Regard critique sur la crise post-électorale ivoirienne
Ce qui s’est passé au Zimbabwe, avec Mugabe imposant le partage d’un pouvoir perdu à Tsvangirai, et au Kenya avec Kibaki en faisant de même vis-à-vis d’Odinga, ne doit pas se répéter en Côte d’Ivoire entre Gbagbo et Ouattara. Ce dévoiement de la démocratie ne peut être une «voie africaine». Des moyens politiques et des instruments juridiques existent pour la combattre, explique Kwado Appiagyei-Atua.
Une fois de plus, un scénario déplaisant mais familier se joue dans la politique africaine : un président refuse de céder son pouvoir perdu suite à des élections organisées selon la Constitution et supervisées par la communauté internationale, qui les déclarent libres et justes.
Cette fois ce n’est ni le Zimbabwe ni le Kenya, mais la Côte d’Ivoire. L’organisateur du complot suit le mauvais exemple donné par l’Union africaine et exploite les échappatoires qui subsistent en dépit des expériences négatives du Zimbabwe et du Kenya. La situation en Côte d’Ivoire met en lumière la faiblesse des positions de l’Union africaine et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en ce qui concerne la reconnaissance collective et l’urgente nécessité qu’il y a à procéder à une révision.
BREF RAPPEL HISTORIQUE
La Côte d’Ivoire est un pays divisé suite à la tentative de coup d’Etat du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) en 2002. La tentative de coup s’est transformée en rébellion armée qui a abouti à la prise de pouvoir par le MPCI à Bouaké et à Korhogo et sur la partie nord du pays. La tentative de coup d’Etat trouve son origine dans des tentatives précédentes, suite à l’introduction du concept ‘’d’ivoirité’’, dont le but était de marginaliser Alassane Ouattarra sous le prétexte qu’il n’est pas de pur sang ivoirien et ne peut donc se porter candidat à la présidence.
LES RESULTATS DES ELECTIONS ET LEURS CONSEQUENCES
Suite à une série de pourparlers qui ont abouti à divers accords qui devaient ramener la paix et la démocratie dans le pays assiégé, des élections ont finalement eu lieu en octobre 2010. Les élections n’ont pas permis de désigner clairement l’un des candidats comme vainqueur. Selon l’article 36 de la Constitution ivoirienne, un deuxième tour était nécessaire. Lequel a produit un vainqueur en la personne de Ouattara.
Les résultats du deuxième tour auraient dû être annoncé par la Commission électorale indépendante dans les deux jours qui ont suivi le scrutin. De façon spectaculaire, le jour où les résultats devaient être annoncés, les représentants de Gbagbo se sont emparés des résultats et les ont déchirés en présence de la presse internationale. De toute évidence, les résultats n’étaient pas en faveur de Gbagbo.
L’échéance pour l’annonce des résultats étant passée, une crise constitutionnelle a été créée, qui a donné à Gbagbo l’occasion, une fois de plus, de recourir à un de ces subterfuges. Mais le président de la Commission électorale a été assez brave pour quitter le siège de l’institution pour se rendre en un lieu plus sûr pour annoncer le résultat. Peu après l’annonce, Gbagbo s’est rendu à la Cour constitutionnel qui a décidé de le déclarer vainqueur. Mais la communauté internationale n’a pas accepté cette décision. Elle a commencé à reconnaître le gouvernement de Ouattarra et à lui envoyer des messages de félicitations.
Il est ironique que ni l’Union africaine ni la CEDEAO n’aient envoyé de messages de félicitations. Comme de coutume, l’Union africaine a exprimé sa ‘’profonde préoccupation’’ et a envoyé Tabo Mbeki pour amorcer une médiation entre les deux parties. La CEDEAO s’en aussi fendue d’une déclaration qui notait que ‘’dans les circonstances prévalentes, la CEDEAO condamne fortement la tentative d’usurpation de la volonté populaire de la Côte d’Ivoire et en appelle aux différents protagonistes pour qu’ils acceptent les résultats déclarés par la commission électorale’’.
