Pourquoi l’Ethiopie devrait ratifier le protocole de Maputo

L’Ethiopie a de bons antécédents a en matière de ratification de traités des droits humains, aussi bien au niveau international que régional, mais jusqu’ici ce pays hésite à ratifier le Protocole de Maputo. Faute de ce cadre légal qui offre la meilleure protection actuelles contre les inégalités dont peuvent souffrir les femmes, Fana Hagos Berhane déplore les conditions difficiles qui sont les leurs en Ethiopie.

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Gigi

Le Protocole de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et pour les droits des femmes en Afrique, plus connu sous le nom de Protocole de Maputo, adopté par l’Union africaine en 2003, à Maputo au Mozambique, est entré en vigueur en 2005. Ce protocole, comme la Convention des Nations Unies pour l’élimination de toutes formes de discrimination contre les femmes (CEDAW), a été ratifié par presque tous les pays africains et fournit un cadre légal de référence qui garantit le respect des droits humains de la femme : l’élimination de la discrimination et des pratiques néfastes, le droit à la vie et à l’intégrité physique, l’égalité dans la famille et des droits civils, le droit de participer au processus politique, la protection dans les situations de conflits armés, la protection des droits économiques et sociaux, le droit à la santé et à la sécurité alimentaire, etc.

Le protocole de Maputo a maintenant été ratifié par la majorité des pays africains qui se sont ainsi engagés à « garantir que les droits des femmes seront promus, réalisés et protégés ». L’Ethiopie est l’un des rares pays à ne l’avoir pas encore fait. Cet article examine les raisons pour lesquelles l’Ethiopie, membre de l’Union africaine, doit envisager de ratifier le protocole.

La ratification du protocole de Maputo est en harmonie avec la politique étrangère et nationale de l’Ethiopie. Ce pays a de bons antécédents en matière de ratification de traités des droits humains, aussi bien au niveau international que régional. Parmi ces traités on note la Convention internationale sur les droits civils et politiques (1993), la Convention internationale sur les droits économiques, culturels et sociaux (1993), la Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de discrimination contre les femmes (1981) et la Charte africaine des droits humains et des peuples (1998)

La Constitution de la République fédérale démocratique d’Ethiopie contient par ailleurs des dispositions sous l’article 9 (4) qui prévoient que tous les traités internationaux ratifiés soient intégrés dans le corpus légal du pays. Elle dit encore que les droits et libertés fondamentaux qu’elle a reconnus seront interprétés en conformité avec les instruments internationaux que l’Ethiopie a ratifiés. Ceci est une disposition importante qui permet d’interpréter le droit à la lumière des instruments de droits humains qui ont été largement interprétés et bénéficient d’une large jurisprudence constituée au fil des années. Bien que l’Ethiopie ait ratifié tous les instruments des droits humains susmentionnés et bien d’autres traités importants, le gouvernement éthiopien n’a pas ratifié le protocole de Maputo. La ratification du protocole de Maputo, non seulement confirmerait le bilan de l’Ethiopie en ce qui concerne la ratification de traités internationaux et régionaux, mais contribuerait également à sa réputation de soutien solide aux droits humains en général et aux droits des femmes en particulier

La ratification du traité de Maputo par l’Ethiopie augmenterait sa crédibilité et son influence en Afrique.

L’Ethiopie est le pays d’Afrique le plus longtemps indépendant. L’Ethiopie, le deuxième Etat le plus populeux d’Afrique, a aussi été un membre fondateur de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA) établie le 25 mai 1963 et remplacée par l’Union africaine (UA) en 2002. Le quartier général de l’UA est à Addis Ababa. Au jour d’aujourd’hui, l’Ethiopie a l’économie la plus puissante de l’Afrique de l’Est (PIB), qui connaît la plus forte croissance du monde, et est en passe de devenir une puissance régionale dans la Corne de l’Afrique

Le propos de cet article est de démontrer que si l’Ethiopie ratifiait le protocole de Maputo, elle pourrait exercer une plus grande influence politique et morale dans le domaine des droits humains en Afrique. La ratification du protocole par l’Ethiopie donnerait une plus grande crédibilité et un soutien régional à ses principes et stimulerait la réalisation des droits des femmes en Afrique. La ratification engagerait le gouvernement éthiopien et d’autres Etats africains à une meilleure protection et promotion des droits des femmes. Un des moyens vers ce but est de signer et ratifier des traités de droits humains fondamentaux internationaux et régionaux. Plus important que tous, il y a le Protocole de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et pour les droits des femmes en Afrique.

