Obligatoire, pas volontaire : Engager la responsabilité des entreprises canadiennes commence au Canada
Dans un article qui souligne les lenteurs du gouvernement canadien et ses entreprises à répondre aux appels pour le respect de l’écologie et des droits humains dans les industries minières, Ian Thomson décrit les efforts de divers groupes de la société civile pour attirer l’attention sur les actions des compagnies minières canadiennes en Afrique. Face à ces défis importants, il note que les avancées dans ce domaine viendront des actions des organisations de la société civile africaine, en solidarité avec leurs pairs au Canada. Une solidarité qui poussera les entreprises canadiennes à se sentir de plus en plus responsables dans l’avenir.
Un de mes amis voyageait en Afrique il y a quelques années. En présentant son passeport au bureau à la douane, il se voit ainsi interpellé : «Alors, vous êtes prospecteur ?». Il sourit. Il est probable qu’un Blanc d’âge mûr venant du Canada et qui débarque en Afrique est vu comme employé dans le secteur minier. Pour cette fois, on n’était pas loin de la vérité. En fait, il travaillait pour mon organisation, KAIROS, une agence d’églises canadiennes qui travaille à développer un partenariat avec les activistes miniers et les communautés touchés par les entreprises minières canadiennes en Afrique.
KAIROS est loin d’être isolé. Des syndicats, des groupes religieux, écologistes, groupes de défense des droits humains et d’autres organisations de la société civile au Canada ont été, pendant ces dernières années, à la tête d’une campagne destinées à tenir responsables les entreprises canadiennes pour leurs actes dans les domaines de l’environnement et du respect des droits humains, à un niveau international.
En réponse à la pression publique et à un rapport alarmant d’un comité parlementaire adopté en juin 2005, le gouvernement canadien a été hôte d’une série de tables rondes sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et l’industrie extractive dans les pays en développement. Pendant un an, ce processus a réuni des représentants de l’industrie, des experts en matière de Droits de l’homme, des universitaires, des organisations de la société civile et des investisseurs, pour débattre de la manière dont le Canada pourrait favoriser des pratiques plus responsables dans ses opérations minières, dans les domaines du gaz et du pétrole, à l’étranger.
Des groupes de la société civile ont formé le Canadian Network on Corporate Accountability (CNCA - Réseau canadien sur la révision de comptes des entreprises) pour s’impliquer dans le processus de ces tables rondes. Le CNCA réunit des ONG, des églises et des syndicats, appelant à plus de mécanismes de révision des comptes au Canada et de réglementation des activités à l'étranger des entreprises canadiennes. Le cri de ralliement pour le Réseau a été «Obligatoire et pas volontaires». Les codes de conduite volontaires ont été considérés comme un échec dans le secteur extractif, une situation qui a rendu nécessaire une intervention gouvernementale pour assurer que les normes internationales soient respectées par les entreprises canadiennes à l’étranger.
En mars 2007, suite aux tables rondes sur la RSE, un rapport des travaux de consensus politique, portant 27 recommandations, a été présenté au gouvernement canadien. Le rapport contenait une nouvelle proposition pour un cadre révisé, faisant de la RSE sa pièce maîtresse. Le cadre repose sur des normes de RSE pour les sociétés minières d’outre-mer, des exigences en matière de rapports, d'extraction et l’institution d'un médiateur pour recevoir les plaintes des parties qui souhaitent signaler des cas de non-respect des normes. S'il est adopté, le cadre de la RSE mettra le Canada à l'avant-garde de la responsabilité des entreprises dans ce secteur.
Le cadre devrait bénéficier de l'appui du gouvernement pour pousser le secteur minier au respect de normes de la RSE. Par exemple, les ambassades et hauts-commissariats à l'étranger jouent souvent un rôle essentiel dans l'ouverture des portes à des compagnies minières. Dans le nouveau cadre, ils devront juger de la conformité aux normes sociales et environnementale des entreprises aux normes de la RSE et offrir quelque chose de plus que le minimum des services consulaires à la disposition de tous les citoyens canadiens. De même, un soutien diplomatique ne serait pas renouvelé à des projets qui se trouveraient à violer les normes édictées.
Il en serait de même du financement par les organismes publics comme Exportation et développement Canada (EDC). Société d'Etat apparenant entièrement au gouvernement du Canada, l’EDC a facilité l’allocation de 22 milliards de dollars canadiens au secteur de l'exploitation minière, du pétrole et du gaz à l'échelle internationale à travers des financements et des activités d'assurance, en 2007. Ces opérations seraient soumises à enquête par le médiateur du projet d'extraction.
