants à rassembler une audience a généré un phénomène qui était en profonde contradiction avec les valeurs du forum. Ceci a généré des privilèges pour ces militants et organisations qui ont de meilleurs réseaux et de plus grandes ressources. Cela a conduit à l’exclusion de ceux qui ont rejoint le forum pour la première fois, ceux qui n’étaient pas étroitement connectés avec d’autres militants, les ‘initiés’. Comme quelqu’un l’a énoncé au cours de la réunion du CI, la culture et les aspirations du Forum ne méritent pas un processus organisationnel aussi contradictoire.

Comme nous l’avons noté précédemment, il y a de grandes différences dans les relations et les attentes de la manifestation mondiale du FSM et aussi des déséquilibres aux niveaux des connexions et du capital social. Certains se constituent un réseau sur la base de leurs relations, sortent leurs antennes et sont plus inclus que d’autres qui dépendent de programmes plus structurés et se sentent perdus si les programmes ne sont pas respectés. Nombreux sont ceux qui ont pensé que c’était une occasion manquée de n’avoir pas pu impliquer davantage les étudiants et les enseignants de l’université et de Dakar en général. Mais les étudiants de l’université ont souvent été dirigées ‘’avec tact et le sourire’’- comme nous tous - par des volontaires enthousiastes qui expliquait ‘les règles de l’art’ comme me l’a dit une personne : ceci n’est pas une conférence ordinaire, tout arrive tout le temps, ainsi vous pouvez arrêter de courir en tous sens en quête d’autres choses et profiter de ce qui se présente ( ce que j’ai fait consciencieusement, y compris discuter avec lui et entendre ce qu’il avait à dire à propos des Intifadas en Afrique du Nord. Il a dit qu’il devrait y avoir une Intifada dans chaque pays d’Afrique)

Evaluation d’impact et responsabilités

Les questions logistiques n’ont pas été les seules. La confrontation entre les militants marocains et les supporters du peuple sahraoui a requis une grande attention. Des intimidations répétées et de la violence ont prévalu entre les deux groupes dès la marche initiale vers les bâtiments de l’université (où une manifestation organisée par des parlementaires européens a été violemment interrompue par des Marocains outrés, qui ne voulaient pas permettre un espace de discussion quant aux demandes d’indépendance du peuple sahraoui) jusqu’à la tente des femmes où des femmes marocaines ont attaqué les femmes sahraouies.

Mais un membre de la délégation marocaine du Forum Social du Maghreb a averti les militants que certains, opposés aux revendications d’indépendance des Sahraouis, ne sont pas des agents du gouvernement, comme beaucoup les en ont accusés (ainsi que les organisateurs qui les ont accueillis), mais bien des alliés qui avaient des points de vue politiques différents sur un problème dont l’origine et l’histoire en font une affaire complexe. Prendre une position politique rigide ne peut que diviser et être contre productif pour les militants, dans le délicat équilibre politique marocain. Perdre le soutien de ces alliés coûterait au mouvement marocain sa force et, au-delà, anéantirait des années de patientes négociations et de création d’alliance

Il y aussi eu le problème de l’ambitieux projet d’extension de Dakar qui n’a pas pu être réalisé faute de ressources et d’espace. Il y a eu le problème récurrent qui a été soulevé une fois de plus et que d’aucun ont trouvé inacceptable : les stands de nourriture où se vendaient du Coca-Cola et les produits de Danone, où l’eau qui avait été distribuée gratuitement se vendait à trois fois le prix du marché. D’autres, dans la même veine, se sont interrogés sur la compatibilité avec les objectifs du FSM que certains militants aillent loger dans des hôtels coûteux ou s’il ne serait pas plus approprié que le comité d’organisation s’engage à favoriser le logement de solidarité chez les militants locaux ou proposer des logements à louer. Quelqu’un a suggéré que le Forum pourrait avoir lieu dans des champs où chacun peut planter sa tente pour y dormir ou pour y organiser une manifestation (et j’avais des visions du Burning Man et du festival de Glastonbury que je n’ai pas trouvées entièrement déplaisante, peut-être avec la coopérative des paysans de la région qui fournirait des aliments bio…)

D’autre part, toujours à l’avant-garde de la résistance aux monopoles des multinationales, tous les ordinateurs du centre de presse fonctionnaient avec des logiciels GNU/Linux afin de souligner que nombreux sont ceux, au Forum, qui mènent à bien des créations communes et la propriété intellectuelle. Ainsi on se concentrait sur ce qu’on avait en commun, selon ce qui a été dit lors du Forum sur la science et la démocratie.

