Que dire aujourd'hui de la République Démocratique du Congo?
L’histoire qui a commencé avec la rencontre inaugurale avec les Européens, au 15ème siècle, continue toujours sa trajectoire : de la traite négrière aux formes modernes de servitude, se focalisant sur la réduction des habitants à n’être que de la main d’œuvre la moins chère possible ou simple objet de l’humanitarisme—fondé sur la charité—mais pas vraiment une partie intégrale de l’humanité avec laquelle on peut avoir une relation égalitaire de solidarité.
Toutes les résistances, toutes les luttes, par les conquis, pour réaffirmer leur humanité se sont heurtées à l’effort de nivellement mené par les conquérants. Il fallait en finir avec Ndona Kimpa Vita et les Antoniens qui exigeaient que les Kongolais soient traités comme des humains et non comme des machines productives à vendre au Nouveau monde, que l’intégrité du royaume soit préservée, que la capitale, Mbanza Kongo détruite soit reconstruite et que le Christianisme des sacrements participant dans la traite négrière soit remplacé par un Christianisme de sincérité du cœur soutenant les misérables—en ligne avec celui de St Antoine.
Il fallait en finir avec tous les dirigeants, comme M’siri, qui résistaient à l’établissement forcé de l’Etat Indépendant du Congo qui organisa un holocauste emportant au moins 12 millions de Congolais en moins de 30 ans. Même l’abolition de l’esclavage (1807-1868) ne reconnaissait pas nécessairement l’humanité des Congolais dont on pouvait couper les têtes et les mains (suivant la directive « d’exterminer les brutes ! ») pour augmenter le profit. A part les livres qui sont écrits pour exposer cet horrible holocauste, aucune pensée en faveur des réparations et des compensations ne fait son chemin. Qui porte la responsabilité de tout ce sang versé ?
Il fallait en finir avec Kimbangu Simon et les prophètes (Bangunza) soumis aux humiliations (leur faire nettoyer leurs matières fécales avec leurs mains, les chicoter chaque jour, jusqu’à 240 coups par jour pour Thomas Ntwalani, etc.), gardés en prison à perpétuité, déportés vers les forêts denses et les autres parties du Congo belge pour les éloigner de leur terroirs d’origine. Cela parce qu’ils exigeaient la libération spirituelle (« plus d’intermédiaires pour avoir accès à Dieu »), la libération politique (« les Blancs doivent partir ! »), la libération de toute l’Afrique, la libération des descendants des esclaves et leur retour en Afrique — restaurer l’humanité complète à la race noire la plus humiliée du monde.
Il fallait en finir avec Lumumba et les nationalistes qui ont osé revendiquer l’éradication complète des conditions coloniales de vie, la construction de l’indépendance réelle par des Congolais désaliénés et la foi inébranlable en l’avenir du Congo libéré. Même leurs corps physiques, dépiécés, devaient disparaître sans traces. Combien de nationalistes étaient assassinés pour mieux asseoir le néo-colonialisme sur le sol de l’Authenticité pro-occidentale, nous ne savons pas. Que de gens, dont les corps dépiécés (Pierre Mulele, Benguila, etc.,) ont été jetés dans le fleuve ; que de gens servis aux crocodiles (Raymond Bikebi, etc.)… Des villages entiers détruits… Des leaders innocents pendus. Pour beaucoup, leurs cimetières sont introuvables. Tous ceux qui sont morts pour soutenir (forcés de soutenir) le camp occidental de la Guerre froide n’ont rencontré auprès de celui-ci aucune reconnaissance morale ou matérielle. Ce sont les auteurs intellectuels de l’assassinat de Lumumba, par leurs structures dirigeantes —le Congrès américain et le Sénat belge -- qui, jusqu’ici, ont eu des commissions pour entre autres investiguer sur l’assassinat de Lumumba, nos leaders n’y pensent pas ! Les bourreaux directs, belges, de Lumumba, Mpolo et Okito, ne se sont jamais inquiétés ; l’un d’eux se félicita d’avoir gardé comme trophée deux dents de devant de Lumumba !
