Quelle unité après 28 ans de guerre en Casamance ? L’échec des solutions militaires et de la corruption

C’est le jubilé et la fierté nationale des cinquante ans d’indépendance, alors que les armes tonnent à nouveau en Casamance, avec leur cortège de blessés, de mutilés et de morts. Vingt-huit ans après la marche pacifique des populations en 1982 à Ziguinchor et 10 ans après l’alternance démocratique au Sénégal, des soldats, des combattants et surtout des populations civiles meurent et continuent de mourir en Casamance.

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En décembre 1982 une masse innombrable manifeste à Ziguinchor et envahit la gouvernance pour descendre le drapeau de notre pays et le remplacer par un drapeau blanc. L’appel à l’indépendance de la Casamance, par le Mouvement des Forces Démocratique de la Casamance (MFDC) est réprimé dans le sang et les arrestations. L’année suivante, en 1983, toujours en décembre, c’est la guerre qui commence.

Abdou Diouf et le Parti socialiste (PS) au pouvoir utilisent l’armée croyant par la force en finir avec la rébellion Casamançaise. L’enlisement de l’armée nationale face à une guérilla populaire est manifeste, car de plus en plus de jeunes Casamançais, devant les brutalités et exactions, rejoignent Atika, branche armée du MFDC, qui fait systématiquement échec aux offensives militaires : « une trentaine de soldats tombent à Babonda en juillet 1995, 18 parachutistes sont tués à Mangacounda. A Mandina Mancagne, le 19 août 1997, 38 soldats et quatre officiers sont tués dans une embuscade des combattants du Mfdc, etc » (cf : reportage de la presse sur le décès de feu l’Abbé Augustin Diamancoune).

Durant ces 28 années de nombreux articles de presse et de rapports d’organismes des droits humains nationaux et internationaux ont fait état d’arrestations arbitraires, d’assassinats ciblés, de pratiques de tortures, de traitements dégradants voire de crimes de guerre en Casamance.

La soi-disant « solution militaire » a conduit à une intervention militaire massive en juin 1998 de notre armée nationale à Bissau, allnt au secours du président Nino Vieira confronté à une rébellion de son armée. Cette guerre mis au prise d’une part la fraction armée de Nino Vieira soutenue par l’armée Sénégalaise et d’autre part la fraction rebelle de Ansumane Mané soutenue par Atika la branche armée du MFDC. Il est curieux que le gouvernement du Sénégal n’ait pas daigné publier le bilan désastreux de cette aventure guerrière en terre africaine guinéenne. On était loin de la « mini-guerre du pétrole » qui avait opposé les deux armées nationales en 1990, suite à l’annonce de la « découverte » du pétrole dans les eaux territoriales frontalières et proche de la lune de miel par laquelle le Sénégal parrainait en mai 1997 l’entrée de la Guinée Bissau dans la zone coloniale monétaire du Franc Cfa.

Quand cette formidable conquête démocratique qu’est l’alternance porte A. Wade au pouvoir en 2000, l’échec de la prétendue « solution militaire » de la question Casamançaise est patent. Et pourtant A. Wade avait promis de « régler le problème Casamançais en 100 jours ». La gestion Wadienne du « conflit casamançais » a très vite été la transformation de ce que d’aucuns appellent la « région sud » en un incroyable déversoir de milliards de francs Cfa. La presse nationale grouille d’infos sur l’argent et les ONG en Casamance et il semble que ce fourmillement cupide a pris son envol surtout après la terrible tragédie du naufrage du bateau le Joola.

Il est en effet très difficile de ne pas se demander quel rapport y a t-il entre l’étalage médiatisé des « divisions internes » du MFDC et l’étalage des sommes en milliards qui sont déversées en Casamance. D’ailleurs il faut signaler que depuis le conflit Ivoirien, c’est le pays tout entier même qui est devenu un « déversoir » d’argent dont on peut se demander légitimement si ce n’est pas du blanchiment camouflé.

L’argent a-t-il servi à « diviser pour mieux régner » par la corruption organisée qui serait à l’origine des batailles armées internes même au MFDC et à sa branche armée ? Si c’est le cas, alors la reprise de l’affrontement militaire entre l’armée nationale et Atika signe l’échec de la stratégie de corruption. Faut-il tirer comme autre conclusion que la convocation récente, à la demande du gouvernement sénégalais, du dirigeant du MFDC Nkrumah Sané, par la police française, illustre aussi l’échec de la stratégie de « solution en 100 jours du conflit Casamançais » du président A. Wade. Rappelons que depuis 1993 ce responsable du MFDC qui déclare et montre ne pas avoir des papiers d’identité sénégalaise fait l’objet d’un mandat d’arrêt émis par l’Etat du Sénégal.

Pour la paix et le référendum d’autodétermination en Casamance

Quelle unité peut-il y avoir quand s’amoncellent des cadavres toujours plus nombreux entre chaque famille sénégalaise et casamançaise ? Quelle « intégrité territoriale » prétend-on défendre en tuant, en bombardant les populations qui vivent sur ce territoire ? De quel panafricanisme s’agit-il quand on est réduit à défendre à un prix toujours très élevé en vies humaines des frontières définies par la balkanisation de l’Afrique opérée à la conférence de Berlin en 1884-1885 et par la loi-cadre de Gaston Deferre en 1956, dite de «l’autonomie interne », qui a donné à chaque future bourgeoisie africaine un « territoire indépendant » gouverné par des pro-consuls de l’empire néo-colonial françafricain né de l’empire colonial français ?

Ces questions doivent être posées frontalement contre le chauvinisme au Sénégal de ceux qui font « consensus » avec les gouvernements successifs pour refuser toute réflexion sérieuse sur la question nationale et panafricaine casamançaise.