Ce forum, avant le début du FSM, a non seulement limité l’importation en ce qui concerne la technologie (néanmoins, au vu de la pertinence croissante non seulement dans le monde en général mais aussi parmi les militants, ceci pourrait nécessiter un plus grand intérêt), mais est un engagement crucial en faveur de la gestion alternative au néolibéralisme (la Banque Mondiale a généralement de l’avance sur le reste) qui pourrait utiliser ces approches pour étendre la privatisation et les pratiques de production, les échanges et la consommation du savoir.

D’autres plaintes ont été discutées au cours du CI, mais qui étaient contrebalancées par d’autres point de vues. Par exemple la coordination réduite et ainsi que la réduction du nombre des agglutinations, le manque d’espace et de programme, les faillites technologiques qui affectaient, par exemple le système de traduction ou les ordinateurs servant à enregistrer les participants, tout a contribué à une remarquable solidarité et a démontré une immense capacité à s’organiser de façon autonome et de profiter du système SMS et téléphone cellulaire, éprouvé par les Egyptiens.

Un militant palestinien a souligné au cours de la réunion du CI que bien qu’il ait tiré un immense plaisir à participer au forum et estime celui-ci le meilleur de tous ceux auquel il a participé, c’est la solidarité entre étrangers qu’il a le plus apprécié. Il a continué : ’Si nous ne pouvons nous entraider lorsque c’est la crise (ou lorsque nous ne trouvons pas la salle où l’atelier auquel nous voulons participer) quand pourrons-nous démontrer la richesse de notre solidarité ? Et ’’distribuer des responsabilités et désigner des coupables est quelque chose à quoi on doit s’adonner avec prudence afin d’éviter les dynamiques qui divisent.’’

Beaucoup ont réfléchi à ces propos et les considérations sur les faiblesses du Forum sont devenues des réflexions raffinées sur les causes et les responsabilités et sur les critères d’évaluation des résultats et de l’impact, selon des termes compatibles avec les valeurs de FSM

Confiance et transparence

Mais quelles ont été les critiques et à qui s’adressaient-elles ? Il y a une préoccupation croissante parmi les militants internationaux à propos de domaine qui dépassent la logistique. Beaucoup de membres du CI ont exprimé leurs soucis quant au processus décisionnel, la transparence, la collégialité, la collaboration entre les différentes structures de l’architecture organisationnelle de FSM. D’autres ont estimé que l’espace de travail dans une organisation comme le FSM, avec son CI, ses commissions, ces groupes de liaisons et le comité d’organisation du groupe local (Sénégal) ne sont pas toujours faciles à évaluer.

Nombreux ont été ceux mécontents de l’invitation faite à Evo Morales, qui est contraire à la Charte parce que le compañero Presidente Evo est un chef d’Etat. Mais l’attention s’est surtout portée, au-delà de cette question spécifique, sur le processus décisionnel. Il était impossible de comprendre par qui et comment cette décision a été prise, comme de savoir qui a invité l’ancien président brésilien Lula à parler en même temps que se déroulaient d’autres activités (ce qui contredit des directives précédentes sur lesquelles on s’était accordé), ou le président sénégalais qui était très enthousiaste, et a choisi d’expliquer qu’il n’avait rien à voir avec ce Forum et s’est empressé de délivrer un discours néolibéral.

Les critiques se sont faites plus acerbes le premier matin de la réunion du CI et nombre de membres ont protesté énergiquement parce que le CI n’était pas au courant des décisions organisationnelles prises par le comité local d’organisation et qu’aucune commission du CI n’a été autorisée à contribuer à l’élaboration et à l’implantation du programme final. Des membres ont affirmé que la Commission de méthodologie s’est réunie à Dakar avant le forum, mais aucun membre africain n’y a participé. Il en va de même de la Commission des stratégies. Un membre du Comité d’organisation sénégalais a expliqué que la séparation entre ces divers organismes était due à des luttes de pouvoir qui n’ont pas été identifiés et qui empêche une collaboration efficace. Un membre de la Commission communication de la CI s’est plaint qu’après 4 semaines de travail au Sénégal elle n’avait pas de contact avec les journalistes qui étaient empêchés d’arriver jusqu’à elle.