Toutefois, le gouvernement canadien, sous la direction du Premier ministre Stephen Harper, n'a pas encore adopté les recommandations de la table ronde ou même émis une réponse officielle à ce processus.
S’il a aidé l'association des compagnies minières «juniors», la Prospectors and Developers Association of Canada (PDAC - ACPE), a participer au processus des tables rondes, on a vu celle-ci se retourner contre les recommandations de la table ronde, et commencer à faire pression contre quelques-uns des principaux points de politique générale. Devant une telle attitude, il est possible que le gouvernement ait perdu toute volonté politique d'appliquer même une recommandation modeste des tables rondes.
Pourquoi modeste ? Parce que le consensus de la table ronde ne représente qu'une première étape vers une plus grande responsabilité pour les entreprises minières canadiennes opérant à l'échelle internationale. Certains éléments cruciaux d'un solide cadre de responsabilisation, tels que les mécanismes juridiques visant à tenir les entreprises canadiennes responsables de complicité dans les violations des droits humains au plan international, n’ont pas été inclus dans les recommandations consensuelles. En outre, la nécessité d'obtenir le consentement libre, éclairé, et préalable des communautés à l'élaboration de projets d'exploitation minière est mentionnée dans le rapport final des tables rondes comme une question controversée qui ne pourrait pas obtenir le consensus de toutes les parties prenantes.
Il est instructif de se pencher sur ces deux questions controversées - la responsabilité juridique et le consentement de la communauté - dans le contexte plus large de la politique étrangère canadienne. L'absence de mécanismes de révision des comptes au Canada, pour les activités des entreprises à l'étranger, n’a laissé aux communautés touchées que quelques options de recours à la justice pour demander réparation. Dès lors, des voies plus directes sont recherchés. Par exemple, l'Église presbytérienne du Soudan poursuit actuellement le Canada Talisman Energy devant les tribunaux des États-Unis pour sa complicité présumée dans des violations de droits humains commises dans le cadre de l’exploitation pétrolière au Soudan. Pourquoi dans les tribunaux américains ? Parce que les pays étrangers peuvent porter plainte au civil contre des sociétés enregistrées aux Etats-Unis dans le cadre d'une loi peu connue appelée l'Alien Tort Claims Act (ATCA). (Talisman a également des opérations aux Etats-Unis).
Le gouvernement du Canada a fait tout pour appuyer Talisman afin que l'affaire soit rejetée. L'ambassade du Canada à Washington a même assuré la liaison avec le Département d'État américain, pour exercer une pression politique sur l'affaire. Par contre, s’il y a une chose que le Canada n'a pas fait, c'est d’ouvrir une porte pour les cas soient portés devant les tribunaux canadiens en adoptant une législation similaire à l'ATCA. Cette année, un projet de loi a été présenté à la Chambre des communes pour établir une telle disposition, mais elle a été rejetée dès son évocation en septembre 2008.
La reconnaissance du droit d’une communauté au consentement libre, préalable et informé (CPI) est un défi peut-être même plus grand. Bien que le terme «vide politique» pourrait mieux décrire l'état de la responsabilité juridique au Canada, «l'hostilité pure et simple» permettrait de mieux saisir la position du gouvernement concernant la reconnaissance internationale des droits des peuples autochtones. En 2007, lorsque la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones était en cours d'achèvement, le Canada a dirigé la charge pour bloquer son adoption. La Déclaration a finalement été adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2007, contre la volonté du Canada et une poignée d'autres nations. L'opposition du Canada à la Déclaration semble liée en grande partie à des préoccupations sur les ressources naturelles, au contrôle des richesses minérales et des réserves de pétrole dans le nord de notre pays.
Il est clair qu'il sera difficile de convaincre le gouvernement qu'il est du mauvais côté de l'histoire sur cette question particulière, et que la réconciliation avec les peuples autochtones au Canada ne pourra jamais se produire alors que leurs droits sont systématiquement niés. Heureusement, les trois principaux partis d'opposition au Parlement du Canada appuient la Déclaration des Nations unies et continueront de faire pression sur le gouvernement pour le faire revenir sur sa position. Pour le Canadian Network on Corporate Accountability (CNCA), le droit des peuples autochtones, y compris la nécessité d'obtenir le consentement libre, préalable et informé des communautés à la première étape d'un projet, doit être inclut dans quelque norme de la RSE qui s'applique à l'industrie extractive, si elle veut être crédible et efficace.
