Parlements africains : La voie ignorée de la raison

Le coût élevé du maintien de parlements composés de membres avides qui ne font qu’entériner des lois sans discussion, est un luxe que les économies africaines ne peuvent guère s’offrir. Cas du Kenya et du Nigeria

Les parlementaires kényans ont suscité l’indignation sur tout le continent, lorsque, en dépit des myriades de problèmes qui affligent le Kenya, ils ont approuvé une augmentation de leur bénéfice à la fin de la session du parlement en janvier. Affirmer que l’économie kényane, grevée par une coûteuse guerre contre le terrorisme en Somalie, est en difficulté, c’est peu dire. Mais c’est le cadet des soucis des parlementaires. L’économie qui se débat doit encore être plombée par le coût élevé des ces derniers, afin de soutenir un style de vie inadéquat. Une loi est une loi, en particulier si elle émane de personnes qui sont supposées servir la population. Fort heureusement le président Mwai Kibaki a rejeté l’octroi des bénéfices aux parlementaires.

Un dirigeant africain qui n’a pas trouvé drôle la tentative d’extorsion de fonds de la part des parlementaires à l’égard du peuple kényan, est le président Macky Sall du Sénégal. Il y a quelques mois, le président Sall a jeté un seul coup d’œil sur le bilan et a décidé que l’économie ne pouvait supporter deux Chambres au parlement. Convaincu que les intérêts du Sénégal seraient mieux servis avec une seule Chambre, et, par chance, n’ayant pas besoin pas besoin de l’approbation du parlement qui l’en aurait de toute façon empêché, il a simplement aboli la Chambre Haute du parlement, pensant qu’il pourrait ainsi économiser de l’argent plus utile aux projets de développement. Comme dans le cas du Kenya, son action "unilatérale" a fait pousser des cris d’orfraies. Mais à la différence du Kenya, ces cris ne sont pas venus des Sénégalais qui se débattent, l’homme de la rue, mais bien de ceux à qui profitaient le statu quo et qui, chose prévisible, considèrent ce geste comme dictatorial. Les nouvelles de Dakar, capitale du Sénégal, montrent une recrudescence de soutien en faveur du président.

L’ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, peut le mieux être décrit comme un voisin encombrant qu’on ne veut pas avoir à côté de chez soi. Même ses adeptes les plus convaincus reconnaissent que ses huit années au pouvoir ont été, pour ses compatriotes et les femmes, une erreur coûteuse et évitable. Mais comme tous les mortels, Obasanjo a aussi ses bons côtés. Une de ses principales contributions au Nigeria, qui ne peut être niée même par ses opposants les plus acharnés, consiste en sa robuste position, il y a deux décennies, pour un système parlementaire monocaméral. Le président Obasanjo a mis dans le mille lorsqu’il défendait, dans un de ces livres, qu’un système bicaméral, ou deux Chambres, est peu maniable et trop coûteux pour les pays du Tiers Monde. Malheureusement, à deux occasions, d’abord en sa qualité de dirigeant militaire et plus tard comme président élu, où il avait l’opportunité de faire la différence, il s’est abstenu. Plus douloureux encore, il a eu l’occasion de corriger la situation lors de son deuxième mandat en 1999, mais ne l’a pas saisie, gaspillant ainsi du temps précieux et de l’argent en tentant une prolongation de son mandat.

Il apparaît, selon les défenseurs du système parlementaire bicaméral, qu’une de ses vertus cardinales se situe dans l’équilibrage des décisions. Le sentiment général est que la Chambre Haute est constituée de gens réfléchis, capables de pondérer les excès supposés des juniors, têtes brûlées, de la Chambre Basse. Mais c’est là la fin de son attrait. En plus d’être un gouffre financier dans la plupart des parlements africains, le système bicaméral ne fait que dupliquer les rôles et les fonctions. Le Nigeria a deux Chambres qui, souvent, se chamaillent, avec une propension aux scandales à l’Assemblée Nationale où quelque 459 législateurs qui, selon le gouverneur de la Banque Centrale, Lamido Sanusi, dévorent un quart du budget national. Tout le monde sera d’accord pour dire que dans un pays de 160 millions de citoyens, dépenser le quart du budget national pour qu’une poignée de gens puisse mener un train de vie ostentatoire, au détriment de la vaste majorité des pauvres qui luttent pour la survie, est indéfendable.

