Quand Lula dérange le nouvel ordre mondial hégémonique

Le président Lula du Brésil termine ses deux mandats constitutionnels en appuyant ou en prenant des initiatives qui ébranlent les systèmes de domination politique, financier et stratégique articulés autour des puissances occidentales. Avec ces actes importants, Fodé Roland Diagne note que «Lula donne le coup de pied dans la fourmilière du nouvel ordre mondial hégémonique que le capital « étatsunien » et européen avait présenté comme éternel et heureux ».

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Hugo

Après huit ans de pouvoir, le président Ignacio Lula Da Silva quittera ses fonctions parce que la constitution brésilienne ne lui permet pas de briguer un troisième mandat d’affilée. Les Etats-Unis et l’UE réactionnaires se déchaînent contre le gouvernement brésilien dans l’espoir d’empêcher la réélection de la candidate, Dilma Rousseff, désignée par le Parti des travailleurs (PT) pour succéder à Lula, le 3 octobre prochain, et ainsi ramener le Brésil dans la sphère d’influence des États-Unis.

Il faut dire qu’en cette fin de mandat, Lula donne le coup de pied dans la fourmilière du nouvel ordre mondial hégémonique que le capital « étatsunien » et « européen » avait présenté comme « éternel et heureux ». Le 22 février, lors de l’historique Sommet de Cancun (Mexique), Lula appuyait de tout son poids les 33 chefs d’Etat de la région qui ont créé la Communauté des nations d’Amérique latine et des Caraïbes qui inclura Cuba, mais non les États-Unis et le Canada. Puis Lula s’accordait avec La Havane sur un prêt d’un milliard de dollars à la révolution cubaine, en plus de l’exploitation conjointe de brevets médicaux cubains et des ressources pétrolières au large de l’île.

Mais déjà, Lula acceptait la création, le 3 mars 2009, du Conseil de défense sud-américain (CDS), projet totalement indépendant des États-Unis et impulsé par le Brésil depuis 2006. Le CDS, dit-il, vise à remplacer la Junte interaméricaine de défense (JID), organisation politico-militaire créée il y a 68 ans afin de garder les officiers militaires latino-américains sous l’influence des États-Unis et qui, aujourd’hui, est au service de l’Organisation des états américains (OEA). La JID compte une école de formation technico-politique, le Collège interaméricain de défense (CID), fondé en 1962 pour combattre le communisme en Amérique latine, qui a formé une infinité d’officiers des forces armées de tous les pays de la région dans l’art de servir les États-Unis.

Mais on note surtout que le 17 mai dernier, intervient la signature d’un texte d’accord entre le Brésil, la Turquie et l’Iran, concernant le dossier du « nucléaire Iranien », alors que les Etats Unis, l’UE et Israël ne cessent de chercher le moindre prétexte pour créer un état de guerre contre l’Iran. L’accord Brésil-Turquie-Iran déclare que conformément au Traité de Non Prolifération (TNP), l’Iran a droit à l’enrichissement, que ce pays accepte l’échange de 1.200 kilos d’uranium faiblement enrichi (UFE) contre 120 kilos d’uranium enrichi (UE) à 20%, indispensables au fonctionnement de son réacteur de recherche, que les 1.200 kilos d’UFE seraient stockés en Turquie, le temps que l’Iran reçoive ces 120 kilos de l’UE, que l’Iran transmettrait à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dans la semaine suivant le 17 mai, une lettre officielle formalisant son accord.

Rappelons que le réacteur de recherche de Téhéran a été installé avant la contre-révolution islamiste des Mollahs, pour fabriquer des isotopes contre le cancer. Jusqu’à présent, ce réacteur s’était fourni sur le marché mondial pour obtenir l’uranium enrichi à 20% nécessaire à son fonctionnement. Ce sont les pressions des Etats-Unis, lesquels sont pourtant à l’initiative de la construction de ce réacteur, à l’époque du Shah, allié de Washington, qui empêchent l’Iran d’obtenir désormais le combustible nécessaire.

Lula en mars s’était opposé aux menaces de représailles de la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, contre le Venezuela pour ses liens avec l’Iran.

