Quelle politique extérieure pour la France

La politique étrangère de la France peut se lire sous des paramètres structurants comme la recherche d’un impérialisme économique et militaire, avec des tendances néocoloniales qui se manifestent à travers la Françafrique. On se trouve ainsi face à une machine infernale actionnée par la haute finance, à laquelle il faut une alternative.

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BB M

En matière de politique étrangère, nombreux sont les problèmes qui se posent aujourd’hui à la gauche – ou, disons plutôt, pour être sûrs de parler des forces progressistes, à la gauche de la gauche. Quels sont-ils, en ne retenant que ceux qui s’imposent de façon urgente et délicate ?

Quels sont les problèmes ?

Le premier est lié au fait que celles et ceux d’entre nous qui vivent, travaillent et luttent en France, qu’ils soient Français ou étrangers, le font dans un pays que nous aimons tous très profondément pour ce qu’il représente à nos yeux un pays dont le peuple a hérité d’une histoire qui est aussi celle de la Révolution française, de la Commune, de la Résistance et la Libération, des luttes sociales. Mais, dans le même temps, ce pays est aussi l’un de ceux dont les classes dominantes ont fait commettre en son nom des crimes coloniaux et esclavagistes, et qui se comporte encore à l’heure présente, en dehors de ses frontières et en maints endroits du monde, comme une puissance impérialiste et, qui plus est, en guerre, contre des pays du Sud, sous le commandement militaire de l’hégémonie mondiale. Ceci introduit donc une contradiction forte, jusque dans nos stratégies d’alternatives et dans notre conception même de la démocratie.

Un deuxième problème, grave, découle de l’une des conséquences les plus dramatiques de la crise systémique que nous subissons actuellement : c’est l’accentuation de la confrontation (en dépit des cooptations du G20) entre le Nord et le Sud, entre pays du centre impérialiste et pays des périphéries. Et ceci dans un monde où les contradictions se sont complexifiés, non seulement entre classes dominantes et classes dominées dans chaque pays, mais encore entre classes dirigeantes elles-mêmes, comme aussi entre pays du Sud eux-mêmes (avec parfois des phénomènes que l’on peut qualifier de « sous-impérialismes » régionaux). Mais la tendance de fond, lourde, reste celle de l’aggravation de cette confrontation Nord-Sud ; avec comme effets, un peu partout, la montée des extrêmes-droites, dans leurs diverses variantes politiques, religieuses, communautaristes ou « ethniques » – pour la plupart, d’ailleurs, pro-systémiques, pro-capitalistes.

Le troisième problème sur lequel il faut insister est sans doute le plus « problématique »… en tout cas pour la gauche de la gauche. Ce problème, tabou, autour duquel on tourne souvent pour essayer de l’éviter, est le suivant : une – bonne – partie des profits globaux réalisés par les banques et les transnationales du centre du système mondial (plus de la moitié aux États-Unis, par exemple) provient de transferts de surplus du Sud vers le Nord. Ces transferts, qui passent par différents canaux (dette extérieure, investissements directs étrangers ou de portefeuille, échange inégal, fuites de capitaux, corruption…), constituent une « rente impérialiste ». Laquelle rente oblige, malgré elles, certaines directions partisanes et syndicales des forces « de gauche » du Nord, France comprise, à se soumettre ou à adhérer au projet impérialiste.

QUESTIONS, ET PROBLEMES SUPPLEMENTAIRES

D’où les trois questions suivantes. Peut-on accepter :
- que la France se comporte encore comme une puissance impérialiste, voire néo-coloniale ?
- cette confrontation avec le Sud et la montée des extrêmes-droites qui l’accompagne ?
- que la gauche se reconstruise en partie grâce à cette rente impérialiste ?

Les réponses devraient être, selon moi : non, non et non. Soit un triple non, qui vaut mieux pour la France qu’un triple A !