Puis, dans le style de Mwai Kibaki, Gbagbo a vite organisé une cérémonie pour prêter serment, cérémonie au cours de laquelle il a saisi l’occasion pour s’en prendre à la communauté internationale et à Ouattarra. Il est cité par la BBC comme ayant dit que ’’vous pensez que vous pouvez tricher, que vous pouvez bourrer les urnes électorales et intimider les électeurs et que l’autre partie n’y verra que du feu’’. Ceci était calculé pour que Gbagbo se retranche dans son pouvoir et fasse valoir son rôle de négociateur incontournable.
L’INTERPRETATION DES ACTIONS DE GBAGBO
Selon la Déclaration de Lomé qui affiche la position de l’Organisation de l’Unité africaine en cas de changement non constitutionnel de gouvernement, les actions de Gbagbo sont à ranger dans ce registre. La Déclaration prévoit qu’un changement de gouvernement inconstitutionnel a eu lieu lorsque les circonstances ci-après sont présentes :
- un coup d’Etat militaire à l’encontre d’un gouvernement démocratiquement élu ;
- l’intervention de mercenaires pour remplacer un gouvernement démocratiquement élu ;
- le remplacement d’un gouvernement démocratiquement élu par des groupes armés dissidents ou des mouvements rebelles ;
- le refus d’un gouvernement en exercice de remettre le pouvoir au vainqueur suite à des élections libres et régulières.
La Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance, un traité adopté lors de la 8ème session des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine en 2007, mais qui doit encore entrer en vigueur, ajoute un cinquième critère dans l’article 23 (5), concernant ‘’tout amendement ou révision de la constitution qui empiète sur les principes de changement démocratique de gouvernement.’’
Cette disposition est interprétée comme faisant référence à un président en exercice qui change les conditions des élections afin de rester au pouvoir pour un troisième mandat, voir indéfiniment. Il y a l’exemple du Niger, où Mamadou Tandja a manipulé la Constitution pour obtenir un troisième mandat avec, pour conséquence, un coup d’Etat lors duquel il a été renversé.
Lors d’un changement anticonstitutionnel de gouvernement, il est attendu de l’Union africaine qu’elle condamne cet acte. Ce qui revient à la non reconnaissance du gouvernement aux yeux du droit international. La reconnaissance, en général, se réfère à un acte unilatéral qui reconnaît l’existence d’un gouvernement ou d’un Etat par un autre Etat ou gouvernement, ou organisation internationale. La reconnaissance par un Etat ou un gouvernement est un acte politique qui ne prend pas nécessairement en compte le contexte légal qui prévaut au moment de la naissance du nouvel Etat ou gouvernement. Toutefois, s’agissant d’organisations internationales, la reconnaissance est soumise à un certain nombre de principes et de normes qui font partie intégrante de l’organisation, soit par des traités constitutifs ou d’autres documents, soit par une déclaration, une décision ou une résolution. Il s’ensuit que la non reconnaissance signifie qu’un gouvernement qui prétend exister n’existe en effet pas d’un point de vue légal.
La prochaine étape, du point de vue de l’Union africaine et de la CEDEAO, consiste en une reconnaissance de facto. Ce qui signifie que le nouveau régime est toujours considéré comme illégitime, mais compte tenu du fait qu’il contrôle pays, il requiert une forme de reconnaissance. La situation est alors évaluée du point de vue de son impact sur la paix et la stabilité du pays.
Ensuite l’Union africaine et la CEDEAO demanderont au pays de revenir aux règles constitutionnelles dans un certain délai, c'est-à-dire dans les six mois. Une règle additionnelle veut que le régime de facto s’abstienne de participer aux élections qui doivent ramener le pays aux règles institutionnelles. Cette règle a été appliquée dans le cas de Moussa ‘Dadis’ Kamara en Guinée en 2008, après qu’il a pris le pouvoir suite au décès de Lansana Conté.