La frustration accumulée a pu exagérer le degré de séparation entre les organisateurs locaux et leurs partenaires internationaux. Des commentaires ont été faits dans une rhétorique flamboyante afin d’impressionner l’audience dans des domaines dont l’importance était généralement reconnue. Les commentaires du Palestinien, mentionné ci-dessus, peuvent avoir contribué à ramener une certaine sobriété dans le propos, et une certaine détente. Une façon alternative d’évaluer le forum de Dakar pourrait s’avérer plus fructueuse pour tous. C’était, après tout, une conviction partagée que les espaces collectifs pour la prise de décision étaient nécessaires pour aider les militants à aborder des problèmes auxquels seuls ils ne pouvaient pas faire face.

Il était donc nécessaire de considérer comment favoriser ces espaces et, plus important, accepter que les dysfonctionnements de Dakar (pour des raisons diverses et liées aux désirs et à leur culture politique) étaient dus à une responsabilité collective. J’ai perdu le compte de combien de fois on a mentionné ‘responsabilité collective’ dans cette réunion du CI. Il me semble que c’est devenu un mantra, un exorcisme du potentiel de conflits et de division qui désignait le comité d’organisation local comme responsable de tout ce qui n’a pas été à la hauteur des attentes des militants.

Plus tard un membre éminent du comité d’organisation local, qui avait auparavant essayé d’expliquer, avec certains de ses collègues, les complexité de la politique sénégalaise, les singularités de la culture organisationnelle du gouvernement et de l’université, qui ont été la cause principale de la confusion et du chaos logistique, a terminé en présentant des excuses à tous ceux qui n’ont pu répondre aux attentes de leurs invités et a reconnu que des erreurs ont été commises.

Il n’a pas fallu longtemps à tous les membres pour se souvenir des nombreuses erreurs commises lors de précédents forums et quelques-uns m’ont plus tard dit qu’encouragé et par la qualité et la profondeur de la discussion (qui était supposée n’être rien de plus qu’une évaluation préliminaire du Forum de Dakar) ont suggéré que la méthodologie du FSM pourrait reformuler le terme ’’échec’’ et proposer à la place l’idée d’une forme différente d’apprentissage.

Mais peut-être n’est-ce pas aussi simple. C’est comme si des années de bonne volonté et de militantisme partagés permettaient d’effacer les journées de plaintes et de frustration par de sincères excuses et la suggestion que la responsabilité était partagée. Il y a d’autres conflits, peut-être plus profond, plus inconscients qui soutendent les difficultés de l’architecture organisationnelle globale du FSM. Des directives pour l’organisation de manifestions ont été adoptées de façon consensuelle, les contraintes liées aux ressources sont bien connues de tous les différences idéologiques et politiques largement reconnues. Tout semble en ordre.

Alors que manque-t-il ? Pourquoi y a-t-il eu ce sentiment puissant qu’un gouffre s’était ouvert entre les organisateurs locaux et les partenaires internationaux ? Pourquoi ai-je eu ce sentiment de déjà vu lors des précédent FSM qui m’ont remis en mémoire les difficultés qu’il y a à négocier avec les cultures locales, dans des contexte politiques donnés et les intérêts politiques de ceux qui convient et des partenaires internationaux.

Il semble que les organisateurs, confrontés à la réalité se trouvent mis sous pression par leurs partenaires qui leur rappellent que leurs rêves sont sans limites et qu’ils n’acceptent pas facilement le chemin rocailleux qui mène à la réalisation de la vision du FSM. La division n’est pas nécessairement entre ‘eux’ et ‘ nous’, mais bien plus entre la réalité et les aspirations. Les encouragements par les partenaires internationaux peuvent s’avérer très utiles en plus d’être un témoignage de confiance, en particulier lorsque les choses ne sont pas faciles à déchiffrer. A Dakar il y a eu beaucoup de ces choses mais pas plus que dans les autres endroits où le FSM a tenu sa réunion.

D’un point de vue plus abstrait, la contradiction apparente entre les appels pour la transparence d’une part et la confiance d’autre part, cher au discours néolibéral, pourrait bien se trouver incarné dans le militantisme du FSM

Quelle prochaine étape pour le processus du FSM ?

Quelques heures, après le début de la réunion du CI, ont été consacrées à la question de l’endroit de la prochaine conférence globale ainsi qu’au programme pour les années à venir. Il y avait trois candidatures pour la prochaine manifestation mondiale : Montréal, Porto Allègre et St- Jacques de Compostelle. Mais la question était de savoir si l’on voulait que le forum se déplace vers le Nord.