Le pouvoir de Lula comme nous l’expliquions dans un précédent article reflète un compromis historique entre la fraction nationaliste de la bourgeoisie nationale et les classes populaires pour briser le carcan de la domination impérialiste dans un pays du Tiers Monde anciennement colonisé, qu’est le Brésil. Ce type de compromis existe aussi dans des pays comme l’Inde et la Chine avec des positions différentes des classes sociales dans l’appareil d’Etat. Comme le montre une liste comparative publiée le 20 janvier dernier par le « Financial Times », des dix plus grandes banques mondiales pour les années 2000 et 2009, les résultats obtenus au plan géopolitique par de tels compromis temporaires et transitoires sont :

- en 2000, les États-Unis et la Grande-Bretagne occupaient les cinq premières positions,

- mais, en 2009, les Banques d’Etats de la Chine occupent cinq des six premières positions tandis que les Banques privées du Brésil s’octroient les 5e, 7e et 9e rangs.

Progressivement, l’insolent diktat outrancier et hégémonique des Usa et de l’UE se trouve de plus en plus contrebalancé par les quatre pays du BRIC (Brésil, Russie, Iran, Chine) qui s’opposent aux sanctions et à l’isolement imposés à Téhéran et considèrent à juste titre comme une provocation irresponsable la menace israélienne d’une guerre nucléaire préventive contre l’Iran. Voilà ce qui explique les furieuses attaques verbales des « médiamensonges » occidentaux contre l’accord Brésil-Turquie-Iran résumées en ces termes par le chroniqueur Andres Oppenheimer le 23 février : « Je ne peux éviter de me demander si ce cocktail ne mènera pas, à l’avenir, vers de plus grandes ambitions nucléaires et si, à un moment donné, le Brésil ne finira pas par changer sa constitution pour construire des armes nucléaires ».

Voilà pourquoi une telle furie de la diplomatie française, de plus en plus alignée sur les va-t-en guerre sionistes d’Israël, s’exprimait ainsi, à travers le porte-parole du quai d’Orsay, le 17 mai : « Ne nous leurrons pas : une solution à la question du TRR [le réacteur de recherche de Téhéran], le cas échéant, ne règlerait en rien le problème posé par le programme nucléaire iranien. L’échange d’uranium envisagé n’est qu’une mesure de confiance, un accompagnement. Le cœur du problème nucléaire iranien, c’est la poursuite des activités d’enrichissement à Natanz, la construction du réacteur à l’eau lourde d’Arak, la dissimulation du site de Qom, les questions des inspecteurs de l’AIEA laissées sans réponse à ce jour. Depuis la proposition de l’AIEA en octobre dernier, l’Iran enrichit de l’uranium à 20%. C’est à ces violations constantes des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du Conseil des gouverneurs de l’AIEA que l’Iran doit immédiatement mettre fin. C’est à cette fin que nous préparons à New York, avec nos partenaires du Conseil de sécurité, de nouvelles sanctions ».

Aux accusations de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, disant que le président Lula se laisse abuser par l’Iran, ce dernier a répondu fermement : « Personne ne peut venir me donner des leçons sur l’armement nucléaire. (...) Chaque pays se charge de sa politique internationale et le Brésil est conscient d’être majeur. »

La crise de surproduction actuelle du capitalisme mondial accroît les dangers de guerre mondiale comme un des moyens pour l’impérialisme de sortir de celle-ci. Pour le moment, les guerres locales (du Golfe en 1990-91, de Yougoslavie en 1999, d’Afghanistan en 2001, d’Irak en 2003, les multiples « guerres locales et civiles de faible intensité », notamment en Afrique, en Colombie) ont été les moyens utilisés par le capital en crise. Associée à ces « guerres locales de faibles et moyennes intensité », le capital a mis en branle l’offensive pour appauvrir les travailleurs et mener la chasse raciste aux travailleurs étrangers à l’intérieur des frontières des pays impérialistes en liquidant tous les acquis sociaux et démocratiques conquis à la période de l’existence du camp socialiste, de l’URSS.

L’accélération de la crise montre que l’on va vers la solution radicale, celle d’une guerre majeure pour sauver les profits capitalistes. Mais comme l’histoire l’a montré aussi, cette solution barbare du capital peut engendrer l’effort collectif pour sauver l’humanité de la sauvagerie du capital : la Révolution prolétarienne.

* Diagne Fodé Roland est membre du secrétariat politique de Ferñent / Mouvement des Travailleurs Panafricains – Sénégal

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