Des groupes de la société civile ont également maintenu la pression sur le gouvernement, afin d'élaborer et de mettre en œuvre les mesures de responsabilisation des entreprises pour le secteur des industries extractives, depuis que les tables rondes sur la RSE ont été conclues à la fin de 2006. Par exemple, lorsque le Premier ministre Stephen Harper se rendait en Tanzanie, en novembre 2007, le CNCA a souligné le fait qu'il a mis davantage l'accent sur la rencontre avec Barrick Gold, le géant de l’or de Toronto, qu’avec la société civile tanzanienne préoccupée par l'impact du contrôle étranger des opérations minières dans son pays. Depuis la visite de Harper, la société civile canadienne a continué d'enquêter sur la façon dont le haut-commissariat Canada en Tanzanie pourrait interférer dans les tentatives de réforme du code d'exploitation minière dans ce pays.
En juillet 2008, Africa-Canada Forum (ACF), une coalition d'ONG canadiennes dont le travail se concentre sur l'Afrique, a écrit au ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, exigeant de savoir ce que le Haut-commissariat du Canada a fait dans le cadre du processus de réforme de l'exploitation minière en Tanzanie. Cet automne, l’ACF a eu des réunions de suivi avec des représentants du ministère des Affaires étrangères, appelant le Canada à ne pas s'immiscer dans les décisions concernant la fixation des redevances et des régimes de partage des recettes en cours d'examen par les législateurs en Tanzanie. Le CNCA a eu connaissance d'un schéma de l'ambassade du Canada et des interventions du haut-commissariat lorsque les pays en développement tentent de réformer leurs codes miniers pour obtenir une plus grande tranche de bénéfices ou d'introduire des réglementations environnementales et sociales plus fortes.
Le seul changement de politique concrète sortant du processus des tables rondes de 2006, a été l’approbation de la Extractive Industry Transparency Initiative (EITI), une initiative longtemps attendue. Parrainée par le gouvernement britannique, cette initiative mondiale encourage les pays du Sud riches en ressources et les entreprises d'extraction de faire des rapports sur les redevances, taxes et autres recettes de manière publique. La transparence des revenus dans le secteur des industries extractives est en grande partie une mesure anti-corruption, mais elle pourrait potentiellement être exploitée par des groupes de la société civile dans le Sud, qui pourraient essayer d’assurer que leurs gouvernements tiennent compte de la façon dont des ressources d’un pays sont alloués. Le Canada a été un retardataire, mais a finalement signé l'EITI en 2007.
La transparence des revenus est un objectif que le Canada peut maintenant soutenir, mais quand les pays du Sud exigent plus de part des recettes, nos diplomates considèrent que leur travail doit plus porter sur la conservation d’un plus grand écoulement des richesses vers le Canada, semble-t-il. Les leçons de tables rondes sur la RSE seront ruinés par le service extérieur canadien, si nous continuons à voir cette tendance se perpétuer.
La clé de décryptage de l’impasse législative au Canada sera sans doute de forger plus d’alliances Nord-Sud quant aux responsabilités des entreprises. Les luttes dans les pays du Sud pour gagner le respect des droits des autochtones, pour maintenir les revenus des ressources naturelles au profit des populations locales et pour s’opposer aux projets miniers destructifs pour l'environnement vont continuer à croître. De même, les efforts déployés par les Canadiens au Canada pour établir des mesures de la responsabilité des entreprises et pour contrôler les activités extractives d'outre-mer s'appuieront sur la force et la conviction des partenaires du Sud, partenaires qui peuvent communiquer leurs exigences et les cas vécus à la population du Canada et à nos dirigeants élus.
Lorsque de plus en plus Canadiens en sauront de l'impact des entreprises canadiennes dans le monde en développement, ils réclameront des mesures pour réglementer ces pratiques et mettre fin aux violations des Droits de l'homme et des normes écologiques. Qui sait, un jour, les Canadiens pourraient même être en mesure de voyager à l'étranger sans être pris pour des prospecteurs et des pillards.
* Ian Thomson est coordinateur du Corporate Social Responsibility Program de KAIROS (Canadian Ecumenical Justice Initiatives), un organisme qui réuni 11 églises canadiennes et agences religieuses travaillant pour la justice et la paix. Thomson est aussi le président du Canadian Network on Corporate Accountability. (www.kairoscanada.org)
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