Pour mieux comprendre la crise de Jos au Nigeria
La crise de Jos continue d’attirer l’attention et de susciter des commentaires à travers le monde. Mais les circonstances qui conduisent aux conflits qui ensanglantent régulièrement cette région du Nigeria n’est pas perçue dans ses causes réelles. Le facteur religieux qui est souvent mis en avant constitue une perception réductrice, constate Jerome Gefu, qui en cite d’autres. Pour lui, «les autres pays de la sous-région gagneraient à tirer des enseignements de l’expérience de Jos et à anticiper ce genre d’événement». Notamment en direction des jeunes désoeuvrés.
Le conflit persistant qui oppose les communautés dans l’État du Plateau remonte aux années 1990, où l’on a enregistré de très nombreuses victimes. Les raisons de ces affrontements vont au-delà des clivages religieux et ethniques, bien que clairement en rapport avec l’un ou l’autre de ces deux facteurs dans le temps et dans l’espace. Un certain nombre de cas isolés relèvent manifestement du conflit ethnique. En effet, la crise du Plateau tire son origine du facteur ethnique. Elle a commencé au sein d’une communauté établie dans les environs de Jos, dont les populations autochtones (les Birom/chrétiens) ont accusé la communauté allogène (en majorité des Haoussa-Foulani/musulmans) de s’emparer de leurs ressources, notamment la terre.
Par ailleurs, selon certaines langues, le groupe constitué par les Haoussa/Foulani se voyait refuser l’accès aux pâturages. En outre, dans la situation de conflit habituelle – qui est souvent favorisée par la lutte pour le contrôle des ressources – les deux groupes en présence avaient différentes revendications et contre-revendications faisant état d’intrusion ou d’empiètement démenti, selon le cas. Étant donné que l’État de Jos bénéficie de conditions climatiques favorables et d’un fort potentiel agricole propice à la production végétale et à l’élevage – en raison de sa végétation luxuriante, de la bonne pluviométrie dont il bénéficie et de son sol riche -, il attire les producteurs primaires des autres régions du pays. Enfin, avec la croissance rapide de la population, suite à l’afflux massif des agriculteurs et colons migrants, la pression sur les ressources s’est exacerbée.
Il va de soit, dans ces conditions, que les populations locales, qui voudraient avoir le contrôle de ce qu’elles considèrent comme leurs terres traditionnelles et ancestrales, feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour les soustraire à la mainmise des « étrangers ». En revanche, les colons (ayant vécu dans une localité pendant 3 à 5 années et mis en valeur des parcelles de terre spécifiques) ont tendance à revendiquer la propriété des terres, en dehors du processus traditionnel de cession.
Ce malentendu favorise souvent les conflits communautaires, ce qui se traduit par la destruction de nombreuses ressources et vies. Une crise qui a éclaté en 2001 et a duré jusqu’à 2004 a impliqué des éleveurs qui s’étaient vu dénier apparemment l’accès à un pâturage et forcés de se réinstaller dans l’État voisin de Bauchi. Pas plus tard qu’en décembre dernier, j’ai entrepris une étude sur ces communautés pastorales dans neuf localités différentes. Ces éleveurs avaient été réinstallés dans des réserves forestières au sein de neuf communautés, dans les deux circonscriptions administratives de l’État de Bauchi, sur l’initiative du gouvernement de l’État de Bauchi. L’intervention de l’État de Bauchi, qui a consisté à mettre à la disposition des éleveurs d’autres ressources fourragères, a contribué, dans une large mesure, à atténuer les effets de la crise… A telle enseigne que des coopératives de production, notamment au sein de la population des femmes éleveurs productrices de lait, ont vu le jour et connaissent un essor dans plusieurs communautés pastorales. L’on serait tenté de qualifier ce cas de retombée positive de la crise.
Dans le cas d’espèce, la crise a attiré l’attention sur les énormes potentialités inexploitées que recèlent les communautés pastorales. Toutefois, aucun lien direct ne peut être établi entre les conflits récents survenus dans la région de Jos et la lutte pour le contrôle des ressources, bien que cette dernière puisse en être une lointaine cause. La récente crise de Jos, survenue en janvier 2010, a été déclenchée par une attaque perpétrée contre une congrégation religieuse (catholique) un dimanche matin. Selon certains témoignages, les assaillants ont mis le feu à l’église, certainement dans le but de tuer les fidèles en plein culte. Ce conflit, pourrait-on dire, a une connotation religieuse. Cependant, il est difficile d’établir un lien direct entre le récent carnage – dans lequel ont péri des centaines de personnes (essentiellement des femmes et des enfants), assassinées de sang froid à l’aube – et la religion, comme l’affirment certains témoignages, selon lesquels les mutilations ont été perpétrées par des éleveurs foulani.
En revanche, il est possible d’établir un lien entre les récents événements et ceux de janvier. D’aucuns prétendent que le groupe haoussa/foulani avait subi beaucoup plus de pertes. Ainsi, cet assaut ne serait qu’un acte de représailles. Si cette théorie était pour le moins fondée, ce carnage risque de n’être pas le dernier, étant donné que les groupes rivaux peuvent de nouveau souhaiter régler leurs comptes. Ceci présage un redoutable défi sécuritaire, dans la mesure où il y a lieu de veiller à ce que les populations (de part et d’autre) puissent vaquer librement à leurs occupations, sans craindre d’être attaquées. Les forces de l’ordre sont sur le qui-vive afin d’éviter que pareil événement ne survienne, des agents de sécurité ayant été déployés dans les zones sensibles.
Compte tenu des dimensions spatiale, démographique et d’établissement, ainsi que des intérêts et besoins en question (en règle générale, les communautés partageant une vocation religieuse donnée vivent regroupées dans des zones bien définies), il est facile que des actes de représailles soient perpétrés. Raison de plus pour renforcer la sécurité avec du personnel n’ayant aucune sympathie particulière pour l’une des parties belligérantes. Déjà, des têtes sont tombées, car de hauts responsables gouvernementaux ont été limogés, suite à ce qu’il est convenu d’appeler une grave négligence sécuritaire. De nombreuses têtes sont tombées, dans la mesure où de très hauts fonctionnaires ont perdu leurs postes dans ce que l’on a appelé le manquement aux responsabilités en matière de sécurité.
Le Président par intérim, Jonathan Goodluck a pris les choses bien en main. Il a déployés les forces nécessaires dans le foyer de tension. Je vous invite à prier pour un retour rapide à la normale (non à la paix des cimetières). L’un des problèmes auxquels il y a lieu de s’attaquer dans le cadre des efforts visant à restaurer une sécurité durable dans la région est le « chômage», en particulier celui qui touche une population croissante de jeunes désœuvrés. Le chômage a entraîné la pauvreté, ce qui se traduit par la recrudescence de la criminalité en tant que stratégie pour assouvir les besoins humains basiques.
Les autres pays de la sous-région gagneraient à tirer des enseignements de l’expérience de Jos et à anticiper ce genre d’événement en veillant à ce que la population active (la jeunesse) participe aux activités de production, grâce à des programmes d’autonomisation et d’acquisition de compétences ciblant les jeunes. Que Dieu nous aide à comprendre que la vie est précieuse, quel que soit le niveau de pauvreté, voire de dénuement, et, partant, à éviter de poser des actes de nature à avilir l’humanité d’une manière quelconque. Que Dieu vous bénisse. Jerome (Zaria, le 10 mars 2010).
* Le professeur Jerome Gefu est membre de LandNet Nigeria
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