Race ou classe ? Regards croisés Afrique-Brésil… France

L’une de ces revendications forte dans le formidable mouvement social qui a affecté le Brésil ces dernières semaines, est la reconnaissance de l’africanité de la majorité des Brésiliens, et donc du Brésil. Une telle position est le fondement de la solidarité afro-brésilienne, telle qu’elle est voulue par les militants panafricanistes, au-delà des relations de l’industrie et de la coopération bilatérale du Brésil avec les pays africains.

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En recherchant les éléments me permettant de noircir les pages blanches devant moi, avant que n’expire le délai fatidique fixé par Pambazuka pour ce numéro spécial sur l’Afrique et le Brésil, je note que deux rubriques du quotidien Le Monde, paru le 29 juin 2013, font mon affaire. Elles peuvent servir de point de départ parce qu’elles évoquent la notion de race et…le récent mouvement social au Brésil.

Le supplément « Fin de race » évoque le débat sur la suppression du mot race de l’article 1 de la Constitution française de 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » Le mot race avait promis le candidat François Hollande lors d’un meeting du 19 mars 2012, devra être retiré car, dit-il, "il n'y a pas de place dans la République pour la race. Et c'est pourquoi je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot race de notre Constitution". Son remuant allié, le Front de gauche, mené par Jean-Luc Mélenchon, a fait adopter une loi en ce sens en mai 2013. Le Journal Le Monde évoque les réticences de certains intellectuels dont les engagements et les travaux portent sur le racisme, la « question « noire », bref, la pertinence sociologique de la notion de race en tant que facteur de discrimination, même si du point de vue biologique, l’homme est un (cf. l’interview du biologiste Bertrand Jordan). .

Quant aux articles de Nicolas Bourcier et de Benoît Hopquin sur le Brésil, il voudrait dresser un bilan des revendications de transformation sociale qui se sont exprimées, et « un portrait croisé des frondeurs » qui les ont portées. La question que je me pose tout de suite est de savoir quelle place les Afrobrésiliens ont occupé dans le formidable mouvement social qui a affecté le Brésil. Autrement dit, en me référant au débat induit par le quotidien français, je poursuis une inclination différente du processus de révision constitutionnelle. Je ne me dis pas qu’il faut penser ce mouvement en dehors de la race. Par exemple, lorsque les préparatifs de la prochaine Coupe du monde de football ont commencé, les favelas habitées majoritairement par des Afrobrésiliens ont été ciblées.

Peut-on considérer alors que les luttes populaires – classe moyenne incluse si l’on en croit le vénérable journal - contre les excès du capitalisme footballistique ont atteint la classe moyenne… blanche alors que les classes populaires noires ont été, plus tôt, les premières victimes de l’offensive, classique, des grands groupes contre la société, pour préparer celle-ci à la violence économique que recouvre le football télévisé ? Il serait utile d’y réfléchir en raison de la deuxième question.

La deuxième question que soulève la transposition au Brésil du questionnement franco-français sur la légitimité de la race est l’impact de la conjoncture sociale et économique brésilienne sur les relations en l’Afrique et le Brésil. Comment ?
Le dernier épisode marquant de cette relation qui se déploie en apparence loin des cénacles du panafricanisme est, on le sait, l’annulation de la dette bilatérale de douze pays africain, pour un montant avoisinant les 900 millions d’euros. La présidente du Brésil, Wilma Roussef, l’a annoncé lors du sommet du Cinquantenaire de l’Union africaine, en mai dernier à Addis-Abeba. Cependant, dans l’éthos panafricaniste, cette annonce intéressant les Etats et les gouvernements relève d’un registre différent du substrat social et historique qui donne traditionnellement toute son épaisseur à la relation entre l’Afriques et le Brésil, à même les communautés.

En effet, le fer de lance du moment panafricain qui a atteint son sommet avec la deuxième Conférence des intellectuels d’Afrique et de la diaspora tenue en juillet 2006 à Salvador de Bahia, a été le mouvement noir du Brésil, resté longtemps périphérique en raison de la prégnance des héritages linguistiques postcoloniaux liés à l’anglais et au français. Le boom de ce mouvement est symbolisé par l’adoption, sous Lula, de la loi 10.639, récemment mise en œuvre à l’Université de Sao Paulo, à travers la commémoration de la journée du 25 mai.

Dans le mode opératoire du militantisme afrobrésilien, le mot race est omniprésent : titre d’un magazine branché, il est aussi le nom du groupe « raça negra ». La problématique de l’héritage réclamée, que les Etats-Unis ont connu dans les années 1960 du 20e siècle, est ici actuelle, même si elle est élaborée différemment, notamment dans son rapport aux lutes de libération en Afrique. Au fond, ce que montre l’afrocentrisme brésilien, mais aussi africain ou caribéen, c’est que la race est un langage commode pour exprimer une marginalisation non dépassée, issue du passé. En revanche, le post-racialisme qu’implique la tentative française d’épuration de la chose par le mot rejette une immersion dans ce passé tant ressassé : passé de l’esclavage aboutissant au présent des exclusions et des discriminations.

Le danger, souligné à juste titre par les intellectuels et activistes noirs est de rejeter avec le mot la mémoire collective ancrée crée par l’expérience historique. Le corollaire de la neutralisation sémantique de la race serait par exemple d’ouvrir largement toute la problématique de la discrimination sur le terme générique de genre, incluant les femmes, homosexuels et les transgenres, ou encore de revenir à une idée assez abstraite de la classe pour récuser la question afrobrésilienne dans l’ensemble des transformations sociales qui affectent le Brésil.

Pour revenir au mouvement social brésilien, il est étonnant que Le Monde aie omis les revendications propres au mouvement afro-brésilien dans l’économie générale de la grande protestation qui vient de s’exprimer. Or l’une de ces revendications forte est la reconnaissance de l’africanité de la majorité des Brésiliens, et donc du Brésil. Une telle position est le fondement de la solidarité afro-brésilienne, telle qu’elle est voulue par les militants panafricanistes, au-delà des relations de l’industrie et de la coopération bilatérale du Brésil avec les pays africains.

Aussi, la troisième question que soulève cette expansion volontaire des thèmes abordés dans Le Monde - au fond un prétexte, on l’aura compris - c’est celle de l’avenir des thèses de Lula. L’ex-président, à Malabo en 2012 et encore récemment à l’Université de Sao Paulo, souligne constamment sa conception d’une coopération renouvelée entre le Brésil et l’Afrique basée sur un universel particulier : celui porté par les peuples du Sud à la recherche des voies de sortie du capitalisme et de ses corollaires, le racisme encore si prégnant en Europe, et l’existence de dictatures déguisées sur le continent africain, fondés sur l’exploitation brutale des ressources naturelles et humaines des pays par une minorité. Autrement dit le combat des Afrobrésiliens pauvres et des peuples d’Afrique est le même.

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