Le protocole, qu’il reste à l’Ethiopie à ratifier, protège les femmes, très vulnérables en Afrique. Il s’en suit que de n’avoir pas ratifier le protocole de Maputo embarrasse la région, et représente un obstacle dans le domaine de la politique étrangère du pays. De surcroît, en refusant de ratifier le protocole de Maputo, le gouvernement éthiopien a perdu une occasion d’influencer le développement des droits humains de la femme en Afrique.

Le protocole de Maputo respecte les principes constitutionnels éthiopiens

Le protocole de Maputo respecte les principes constitutionnels éthiopiens qui proscrivent la discrimination sous toutes ses formes y compris celle basée sur le sexe. La constitution éthiopienne a intégré les dispositions générales aussi bien que spécifiques du droit des femmes. Elle prévoit l’égalité entre hommes et femmes, permettant à tous de bénéficier de tous les droits prévus. L’article 35 de la Constitution est spécifiquement consacré aux droits des femmes et contient plus de dispositions relatives à leurs droits. Celles-ci incluent l’égalité devant la loi, l’égalité dans le mariage, le droit à des mesures positives, la protection contre les pratiques culturelles néfastes, les droits maternels dans le cadre d’un emploi, le droit d’être consultée, le droit à la propriété, à l’emploi, à l’accès aux informations et service du planning familial.

De même, le Protocole de Maputo garantit une large panoplie de droits civils, politiques économiques sociaux et culturels de la femme, ce qui démontre l’universalité, l’indivisibilité et l’interdépendance de tous les droits humains de la femme internationalement reconnus. Ces droits incluent le droit à la vie, à l’intégrité et à la sécurité de la personne, la protection contre des pratiques traditionnelles néfastes, la prohibition de la discrimination et la protection des femmes dans les conflits armés. De surcroît, le protocole garantit un droit à la santé et à la santé reproductive, l’accès à la justice, l’égalité devant la loi et la prohibition de l’exploitation et de l’avilissement. En résumé, le Protocole oblige les Etats parties à intégrer la dimension ‘’genre’’ dans leurs décisions politiques, leurs législations, leurs plans de développement et de garantir le bien-être général des femmes. Le Protocole entérine la non-discrimination et d’autres valeurs essentielles que la plupart des Ethiopiens adoptent inconditionnellement, en accord avec l’essence des principes des droits humains inscrits dans la Constitution.

La discrimination et la violence persistent en Ethiopie

Ces deux dernières décennies ont vu des réformes législatives significatives en ce qui concerne les droits des femmes en Ethiopie. Outre la Constitution éthiopienne, qui contient plusieurs dispositions ayant trait aux droits des femmes, de nombreuses autres lois ont été mises en œuvre et les lois existantes ont été révisées de façon à intégrer les questions de genre. Malgré les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies, la discrimination et la violence contre les femmes persistent en Ethiopie.