Si la question de l’équilibre est un des principaux bénéfices du système bicaméral, peut-être qu’on devrait s’efforcer, dans le cadre du système monocaméral, d’atteindre un bon mélange entre gens pondérés et ceux supposés être des têtes brûlées. Dans le cas du Nigeria, le nombre présent de 350 districts électoraux peut être maintenu pour arriver à ce résultat. Au vu du coût inacceptable de l’Assemblée Nationale, ces législateurs fédéraux ne devraient être rétribués que pour un temps partiel, c'est-à-dire par session. Ceci est à peu près la seule façon d’attirer des professionnels au parlement, sans qu’ils aient à abandonner leurs activités et à embrasser la politique comme un commerce à plein temps ainsi qu’il en est aujourd’hui. Il devrait bien sûr y avoir des dispositions constitutionnelles à propos des groupes spéciaux ou sous-représentés comme les invalides, les femmes, les syndicats et les jeunes.

A moins de défendre l’abolition pure et simple des parlements africains - dont beaucoup sont composés de membres avides qui ne font rien de plus que d’entériner sans discussion des décisions - le système monocaméral, tel qu’il est en vigueur au Ghana et dans d’autres pays africains où les membres du cabinet sont des élus du parlement, est probablement la meilleure formule. L’intérêt de la solution ghanéenne tient dans le fait qu’elle crée des synergies, un sain arrangement qui permet aux ministres de répondre aux parlementaires quant aux problèmes de leur district, de tenir ces derniers informés de ce qui se passe au parlement et de représenter leur district lors des réunion de cabinet.

Bien qu’il y ait des instances au Ghana où certains anciens ministres estiment que le système est lourd et devrait être revu, il n’y a aucun signe qui montre qu’il soit sur le point d’être abandonné parce qu’il fonctionne. Ceux qui le critiquent devraient peut-être s’arrêter pour réfléchir au cas du Nigeria où des gens non éligibles sont récompensés par de juteuses positions au cabinet.

Outre la question du coût, un système monocaméral avec des dispositions en faveur des groupes spéciaux ou des groupes sous-représentés pourrait être rendu plus efficient si les parlementaires sont à temps partiel et reçoivent des jetons de présence. L’actuel arrangement parlementaire coûteux dans des endroits comme le Nigeria, où nombreux sont ceux qui voient le ticket vers l’Assemblée nationale comme la voie rapide vers la richesse instantanée, n’encourage pas les gens sérieux à se présenter à des élections : soit qu’ils ne peuvent pas trouver l’argent leur permettant de faire acte de candidature, soit parce qu’ils ne sont pas prêts à commettre les actes ignobles qui, paraît-il, animent ceux qui briguent un siège. Il se peut encore qu’ils refusent de renoncer à leur profession.

Quelle qu’en soit la raison, le système en vigueur au Nigeria exclut quelques-uns des meilleurs cerveaux dont l’expérience professionnelle pourrait enrichir les législatures. Si l’on considère que l’amour du lucre en a tenté plus d’un, au point de quitter l’école pour sauter dans les eaux troubles de la politique, on voit clairement la nécessité de revoir les priorités.

Le hic c’est que de nombreux parlementaires africains préféreraient suivre la voie ignoble des parlementaires kényans. Ceci pour la simple raison que de nombreux parlementaires africains, en particulier au Nigeria, placent la politique au cœur du business et promettent de combattre tout changement à l’ordre actuel des choses jusqu’à la proverbiale dernière goutte de sang. Raison pour laquelle les Africains, toujours à lutter pour la survie, vont continuer à gémir pendant longtemps sous le fardeau du coût de leurs parlementaires.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** * Abdulrazaq Magaji est journaliste, auteur et ancien enseignant en histoire. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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