Objectifs de développement du millénaire : Un quart de siècle de leurres
L’échec dans la course pour les Odm est un constat évident. Tout aussi évident est le fait que les 8 objectifs, 18 cibles et 48 indicateurs ne pouvaient s’aligner pour faire le développement. Développer un pays part d’un substrat plus fondamental que les seules statistiques ne sauraient circonscrire.
Les Nations Unies s’étaient données vingt-cinq ans pour vaincre le sous-développement. Huit Objectifs de développement du millénaire (Odm) avaient été définis, dont l’atteinte devait permettre de sortir l’humanité de cette désastreuse situation qui enfonce une importante part d’elle-même dans le manque du minimum vital. Dans cette édition spéciale, Pambazuka et AfricAvenir (www.africavenir.org) analysent ce quart de siècle d’initiatives dont les résultats, pour la plupart, témoignent d’un échec. Aujourd’hui il est question dans se lancer dans les Objectifs de développement durable (Odd) et les perspectives ne sont pas meilleures.
L’échec des Odm était lisible. Il y a une dizaine d’années, à mi-parcours de la course pour les atteindre, un Forum tenu à Dakar par les Nations Unies constatait la difficulté, voire l’impossibilité de remplir l’agenda. En Afrique de l’ouest, seuls 15% des objectifs avaient été alors réalisés. Les attentes étaient à 40% et les espoirs de remplir le gap faible. Représentant régional du Programme des Nations Unies pour le développement à Dakar, M. Ahmad Rajaoui confiait : «Au niveau de l'Afrique de l'Ouest, d'aucuns avancent le chiffre de 17 milliards de dollars, pour ce qui reste de la période allant jusqu'à 2015, alors que le processus a démarré en 1990. Nous donc sommes presque à mi-parcours. Quelque 17 milliards répartis sur seize pays, cela fait un peu plus d'un milliard par pays sur douze ans. Ce n'est pas énorme. C'est à la portée des pays et de leurs partenaires. (Mais) il est difficile d'être optimiste. Parce que quand on voit le bilan depuis 1990, on constate qu'on a atteint que 12 à 15% des objectifs, alors qu'on devait être à 40%. Afin de garder un bon cap aujourd'hui, il faut atteindre au moins 7 à 8% de taux de croissance et la plupart des pays africains sont très loin de ces estimations.»
Ce taux de croissance exceptionnel, l’Afrique a pu l’atteindre dans la période des années 2000 à 2010, la pauvreté n’a pas bougé d’un iota. Les inégalités sont toujours plus fortes sur le continent, la misère encore plus grande. Les conflits qui déchirent l’Afrique (Boko Haram, le Mali, l’Afrique du Nord, etc.) n’en sont pas la cause ; ils ne sont qu’une des conséquences du manque de minimum vital dans lequel sont plongés les Africains.
L’échec dans la course pour les Odm est un constat évident. Tout aussi évident est le fait que les 8 objectifs, 18 cibles et 48 indicateurs ne pouvaient s’aligner pour faire le développement. Développer un pays part d’un substrat plus fondamental que les seules statistiques ne sauraient circonscrire. On vit en Afrique tout le contraire de ce que les Nations unies dessinaient comme tableau. Dans leur schéma basé sur la croissance et ses effets, les richesses qui s’accumulent au sommet sont appelées à déborder pour toucher les populations au bas de l’échelle dans le respect des fondements du néolibéralisme.
Sur cinq des huit Odm, les retards sont constants en Afrique. Il s’agissait de réduire la pauvreté, elle n’a diminué que de 40,1 à 39,7% dans les cinq dernières années en Afrique. L’échec est tel qu’on ne parle plus de combattre la pauvreté, mais de lutter contre l’extrême pauvreté. Dans le glissement sémantique, on note tout l’échec des institutions de «développement» comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international.
Le développement ne se décrète pas. C’est le fruit d’un processus dans le reflet des aspirations d’un peuple. Il s’exprime en toute liberté à partir d’une quête d’identité meilleure. Conçus dans le créneau du néolibéralisme, les Odm ne pouvaient viser une réécriture de la carte économique mondiale, en faisant sortir les pauvres et les démunis de l’ornière. On s’est plutôt installé dans un développementalisme dont la futilité a marqué le destin des populations africaines.
A quoi cela revient-il de réduire de moitié le pourcentage des populations vivant sans accès à l’eau potable, quand d’autres impératifs liés à l’alimentation ne sont pas remplis ? Qu’en est-il du renversement de la perte des ressources naturelles, aujourd’hui que l’accaparement des terres suit les appétits des multinationales, laissant en rade une économie familiale qui nourrit jusqu’à 70 % des populations dans les pays du sud ?
Dans leurs intentions en matière de développement, les Nations unies ont négligé plusieurs paramètres. D’une part l’importance et de la croissance influente des multinationales dans l’économie mondiale, mais aussi les soubresauts du marché financier mondial et les crises multiples (alimentaires, économiques, systémique, etc.) qui ont bouleversé les repères et plongé nombre de pays du sud en état de dépendance continue.
Arrimée à la logique de l’aide, les Odm, dans leur nature comme dans leur conception, ont perpétué la dépendance de l’Afrique. Les autres stratégies économiques, à l’instar des documents de stratégie de réduction de la pauvreté ne leur ont pas toujours été complémentaires. Pas plus que le cadre dressé par les accords de partenariat économique ne sont pas pour une émergence durable du continent. Imposés par la Banque mondiale pour les premiers, cultivés par l’Union européenne pour les seconds, il ne s’agit là que de quelques uns des cadres entre lesquels les pays africains sont, par exemple, appelés (forcés) à inscrire leurs destins.
