Révoltes sociales et démocratie en Afrique
Les révoltes des peuples contre les régimes autocratiques et criminels sont un fait que tout être humain à le devoir moral de soutenir. Cependant, au nom de la prétendue « défense de la démocratie », force est de constater que les soutiens à ces manifestations populaires sont sélectifs et à géométrie variable chez les puissances impérialistes occidentales.
Dans le pré carré français d’Afrique, des centaines de manifestations, des révoltes populaires des luttes armées ont lieu, mais elles ont été systématiquement réprimées dans le sang par les dictateurs imposés par la France aux peuples africains. Certains tyrans comme le Général président Déby au Tchad, au pouvoir depuis 20 ans, possèdent un palmarès sinistre avec plus de 31 000 Tchadiens assassinés selon les rapports des associations des Droits de l’Homme. Il fut sauvé à plusieurs reprises grâce aux interventions militaires de l’Armée française contre les Forces de résistance nationale. Le dernier et spectaculaire sauvetage du soldat Déby fut celui du 3 février 2008, quand les patriotes des Forces de résistance nationale, ou le bras armé du peuple tchadien insurgé, ont encerclé le palais présidentiel avant d’être délogées par le Commandos d’opérations spéciales de l’Armée française [Cf. La Croix du 10 fév. 2008]
Aussitôt sauvé, le despote tchadien a liquidé physiquement Dr Ibni Oumar, président de la CPDC, une coalition des partis d’opposition démocratique. Ce crime n’a pas mobilisé le président Sarkozy, ni les médias de l’Hexagone et moins encore le groupe d’intellectuels français représenté par le philosophe Bernard Henri Lévy (BHL) toujours prompt à organiser des manifestations contre les régimes qui porteraient « atteinte aux Droits de l’Homme ». L’exception tchadienne et africaine en général suscite indignation : c’est de l’abomination et un déni de démocratie aux peuples africains.
Les dirigeants des puissances occidentales qui se font les chantres et défenseurs de la démocratie et leurs médias occidentaux sont aphones et aveugles pour les révoltes populaires dans ces contrées ou les habitants ont la peau d’ébène. Il y aurait en filigrane une philosophie raciste qui attesterait que le Noir serait immature pour la démocratie. L’ancien président français Jacques Chirac déclarait lors d’une conférence de presse en 1990, à Abidjan : « L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie » et son successeur Nicolas Sarkozy, dans son discours à Dakar en juillet 2007, affirmait : «L’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ».Ces propos humiliants et méprisants reflètent le profond sentiment des impérialistes occidentaux à l’encontre des populations noires et du continent africain.
Parallèlement aux révoltes populaires en Tunisie puis en Egypte, des manifestations de jeunes, d’étudiants, élèves ont embrasé plusieurs grandes villes dont la capitale du Burkina, Ouagadougou, en février dernier. Le gouvernement françafricain du président Blaise Compaoré à violemment réprimé les jeunes avec un bilan provisoire de 5 morts. [Cf. San Finna du 23 Février 2011] Pour les impérialistes, y a rien à voir, circuler !
Sous prétexte de protéger les populations civiles et de soutenir la « révolution démocratique » dans l’Est libyen, les puissances impérialistes ont déversé des bombes sur les populations civiles de Tripoli, faisant de nombreux morts civils. Le président Sarkozy qui arborait fièrement un sourire après les bombardements en soutien à ses alliés et insurgés de Bengazi depuis un mois, serait-il aveugle à l’insurrection armée contre le régime dictatorial de Deby au Tchad, qui est vieux de 21 ans?
Mieux encore, la France a reconnu après trois semaines d’insurrection le Conseil National de Transition(CNT) siégeant à Benghazi, comme étant le représentant légitime du peuple libyen, alors que les Forces de résistance nationale tchadiennes existent depuis deux décennies. Quelle contradiction de constater que la France qui affirme à satiété sa ferme opposition contre la prise de pouvoir par les armes, soit le premier pays démocratique à reconnaître le CNT? Que cacherait cette précipitation ? Serait-elle diplomatico-militaro-financière?
Comparativement aux révoltes sociales en Tunisie et en Egypte où les peuples étaient pacifiques et sans armes, en Libye, les reportages des télévisions montraient des hommes lourdement armés qui marchaient vers l’Ouest à la conquête de Tripoli. Une fraction de l’armée séditieuse serait impliquée dans ce mouvement d’insurrection?