Des millions des Congolais peuvent être massacrés par des guerres d’interventionnismes extérieurs utilisant parfois des mercenaires croyant au nazisme (Muller, Mike Hoare..), par des rébellions de pillage des ressources naturelles, par l’insuffisance alimentaire, par l’oubli total de la santé publique,… sans qu’aucun écho de solidarité réelle ne se manifeste dans le monde. Même l’humanitarisme de charité est une occasion d’enrichissement de ses agents beaucoup plus que du salut de la population menacée. Faire le bien n’est vite fait que s’il est profitable. Il faut en finir avec Laurent Désiré Kabila qui rappela le souvenir de Lumumba et raviva la mémoire de celui-ci, qui doive rester à l’index historique absolu. Il faut que les soi-disant kabilistes trahissent leur maître et se rentourent des fidèles Mobutuistes. L’assassin n’était-il pas kabiliste ?
L’idée court toujours, dans les têtes et les cœurs des gens du monde, que le Congo est une géologie ou une géographie physique et non pas une population. Que faire des gens qui ne peuvent être que des obstacles au pillage des ressources naturelles recherchées par le monde civilisé ? Que faire des gens proclamant leurs revendications pour vivre, s’ils exposent les gens du pouvoir au service des forces extérieures ? Les animaux attendent les avantages de la saison prochaine ; les personnes sans espoir de lendemain, sans espoir de l’avenir, ne sont-elles pas moins que les animaux ? Que des gens, citoyens théoriques, meurent comme des animaux ordinaires ? Les chiens des riches sont enterrés convenablement.
Pendant les siècles de la traite négrière, le Christianisme était ou bien complice ou bien impuissant. La percée du Christianisme pentecôtiste, aujourd’hui, sert de plus en plus de parapluie à la paupérisation de la population congolaise, à gérer quotidiennement les funérailles et bénir le pouvoir auquel elle fournit des aumôniers, chiens de garde de spiritualité sans sincérité de cœur. La volonté des dirigeants d’éliminer Fernando Kutino, pour avoir voulu déclencher un mouvement populaire pour « sauver le Congo », est très forte.
Chaque cataclysme, dans la marche de l’histoire du pays, s’est achevé sans avoir résolu les problèmes rencontrés. Aucune preuve de volonté de le faire d’ailleurs ; les gens du pouvoir reprennent leur souffle pour recommencer leurs actes de destruction. Pas de réconciliation avec vérité n’a lieu parce qu’ils ne sont pas fidèles à la vérité de changement réel, mais fidèles à la continuité de leurs anciens privilèges, qu’ils désirent d’ailleurs augmenter. Le fameux partage de pouvoir, entretenu par les tireurs de ficelles, concerne la répartition, proportionnelle aux degrés de puissance des candidats, de ces privilèges.
Il fallait en finir avec des Congolais, dans le Rassemblement Congolais pour la Démocratie, pour avoir soutenu qu’il ne suffit pas d’avoir été victime de génocide ou de la révocation répressive de son droit de nationalité pour avoir tous les droits sur tous les autres, adversaires ou sympathisants, pour avoir le droit de diriger, par la force, l’Etat ; il ne suffit pas que les puissances aient une sympathie de remord pour les victimes, pour que celles-ci se croient être dans le vrai et protégées de tout désastre (moral et politique). C’est en se convaincant les uns les autres qu’émerge le vrai. D’avoir aussi soutenu que le droit d’auto-détermination est universel, même vis-à-vis des alliés ougandais.
Il fallait en finir avec les gens de Bundu dia Kongo (BDK) pour avoir revendiqué le droit de refuser les résultats des élections par menaces, extorsion et grande corruption ! Et d’avoir réaffirmé avec force leur identité culturelle et historique…
Le gouvernement est souvent composé des membres qui sont plus préoccupés de rester au pouvoir et s’enrichir scandaleusement et rapidement tout en regardant devant eux l’appauvrissement catastrophique de la majorité de la population dont ils feignent d’ignorer les cris d’alarme et les revendications en faveur de la résolution des problèmes auxquels cette majorité reste confrontée. Dans le contexte de la mondialisation dominée par les entreprises transnationales monopolistes, l’engagement, par le gouvernement, au néolibéralisme, c’est-à-dire, à la destruction par, entre autres, des privatisations, de l’Etat, est un engagement à la paupérisation de la majorité de la population. C’est aujourd’hui un privilège d’être à l’école, d’être soigné, d’avoir de l’eau potable et de l’électricité, d’être sécurisé, d’habiter un endroit salubre…
Ceux qui sont au pouvoir ne semblent pas avoir une idée claire de là où on doit aller, ni de pourquoi et comment ce pays s’est retrouvé là où il est actuellement. Aucune mémoire respectable des ancêtres respectables. Comme si les ancêtres qui sont morts pour défendre le pays et son peuple sont morts en vain. Ce n’est que comme fonds de commerce propagandiste, qu’on mentionne P. E. Lumumba, J. Kasa-Vubu ou S. Kimbangu. Ils n’ont aucun sens de l’histoire. Les problèmes confrontés, par leurs ancêtres, il y a 500 ans (incapacité d’assurer la suffisance alimentaire, incapacité de produire les moyens de défense et d’assurer la défense du pays, son intégrité territoriale et la protection de sa population et ses biens) se posent toujours—même avec plus de gravité. En ce temps-là, le roi soi-disant éclairé Afonso I faisait plus confiance et mettait son espoir aux missionnaires dont certains s’engageaient dans le commerce des esclaves. Le dictateur Mobutu plaçait toute sa confiance aux dirigeants du « Monde libre » pour réprimer son peuple. Aujourd’hui, le peuple est invité de lever ses yeux vers la Chine pour attendre son salut. Les « élections libres et crédibles » n’ont mis en place que des offices qui légitiment ce qui a toujours causé la crise, aujourd’hui catastrophique.
