RD Congo : Une justice prise en otage
Dans une RD Congo ravagée par des années des conflit, avec un Etat déstructuré qui a du mal à se remettre en place, l’accès à la justice reste un des points les plus critiques pour les populations. Là où elle aurait pu installer un début de sécurité personnelle et de confiance pour les lendemains, elle a du mal à exister, voire à être effective. Ce qui est en place comme pouvoir judiciaire, regrette Bruno Nkoy, est pris en otage des personnes fortunées qui manipulent ses membres leur gré. En milieu rural, ajoute-t-il, l’injustice trône encore plus, dans la mesure où les possibilités d’ester en justice sont minimes et les instances judiciaires en mauvais état ou tout simplement inexistantes.
La justice est l’un des supports les plus adaptés et acceptés par les sociétés humaines pour la sécurité des hommes et de leurs biens sans distinction d’âges ni de races. Elle est au-dessus de tous, indistinctement des avoirs matériels et des rangs sociaux. C’est pourquoi, depuis un certains temps dans une certaine société, la justice est devenue le fondement des institutions sociopolitiques afin de permettre à chacun d’avoir accès à cette justice, afin d’avoir une société évolutive avec des membres égaux.
Une société évolutive avec un accès aisé à la justice, voilà l'idéal qui semble une réalité pour les uns et un mirage pour les autres, surtout dans les pays en développement en général et en République démocratique du Congo en particulier, où l’injustice trône encore et les possibilités d’ester en justice très minimes, surtout en milieux ruraux où les instances judiciaires sont quasiment en mauvais état ou tout simplement inexistantes. Cas des tribunaux de paix, très mal répartis par rapport à l'étendue du pays et aux besoins de la population.
Actuellement, les tribunaux de paix congolais connaissent d'énormes difficultés pour leur fonctionnement. Ce qui constitue une entrave au perfectionnement de la justice parce que les moyens et les conditions ne sont pas tous réunis pour permettre au personnel judiciaire d’exercer valablement son travail.
Du point de vue répartition, cas de Kinshasa, sur une population de plus ou moins 8 millions d’habitants répartis sur vingt-quatre communes, on ne retrouve que huit tribunaux de paix: très insuffisant par rapport aux besoins. Malgré cet handicap, l’apport matériel constitue une autre grande difficulté à laquelle sont confrontés les tribunaux de paix pour leur fonctionnement, notamment le manque de supports informatiques, de mobiliers, de fournitures des bureaux. Et pourtant, cela ce n’est qu’à Kinshasa, où siègent toutes les institutions nationales des représentations des institutions internationales. Alors, nous n’osons même pas imaginer dans quelles conditions se trouveraient les tribunaux de paix de l’intérieur du pays où certaines personnes font des dizaines de kilomètres pour se rendre à des tribunaux pour ester en justice.
En dépit de cela, la personnel judiciaire travaille dans l'indigence qui l'expose à la corruption et aux trafics d’influence des autorités politico militaires du fait de mauvaise rémunération. Des actes qui détruisent l’image de la justice et détériore des plus en plus la situation judiciaire. En passant, il faut peut-être rappeler que la corruption est très courante en République démocratique du Congo et particulièrement dans le milieu judiciaire. Elle règne au point où certaines sentences se rendent avant même que le procès ait lieu.
Plusieurs personnes sont dans des prisons pendant des temps longs parce que seulement ils ne peuvent pas donner de l’argent qu’on leur exige. D’autres, qui possèdent des moyens financières suffisants prennent la justice en otage en manipulant le personnel judiciaire comme bon leur semble. Ce dernier travaille dans des conditions inhumaines, sans moyens de déplacement lors des missions sur terrain. Les magistrats et les huissiers qui se vouent souvent à leurs seules cartes de service pour se déplacer (en RDC, les agents de l'Etat utilisent leurs cartes des services pour se déplacer dans des taxis bus, cet à dire ils ne payent pas le frais de transport).
Très souvent, les greffiers sont en butte à des problèmes de réception des personnes qui n’ont pas des notions primaires de droit. Ils doivent, à chaque fois, s'adonner à des exercices d’explication de procédure judiciaire, une preuve qui la plupart des Congolais ne maîtrisent pas les lois congolaises ; des intellectuels aux analphabètes, tous ignorants des notions judiciaires. Ce qui peut expliquer les désordres qui se déroulent très souvent à la cité, dans les avenues et quartiers où les arrestations se font et les officiers de police judiciaire jugent et condamnent à la fois parce que les plaignants et les présumés coupables ignorent totalement leurs droits et devoirs, non seulement à cause de cela mais aussi parce que les officiers police judiciaire désirent soutirer quelques billets de banque aux « coupables » et ceux qui ne sont pas en mesure de donner sont envoyés devant les instances appropriées.
Il faut retenir qu’un officier de police judiciaire (OPJ) a une place centrale dans l’accès à la justice, il est un corps d’agents de l’Etat chargés de constater les infractions à la loi pénale, de rassembler les preuves de la commission des infractions et d’en rechercher les auteurs présumés. En soi, c’est le ministère public qui est chargé par la loi de rechercher les infractions aux lois et règlements, mais ne pouvant pas être partout, le ministère public est aidé par les O.P.J, qui sont les yeux et les oreilles du parquet. Donc, l’officier de police judiciaire est et demeure la personne à travers laquelle doit passer la population pour avoir accès à la justice.
Dans des cités congolaises, peu sont ceux qui peuvent demander une justice équitable. Soit parce que le taux de la taxation du système judiciaire est élevé par rapport à ce qu’ils gagnent, soit parce qu’ils ignorent totalement les procédures judiciaires à suivre ou la loi sur laquelle doit être fondée sa requête. C’est pourquoi, vous trouverez plusieurs maux qui rongent la société très souvent traités en famille ou à l’amiable par rapport à la coutume. Et ceux qui veulent aller en justice, ils préfèrent aller être jugés selon la justice coutumière parce qu’ils ont une idée générale de ce qu’elle contient.
En fait, en Afrique, la vie sociale a été régie par la coutume pendant des générations et c’est avec l’arrivée de la colonisation que le droit écrit est apparu pour cohabiter avec le droit non écrit (la coutume) et depuis, les deux systèmes juridiques coexistent de manière parallèle sans toutefois se connaître. Et pourtant, « les droits coutumiers s’imposent sur 80% du territoire congolais », selon le rapport d’état de lieux de l’audit organisationnel du secteur de la justice en République démocratique du Congo (synthèse mai 2004). Des droits très souvent appliqués par la population rurale qui est majoritaire. Et c’est ce qui est aussi à la base de la persistance de la justice coutumière. Or, tant que cela durera, les acteurs judiciaires auront toujours du mal à faire associer les deux systèmes judiciaires en vue de faire vivre un système meilleur que celui actuel.
En définitive, l’accès à la justice est de mal en point en République démocratique du Congo. Elle n’est pas à la portée de tous, prise en otage qu’elle est par des personnes fortunées qui manipulent les membres de pouvoir judiciaire à leur gré. Les structures de base sont absentes et ne permettent pas à l’autorité publique d’installer le pouvoir judiciaire à la portée de la population qui, à son tour, est très mal informée à la matière.
* Baron NKOY ([email protected])
* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org