Le droit révisé des familles a introduit des changement révolutionnaires dans une partie du Code civile qui a trait au mariage et en a extirpé les dispositions les plus discriminatoires. Néanmoins, la pratique du mariage précoce reste commune en Ethiopie, en particulier dans les zones rurales. Bien que l’âge minimum du mariage a été fixé à 18 ans pour les garçons et les filles, contraindre les filles au mariage reste une pratique courante dans tout le pays. En Ethiopie, 19% des filles ont été mariées à l’âge de 15 ans et dans certaines régions comme Amhara, ce chiffre atteint 50%. Une étude révèle que 13% des mariages finissent en divorce ou en séparation. Nombreuses sont les filles qui retournent dans leur famille, mais si elles sont rejetées, migrent souvent vers les villes en quête d’emploi et deviennent employées de maison ou prostituées. Bien que la Constitution requiert le consentement des deux parties pour qu’une dispute soit soumise à un tribunal de la Sharia dans le domaine matrimonial, personnel et des droits de la famille, en pratique les femmes acceptent souvent de régler l’affaire à l’amiable et ce en raison des pressions sociales.

La violence domestique et la violence sexuelle contre les femmes sont une réalité. La violence domestique est monnaie courante en Ethiopie et est largement acceptée. Une étude menée par l’OMS en juillet 2005 montre que 88% des femmes rurales et 69% des femmes urbaines croient que leur mari a le droit de les battre.

L’enlèvement des femmes, bien que tombant sous le Code pénal, est toujours considéré comme étant la façon légitime de se procurer une épouse (En particulier dans le sud de l’Ethiopie). Près de 8% des femmes actuellement mariées ont été enlevées et contraintes au mariage- une coutume sanctionnée par la loi, laquelle n’a été mise en pratique que récemment, qui montre clairement l’énorme domination des mâles dans les traditions éthiopiennes. Ce qui se passe, c’est que la jeune fille est enlevée par un groupe de jeunes gens puis violée par l’homme qui veut l’épouser, quelqu’un qu’elle connaît ou un parfait étranger. Les anciens du village de l’homme demandent alors la fille en mariage à sa famille. Souvent la famille consent parce que la fille a perdu sa virginité et de ce fait n’est plus mariable à un autre homme. Parfois ceux qui l’ont enlevée cachent la fille jusqu’à ce qu’elle soit enceinte et alors la famille juge qu’elle n’a plus de choix sauf de consentir.

Bien que la Constitution ainsi que le Code pénal condamnent les pratiques traditionnelles néfastes, la pratique de la mutilation génitale reste largement en vigueur en Ethiopie. Il est estimé que 74% des femmes éthiopiennes de tout âge ont été sujettes de la mutilation génitale, une pratique qui remonte à la nuit des temps. Les menaces sur la santé résultant de cette pratique sont considérables. Aucune suite pénale n’a jamais été engagée à l’encontre de ceux qui s’y adonnent.

La santé des femmes éthiopiennes est en grand péril. Les femmes éthiopiennes ont un accès limité aux soins périnataux ainsi qu’au planning familial. Il est estimé que seul 6% des naissances ont lieu avec l’aide d’une sage femme compétente. Selon le ministère de la Santé, la taux de mortalité maternelle est de 673 pour 100 000 naissances vivantes et correspond à ce que l’Europe a connu il y a cent ans ; ce taux est environ 50 fois plus élevé que celui des pays industrialisés ; ce qui signifie que les risques de morbidité et mortalité encourus par les mères sont toujours considérables. Une grossesse précoce est lourde de conséquences pour les jeunes filles y compris les fistules obstétricales. Ce taux élevé s’explique aussi par le manque d’accès à l’information concernant la santé reproductive et les droits, les mutilations génitales, les mariages précoces et les avortements clandestins.

La prévalence du VIH/SIDA est également élevée parmi les jeunes femmes. Bien que l’Ethiopie ait pris des mesures positives pour réduire la disparité de la représentation dans les domaines de la gouvernance et de la politique, ce qui a permis que 31% des parlementaires sont des femmes, un problème demeure. Les femmes restent sous-représentées en Ethiopie.

De façon générale, les facteurs socioculturels restent non seulement discriminatoires, mais sont aussi un obstacle majeur à l’avancement des femmes. Les coutumes, la culture, les traditions et la religion ont continuellement relégué les femmes en Afrique, et de toute évidence en Ethiopie, à un statut inférieur - à peu près à une absence de statut - qui a limité leur accès à l’égalité et perpétue la discrimination.