La situation géostratégique de la Libye entre la Tunisie et l’Egypte deux états dont les dirigeants Moubarak et Ben Ali étaient alliés des impérialistes, inciteraient ces puissances à éliminer le régime anti-impérialiste et insoumis du Colonel Kadhafi. Dans ces deux pays, il est à craindre que ces révoltes populaires ne soient accaparées par les agents de l’impérialisme car les puissances occidentales aimeraient avoir irréversiblement une mainmise sur ces deux pays en contrôlant l’évolution et le contenu de ces mouvements. Dans cette hypothèse, la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste, dont le dirigeant révolutionnaire, le Colonel Kadhafi, reste insoumis, devrait être éliminé comme l’a été Saddam Hussein par les puissances guerrières. À cet effet, ne seraient-elles pas impliquées directement ou indirectement dans les manifestations de Benghazi ? Car, sinon, le grain de sable libyen dans l’axe Tunisie-Egypte risquerait de bloquer leur mainmise complète et totale dans cette région africaine.
La crise économique mondiale provoquée par le système capitaliste a accentué la paupérisation des masses populaires dans les pays du Sud. Les recettes du néolibéralisme imposées aux peuples par ses bras armés que sont le FMI et la Banque mondiale ont causé des dégâts sociaux incommensurables. Les jeunes, en première ligne, ont déclenché les révoltes populaires sociales en Tunisie et en Egypte dont les gouvernements sont les nervis des puissances occidentales.
Dans ces deux pays, les mouvements étaient initiés et dirigés par les peuples et ne sont pas pilotés de l’étranger. Leurs légitimes révoltes sociales étaient véritablement populaires, nationales et organisées. Ce qui a permis des victoires rapides sur les dictateurs Ben Ali et Moubarak qui ont pris la poudre d’escampette. En revanche pour la Libye, le complot impérialiste contre le Colonel Kadhafi est évident. En effet, il y a 42 ans quand les Etats Unis et la Grande Bretagne ont perdu leur mainmise sur le pays après la révolution du 1er septembre 1969 et leur revanche et rancœur contre leur tombeur demeurent tenaces.
De plus, les impérialistes tenteraient de contrôler et d’orienter les révoltes en Tunisie et en Egypte qui devraient assurer la préservation de leurs intérêts dans ces deux pays. Ce qui serait probable, car ils disposeraient encore de nombreux agents dans les rouages administratifs. En revanche, l’existence du Colonel Kadhafi, un nationaliste et révolutionnaire entre ces deux pays maghrébins, risquerait de susciter des réflexes de révolution radicale et nationaliste en Tunisie et en Egypte, par conséquent, l’élimination du guide devient l’obsession des puissances impérialistes.
De ce qui précède, pourrait-on véritablement parler de révolte sociale ou de révolution déclenchée à Benghazi en Libye eu égard à la misère des populations tunisiennes et égyptiennes? De plus, les révoltes sociales dans les deux pays sont pacifiques tandis qu’en Libye, les images de télévisions montrent des manifestants lourdement armés (Chars, Véhicules blindés, RPG, Roquettes, Canons, Mitrailleuses lourdes, Fusils d’assaut…) qui déferlaient vers l’Ouest en direction de Tripoli. Quelles sont les origines de cet armement ? Certains militaires et responsables politiques qui ont été des proches collaborateurs du Guide Kadhafi pendant des décennies ; ceux là même qui ont contribué à asseoir et renforcé le régime ont fait défection organisaient-ils un coup d’état armé ? Quelle devrait être la réaction institutionnelle de tout gouvernement légal face à une insurrection armée quelle soit légitime ou non?
À ces interrogations, le professeur d’histoire et de sciences politiques, Pierre PICCININ écrit : « le gouvernement libyen, au moyen de l’armée régulière, pour dictatorial qu’il soit (la légitimité d’un gouvernement, selon le droit international, ne repose nullement sur le critère démocratique), ne vise en aucun cas à massacrer des civils, mais à réprimer une rébellion, armée, qui tente de renverser par la force l’ordre établi, et ce, en outre, dans un contexte tribal qui oppose le nord-est du pays (Benghazi et Tobrouk) aux tribus, majoritaires, qui soutiennent le clan Kadhafi. » [Le post 21 mars 2011]
* Dr Ley-Ngardigal Djimadou est sécrétaire général d’Action Tchadienne pour l’Unité et le Socialisme / Parti Révolutionnaire Populaire et Écologique (ce texte est extrait d’une déclaration – le titre est de la rédaction)
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