Cet ensemble de difficultés auxquelles font face les forces progressistes françaises, mais aussi européennes et plus largement du Nord, est bien sûr compliqué par d’autres problèmes, eux aussi nombreux, au Sud cette fois. Parmi les plus sérieux figure celui du choix de la voie capitaliste comme « stratégie de développement » adopté par la plupart des classes dirigeantes des pays dits « émergents », comme au Brésil, en Inde, dans une certaine mesure en Chine, et même à l’Est, en Russie. Or, c’est une illusion de croire que le capitalisme est la solution pour les pays du Sud, ou de l’Est. Nous sommes en effet entrés, avec la crise systémique actuelle, dans une période d’effondrement, long, lent et graduel, du capitalisme en tant que système mondial. Le capitalisme ne tombera que sous la poussée des luttes. Mais ce choix de stratégies pro-capitalistes, effectué par nombre de classes dirigeantes du Sud, constitue une menace pour les forces progressistes en lutte – et ce, même là où ont été accomplies de réelles avancées révolutionnaires, comme en Amérique latine. Une menace liée notamment à la tentation des pouvoirs en place dans ces pays de confisquer et freiner les processus de transformation sociale engagés.

QUELLES ALTERNATIVES ?

Alors, si les problèmes, obstacles, blocages sont si divers, nombreux et puissants : que faire ? Il serait faux de penser qu’il existe des recettes miracles ; mais faux également de croire qu’il n’y a pas d’alternatives. Il y a des alternatives, à explorer, à discuter, démocratiquement. Et pour construire ces alternatives, il faut rouvrir le débat sur les options possibles, en se libérant de la propagande médiatique dominante, dont le centre de gravité se situe à l’heure actuelle entre la droite et l’extrême-droite.

D’abord, la priorité, et l’urgence, c’est de stopper la régulation du système mondial capitaliste par la guerre, sous l’hégémonie des États-Unis (pour combien de temps ?). La France ne doit pas être associée à la stratégie de contrôle militaire du globe par les États-Unis. Il faut arrêter l’engrenage des agressions du Sud par les pays impérialistes du Nord. Mais pour cela, il conviendrait de sortir de la composante militaire de l’OTAN.

Ensuite, le principe d’existence de bases militaires d’un pays en dehors de son territoire devrait être rejeté. Il faudrait donc que la France retire ses bases à l’étranger, réparties sur toute la planète, afin d’offrir à ses partenaires du Sud (à commencer par la Françafrique !) autre chose que la présence de soldats, des ventes d’armes et un discours creux sur des droits de l’Homme niés en pratique. Cela devrait être associé à une réorientation complète, dans un sens progressiste, de nos politiques migratoires, de coopération et de développement.

Car, point fondamental, ce qu’il s’agit de bien saisir, ce sont les liens entre guerre et finance. Les guerres impérialistes modernes constituent une forme de dévalorisation du capital, forme extrême certes, mais rendue aussi « nécessaire » que d’autres formes de dévalorisation (telles que les fermetures d’usines ou la massification du chômage) dans les stratégies anticrise mises en œuvre par les classes dominantes – la finance. Ces solutions-là n’en sont pas.

Pour tenter de débrancher la machine infernale de ces guerres, actionnée par la haute finance, nous devrons imposer aux oligopoles financiers nationaux l’obligation d’un contrôle public et démocratique. Il faudra les nationaliser, et avec eux les secteurs stratégiques de l’économie, pour les placer au service des peuples et rouvrir des marges de manœuvre pour des politiques de progrès social véritable.

Faudra-t-il rompre avec certains engagements internationaux de la France (comme le traité de Lisbonne), inscrits désormais dans son bloc de constitutionnalité ? Assurément, oui, si ceux-ci sont des carcans anti-démocratiques. Le peuple français, qui un jour de 1793 se leva pour dire au monde qu’il était « l’ami et l’allié naturel des peuples libres » et donnait « asile aux étrangers bannis de leur pays pour la cause de la liberté », mérite mieux que le sort qui leur est imposé. C’est pour cela que la perspective de transition socialiste et de solidarité internationaliste reste d’actualité.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



* Rémy Herrera est chercheur au CNRS


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