Il est en effet impossible d’inclure la Casamance même par le forceps des traficotages historiographiques dans le Sénégal produit du colonialisme. Il est tout aussi indéniable que, suite à la fondation du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), en octobre 1946 à Bamako, le 5 mars 1947, à Sédhiou, fut fondé le Mouvement de Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) qui revendiquait l’indépendance de la Casamance en ces termes sans équivoque, disant que « la Casamance prenne en mains toutes ses affaires politiques » (Manifeste du MFDC de 1949).

Les figures d’Aloendiso Basséne, de Sihalébé Diatta, d’Aline Sitowé Diatta, d’Edouard Diatta, de Victor Diatta et de Diamancoune Senghor, etc., ont incarné cette résistance nationale casamançaise. Cette longue marche vers la souveraineté a été symbolisée lors des deux guerres 1914-1918 et 1939-1945 par le slogan : « La Casamance aux Casamançais, indépendance de la Casamance ».

Voilà pourquoi la seule vraie solution est l’organisation en Casamance d’un référendum sur la question de l’indépendance dont les modalités doivent être fixées en commun accord entre l’Etat du Sénégal et le MFDC.

Pour l’union libre des peuples libres d’Afrique

L’argument panafricaniste est souvent opposé au principe du droit à la libre disposition par un référendum en Casamance. Il y a même ceux qui agitent la menace d’autres revendications sécessionnistes régionalistes pour disqualifier tout examen sérieux des fondements indépendantistes de l’histoire casamançaise. Il y a là le développement fulgurant dans certaines couches sociales dominantes, notamment l’intelligentsia, d’un micro-nationalisme des micro-états forgés par le processus de balkanisation coloniale de l’Afrique.

La balkanisation coloniale a été à la fois la séparation de peuples par des frontières fixées par la conquête militaire des puissances coloniales et l’enfermement de populations à l’intérieur de frontières – par exemple AOF, AEF, Maghreb – sans consultations de celles-ci. Puis dans des frontières de micro-Etats en faisant exploser les entités coloniales intégrées qu’étaient l’AOF et l’AEF. En 1960 au moment des indépendances seule « l’intégration monétaire » avec la Zone franc a été préservée pour capter 65% des réserves de change de chaque Etat.

Il ne s’agit nullement d’ouvrir une boîte de pandore par le référendum, mais il s’agit de se confronter à la réalité incontournable d’un mouvement indépendantiste casamançais qui a su renaître après une expérience de 22 ans « d’unité avec le Sénégal » de 1960 à 1982 et qui en a conclu que celle ci n’a pas été mutuellement avantageuse. Ce qui est vérifiée.

Aux panafricanistes qui prétextent « l’intangibilité des frontières » nées de « la balkanisation de l’Afrique » par le charcutage colonial qui a, à la fois, séparé et uni les peuples africains sans leur demander leur avis pour les besoins prédateurs du partage colonial de l’Afrique, Diamancoune Senghor répondait à juste titre : « Laissez les partir, ces Casamançais, pour mieux se retrouver peut-être, avec le temps, dans une situation plus claire, plus naturelle et plus équilibrée » (Ferñent N°65 de novembre 1990 qui cite Xarébi N°30, p.4).

En effet, on se rappelle qu’en 1981 Ab dou Diouf, par l’invasion militaire et le sauvetage du gouvernement de Daouda Diawara en Gambie, avait enlevé l’«arrête» gambienne dans le bouche du Sénégal en imposant la « confédération sénégambienne ». Celle-ci même dotée d’un parlement devait mourir de sa belle mort annexionniste parce que faite sans les peuples et contre les peuples.

Il faut aussi se rappeler que lors de la guerre de libération de Guinée Bissau, la Casamance a été une base arrière naturelle de l’armée de libération nationale du PAIGC très souvent bombardée et martyrisée par les colonialistes fascistes Portugais. Bref la Guinée Bissau, la Gambie et la Casamance, pour ne citer que ces trois territoires, partagent les mêmes peuples séparés par la volonté des colonisateurs français, portugais et anglais.

Le panafricanisme des travailleurs africains consiste à partir de ces réalités objectives pour proposer l’union libre des peuples libres de Guinée, de Gambie, du Sénégal et de la Casamance. Cet objectif peut être signifier dans le processus passant par le référendum sur l’autodétermination en Casamance que nous proposons. En effet la question casamançaise est la clef ouvrant la porte d’une telle perspective unitaire étape vers une unité plus large avec d’autres pays africains.

Nous ne faisons ainsi qu’actualiser la prévision d’avant-garde formulée par Thiémokho Garang Kouyaté dans les années 30 dans « Appel aux peuples du Sénégal et du Soudan » : « Nous luttons pour le droit des peuples du Sénégal à disposer d’eux-mêmes en rendant le Sénégal indépendant de l’empire français et en formant un Etat national indépendant des peuples du Sénégal, selon les principes fédératifs, par l’alliance libre des peuples libres.

Il est temps, grand temps que les révolutionnaires panafricanistes passent du discours généraliste sur l’unité africaine à des propositions et actes concrets faisant passer dans la vie cette aspiration légitime des peuples travailleurs d’Afrique. Il est aussi grand temps qu’au moment où s’éveille l’Asie et l’Amérique du sud, nous autres Africains puissions les rejoindre pour refonder un mouvement mondial pour l’égalité des peuples à partir de l’esprit de Bandoung et de la Tricontinentale des années 50 et 60-70.

* Guy Marius Sagna et Fodé Roland Diagne sont membres de Ferñent/ Mouvement des Travailleurs Panafricains-Sénégal

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