A la lumière de ce qui précède, il apparaît que le statut des femmes en Ethiopie laisse grandement à désirer. La ratification du Protocole de Maputo serait un signe fort de la part du gouvernement qui dirait qu’il est toujours impliqué dans la réalisation des droits des femmes. Le Protocole de Maputo contient les droits civils et politiques économiques, culturels et sociaux, le droit au développement et à la paix, les droits sexuels et reproductifs. Il offre un cadre légal qui permet de réduire les inégalités et d’aborder les domaines qui sous-tendent la pérennisation de la subordination des femmes.

Pour conclure, le gouvernement éthiopien devrait maintenant considérer de ratifier le protocole de Maputo et de l’utiliser comme base légale pour l’avancement des droits des femmes. La brève analyse des tenants et aboutissants légaux, politiques et sociaux suggère qu’il y a là une opportunité pour le gouvernement éthiopien de démontrer son engagement en matière des droits humains et des droits de la femme en ratifiant le Protocole de Maputo. Le Protocole de Maputo est l’instrument légal le plus puissant et le plus approprié que les femmes éthiopiennes peuvent utiliser pour apporter un changement réel à leur condition. Le Protocole est aussi un instrument hors pair pour combattre les effets de la discrimination et de la violence qui continue d’affliger les femmes éthiopiennes

Comme nous l’avons dit, le Protocole pour les droits des femmes est en accord avec les lois éthiopiennes existantes ainsi qu’avec les objectifs de politiques nationale et étrangère. Néanmoins, le Protocole contribuerait à renforcer les lois éthiopiennes en ce qui concerne la discrimination et la violence contre les femmes, l’accès à la protection légale et d’autres droits humains de la femme. Les hésitations du gouvernement éthiopien de ratifier le protocole de Maputo n’encouragent pas les gouvernements à mettre un terme à la discrimination persistante et à la violence contre les femmes.

NOTE
See "Ethiopia surpasses Kenya to become East Africa's Biggest Economy". Nazret.com. http://nazret.com/blog/index.php?title=ethiopia_surpasses_kenya_to_become_east_&more=1&c=1&tb=1&pb=1 Retrieved 2010-11-22.
See 2010 report Human Development Index (HDI) Available at http://hdr.undp.org/en/statistics/hdi/
See "Ethiopia will be 5th fastest growing economy in the world in 2010 - economist". Retrieved on2010-11-22.2009-11-25. http://www.export.by/en/?act=news&mode=view&id=14969 Retrieved 2010-11-22.

Constitution of the Federal Democratic Republic of Ethiopia Proclamation No. 1/1995(FDRE Constitution) Article 25 Right to Equality states as follows. “All persons are equal before the law and are entitled without any discrimination to the equal protection of the law. In this respect, the law shall guarantee to all persons equal and effective protection without discrimination on grounds of race, nation, nationality, or other social origin, colour, sex, language, religion, political or other opinion, property, birth or other status. ”

Central Statistical Agency of Ethiopia, Demographic Health Survey of Ethiopia (DHS) 2005 Report, 2006.
Pathfinder International. Causes and Consequences of Early Marriage in the Amhara Region of Ethiopia, 2006, p. 20.
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WHO, The Multi-country Study on Women's Health and Domestic Violence against Women Available at www.who.int/gender/violence/who_multicountry_study/fact, retrieved on 2010/11/22.
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G Beyene & A Tolera ‘Marriage Practices Among the Gidda Oromo, Northern Wollega, Ethiopia’ (2006) 15(3) Nordic Journal of African Studies 240,243.
FDRE Constitution, supranote-5, article 35(4) .
The Revised Penal Code of Ethiopia (2005)Articles 565 , 566 & 567.
DHS 2005, Supra note6.
DHS 2005, Supra note6.
Beijing Declaration and platform for Action – with World Conference on Women held in Beijing, China, 1995

* Fana Hagos Berhane doctorant à l’université de Warwick et assistant conférencier à l’université de Mekelle. Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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