Les élections rédemptrices ont eu lieu (2006), de façon précipitée—sautant celles locales, urbaines et municipales, proches des masses—sans que l’espoir d’un monde nouveau ne soit réalisé : le monde de l’oppression, des misères, de l’arbitraire, de la nuisible anarchie des anti-valeurs, de la « pillagecratie », de l’enrichissement égoïste et sans cause d’une minorité s’appuyant sur et soutenue par les sorciers de l’extérieur (les ‘agences’ de l’économie mondiale de crime—blanchissement d’argent, seigneurs de guerre pour le coltan rouge, négociateurs de contrats léonins, etc.), de l’impunité constitutionnelle ; le monde de la survie par tous les moyens imaginables et de la fragmentation de ce qui restait de l’Etat continue toujours, ayant pour dirigeants des élus du peuple !
Les questions restées pendantes avec l’inachèvement de la fin du génocide rwandais continuent de servir, sinon d’huile au feu de brousse habituel, le feu attisé ou allumé par le pillage des ressources, alors de motrices aux guerres dites de basse intensité. Les sentiments haineux de vengeance passent pour une politique de libération ou même celle de « développement national.» Les nouvelles institutions « démocratiques » supportent les possibles conditions de génocide non déclaré. Le communautarisme, souvent pointé comme solution, de part et d’autres, génocidaires et candidats au génocide, génère dans toute la région des sentiments d’exclusion que la transition congolaise devait résoudre.
Il faut renverser la condamnation de Ndona Beatrice Kimpa Vita et de tous les Antoniens pour raviver leur esprit et leur grande mémoire ; il faut condamner le roi Pedro IV et tous ses complices missionnaires - pour reconsidérer le Christianisme qui défend la dignité humaine des misérables. Pour guérir tous ceux qui ont été frappés par la peur maladive de ne plus oser lever la tête pour défendre leur humanité. Entre le vendeur d’hommes et la protectrice d’hommes, face à l’esclavage, qui devait être brûlé vif, ne faut-il pas des compensations et des réparations à qui de droit ? Qui s’oppose à l’érection du monument de Kimpa Vita ? Pourquoi n’a-t-elle pas encore été consacrée Sainte ?
Il faut acquitter et réhabiliter Kimbangu Simon et les Bangunza pour faire revivre leur esprit et leur mémoire ; l’essentiel de ce qu’ils revendiquaient constitue aujourd’hui les valeurs que prétend défendre l’ONU et plus : ils avaient guéri des malades physiques et spirituels ; ils ont facilité la décolonisation et même, dit-on, Kimbangu avait libéré le roi des Belges de la prison des Nazis. Ils ont facilité l’acceptation du Christianisme dans les masses (ils ont combattu le fétichisme, l’esclavage domestique, la sorcellerie, etc.) Pour guérir tous ceux qui étaient désorientés par les accusations qui donnaient l’impression de relever d’un monde à l’envers, il faut des réparations, des compensations et des cérémonies nationales de repentance. Qui devait être puni ? Celui qui a organisé des travaux forcés qui entraînaient des épidémies et mort d’hommes, ou celui qui soignait les malades et calmait leurs esprits ? Celui qui revendiquait la liberté sur sa terre natale ou celui qui l’enchaînait sur sa terre ?
* Pr Wamba Dia Wamba est sénateur honoraire et ancien vice-président de la Commission permanente du Sénat sur les affaires administratives et juridiques, de l’administration de transition de la République démocratique du Congo.
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