Certains ont suggéré que le FSM devrait larguer les amarres et revendiquer l’entièreté du monde. Il a aussi été dit que le FSM devrait se rendre là où le néolibéralisme a sa base institutionnelle et sociale. Un autre participant au CI pense qu’il est essentiel que le FSM se manifeste dans les endroits d’où est partie la civilisation actuelle qui a généré la crise et la destruction du monde au risque de l’annihiler. J’ai vu quelques-uns des anciens camarades ricaner au souvenir de débats douloureux concernant la priorité qu’il convient de donner respectivement à la lutte contre le monde capitaliste versus la lutte pour ces endroits où le capitalisme marche dans les pas des pionniers de l’impérialisme et j’ai vu des femmes frissonner à l’idée des débats entre les féministes stratégiques du Nord versus les féministes tacticiennes du Sud. Je suis persuadé que les militants qui suggéraient un déplacement vers le nord n’avaient à l’esprit qu’un véritable désir de globaliser la solidarité, au-delà de frontières géographiques.

Un argument irréfutable a été avancé par un militant indien qui résumait le sentiment de nombre d’entre nous. Un Forum en Europe ou au Canada serait très utile pour établir de nouvelles formes de solidarité qui pourraient s’ancrer sur des bases nouvelles. Une telle solidarité ne serait pas construite entre des acteurs liés par des relations sociales de domination et d’exploitation dans laquelle les militants ne seraient pas impliqués, mais lutteraient aussi bien contre le Nord que le Sud, mais entre des individus totalement autonomes qui souligneraient le désir de lutter ensemble pour l’émancipation collective.

Quelqu’un a suggéré qu’un forum en Europe pourrait aider un processus et un mouvement défaillant qui luttent pour résister aux mesures d’austérité qui affligent les secteurs les plus vulnérables de la population, en raison de la crise générée par une minorité avide et irresponsable. En Amérique du Nord et en particulier aux Etats-Unis, les FSM semblent bénéficier de moments stimulants suite au fructueux USSF (Forum Social des Etats Unis). Un forum à Montréal, une région qui a produit deux forums sociaux très réussis et une mobilisation impressionnante contre les Accords de Libre Echange (parmi d’autres), pourraient contribuer à la dynamique et consolider l’organisation et renforcer la confiance des militants

Il y a évidemment une contrainte majeure qui doit être gardée en mémoire, si on veut un forum réellement global dans le Nord : les visas. Plusieurs militants du Sud ont rappelé à chacun leurs expériences frustrantes résultant d’une mobilité restreinte. Si ces aspects ne sont pas considérés, on ne peut envisager un forum à Montréal ou à St Jacques de Compostelle ou ailleurs dans un pays du nord. La question des visas n’est pas la seule. Selon des militants européens, l’Europe n’est pas prête à accueillir un FSM et une telle manifestation ne peut être imposée à des hôtes récalcitrants.

Mais avant 2013, il y a 2012 et ce qui reste de 2011. Selon la tradition qui veut consolider l’alternance des manifestations mondiales et la décentralisation des actions, des forums thématiques, régionaux et locaux auront lieu dont certains ont été annoncés à Dakar. Il semble y avoir deux tendances complémentaires dans le processus de FSM qui atteignent des nouvelles aires géographiques et approfondissent le forum thématique.

La mission du FSM n’est pas de diriger, mais d’anticiper les humeurs, de déchiffrer les tendances du militantisme global et de fournir un espace où ces organisations et mouvements peuvent se rencontrer et construire sur des priorités communes. Le mois prochain, il semble qu’il y aura une tendance convergente vers Rio+ 20 qui discutera des modèles de développement actuels et alternatifs et l’augmentation du nombre de changement de régime au Maghreb et Mashreq dont les conséquences auront un impact global et pourrait grandement inspiré et transformer le militantisme.

Parmi les activités à venir au cours des prochains mois il y a un forum sur la souveraineté alimentaire qui aura lieu en Haïti, un forum pour la solidarité avec les Palestiniens qui se déroulera au Brésil et un Forum social de l’Asie du Sud en novembre au Bangladesh.

* Giuseppe Caruso - Centre d’excellence dans la recherche pour la Gouvernance Globale (Centre in Global Governance Research) - Université d’Helsinki - Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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