Les Odm traduisent la même logique de domination sur des populations dont les capacités à penser et à conduire le développement ont été niées. Sur un continent où certains économistes soulignaient qu’une forte croissance économique pouvait créer les conditions d’avancement nécessaires à la rupture d’avec l’état de manque, cet effort économique, dans un continent qui comptait six des dix économies les plus performantes au monde entre 2000 et 2010 (6 à 10 % de taux de croissance) n’a fait que renforcer les inégalités qui divisent et élargissent les fossés entre riches et pauvres.
Les Odm n’ont cependant pas été une camisole de force. Ils n’ont pas été parachutés pour être imposés. La société civile africaine a même été impliquée dans leur conception. Mais cette implication a davantage été une entreprise de validation que d’écoute d’opinions contraires et critiques, à travers la remontée des préoccupations réelles des populations.
Au fur et à mesure que l’échéance des Odm se précise et que l’incapacité à les atteindre laisse planer un sentiment d’échec, l’impératif d’une nouvelle approche s’impose. Depuis quelques années l’échec des Odm est discuté en même temps qu’on s’interroge sur les nouveaux paramètres à partir desquels repenser le développement.
L’interrogation n’est pas simple. Comment satisfaire les ambitions du plus grand nombre dans une Afrique où les 70% des populations vivent en milieu rural, la majorité étant des femmes ? Leur vécu ne rime pas avec une négation de la modernité. Mais leur besoin est surtout dans la recherche de l’équité dans les pouvoirs qui structurent la société. Pouvoir de décision, affirmation dans l’espace public, accès à la possession foncière, etc., constituent quelques-uns des paramètres dont la redéfinition ouvre les portes d’un vrai changement de paradigmes. D’autres paramètres existent encore.
Avec cette édition spéciale, Pambazuka News et AfricAvenir posent un regard sur vingt-cinq ans durant lesquels les pays africains ont fait de l’atteinte des Odm une quête effrénée, misant plus sur les indicateurs que sur les hommes. Certains ont maquillé des chiffres pour alimenter les discours. D’autres ont aligné des promesses que «l’engagement national» ne pouvait jamais atteindre, ne pouvait jamais ancrer dans la durabilité.
Durabilité… Le mot et lancé.
Devant les 17 Objectifs de développement durable (Odd) à partir desquels la communauté internationale cherche à transformer la vie des populations laissées en marge, les contributeurs à cette édition posent le débat.
Des Odm aux Odd, la trame n’a donc pas changé, note Bayo Ogunrotifa. Selon lui, «les prémisses qui sous-tendent le développement demeurent inchangées (…). Les propositions des Odd, comme programme de développement, sont fondées sur la modernisation et l’approche néolibérale». En somme, on fait encore une fois fausse route.
Les intitulés ne trompent pas. Les Odd incluent beaucoup d’aspects que les Omd avaient exclus de leur catalogue développementaliste, mais on n’est pas toujours loin du sentier néolibéral. Et Boniface Mabanza rappelle une nécessité : «Le nouvel agenda doit prendre en considération qu’il n’y a pas besoin de développement dans sa compréhension classique, mais une exigence pour de réels changements qui correspondent aux diverses nécessités locales» («Le regard de la société civile africaine sur le fossé entre affirmations et réalité dans le discours global du développement ou la nécessité d’une révision radicale»).
Simon Kaboré et Bertrand Livinec ajoutent qu’il appartient à «chaque pays africain (de) tracer sa voie de manière souveraine, en misant d'abord sur ses forces internes et ses propres priorités» et qu’il revient de ne «faire preuve d'aucune naïveté sur les stratégies suggérées» (« Post-Omd de Santé en Afrique : miser sur une vision holistique de la santé, cohérente, transparente, sociale et souveraine»).
On retiendra également dans cette édition de Pambazuka News, ce que Rogate Mshana soutient en disant que «si la deuxième génération d’objectifs de développement doit réussir, elle doit comprendre que l’injustice est la cause principale de la pauvreté» («Des objectifs du développement durable à une économie d’objectifs pour la vie pour l’Afrique»). La prise en compte de cet idéal de justice doit inclure les ruptures nécessaires pour fonder les idées et les pratiques de changement sur le continent.
L’universalité des Odd ne doit pas signifier la négation des particularités des différents pays. Les Odm ont nié l’existence du Plan de Lagos élaboré en 1986. Aujourd’hui encore, les Odd passent sous silence le document de l’Union africaine «L’Afrique que nous voulons dans le futur : Agenda 2063, vision et priorités». Peut-être que les Africains qui participent à ce débat sauront retrouver les chemins de leurs véritables priorités.
Ps : Trois articles en anglais ont été publiés dans cette édition. Le premier, «Sustainable Development: Challenges and opportunities of an unfinished journey», paraîtra dans l’édition anglaise prochaine de Pambazuka News. Les deux autres, «From MDGs to SDGs: Indigenous African women as missing link» et «The MDGs as part of the hegemonic discourse - A contextualization», ont été repris de l’édition anglaise de la semaine dernière.
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** Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News - Karenina Schröder est coordinateur de projet à AfricAvenir
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