Lorsqu’on fait référence à la reconnaissance par les Etats, il est habituel qu’il y ait deux reconnaissances en parallèle. Une reconnaissance de facto peut être accordée à un gouvernement qui a usurpé le pouvoir, cependant qu’une reconnaissance de jure (selon la loi) peut être accordée à un gouvernement renversé en exil. Le temps aidant, le reconnaissance de jure peut être retirée au gouvernement en exil et transféré au gouvernement de facto. Cette situation se présente généralement lorsque le gouvernement de facto a réussi à effectivement contrôler le pays et que la population accepte ou approuve son autorité. Et, troisièmement lorsque le nouveau gouvernement, en règle générale, respecte le droit international, les traités et autres obligations de l’Etat. A ce moment, le gouvernement démis agonise.
Toutefois, ni l’Union africaine ni la CEDEAO n’accordent en général de reconnaissance de jure à des gouvernements expulsés. La seule exception a été le cas d’Ahmed Tejan Kabbah en Sierra Leone, qui a été destitué par un putsch militaire du Conseil révolutionnaire des forces armées (Armed Forces Revolutionary Council) et que l’Union africaine et la CEDEAO ont continué à considérer comme étant le gouvernement légitime alors en exil en Guinée.
Mais le plus souvent, l’Union africaine et la CEDEAO vont simplement condamner l’acte et demander au nouveau régime de revenir à la règle constitutionnelle du pays. Toutefois, cette approche qui consiste à utiliser la reconnaissance, est considérée comme inadéquate pour mettre un terme aux changements inconstitutionnels de gouvernement en Afrique.
Ce qui s’est produit en Côte d’Ivoire n’est pas un coup d’Etat. Il s’agit du refus d’un président en exercice de céder le pouvoir après avoir perdu les élections. S’il est vrai que les réactions de l’Union africaine et de la CEDEAO ne sont pas très effectives, dans le cas présent elles ont été même pires.
Voici deux exemples pour illustrer notre propos : la situation au Kenya et au Zimbabwe.
Dans les deux situations, la demande au retour du respect de la constitution est pratiquement impossible, compte tenu du fait qu’il n’a pas été possible de fournir une réponse aux questions suivantes (parmi d’autres) : le gouvernement illégitime doit-il bénéficier d’un délai de six mois afin de réorganiser des élections ? l’organisation de deux élections en l’espace de six mois ne représente-t-elle pas un fardeau considérable pour un pays en voie de développement ? Y a-t-il des garanties que le gouvernement de facto s’abstiendra de participer à nouveau aux élections ? Est-on sûr que le gouvernement de facto ne préparera pas un gouvernement composé d’hommes de paille qui pourrait prendre le pouvoir?
C’est probablement parce que personne ne s’attendait à ce que ces questions se posent ou que personne n’a anticipé un tel scénario et en l’absence de lignes directrice claires qu’il a été optée une solution de partage du pouvoir comme une mesure ad hoc ou en attendant des jours meilleurs. On peut, peut-être, dire que c’est « Ubuntu », mais ce n’est certainement pas africain de partager le pouvoir de cette façon. Nous devons resituer cette discussion dans le contexte légal adéquat et simplement la décrire comme un acte inconstitutionnel qui bafoue le droit d’un peuple à l’autodétermination.
Au terme des articles 31 et 32 de la Constitution de la Côte d’Ivoire, la souveraineté réside dans le peuple qui, seul, en exerçant cette souveraineté, a le droit de choisir ses propres dirigeants au travers d’élections libres et équitables. Le suffrage est universel, libre, égal et secret.
Ce que Kibaki a fait au Kenya, Mugabe au Zimbabwe et maintenant Gbagbo en Côte d’Ivoire était et demeure illégal et inconstitutionnel. Dans le cas du Kenya, la constitution a dû être amendée afin de créer le poste de Premier Ministre pour Raila Odinga qui devrait être le dirigeant légitime du Kenya. Une situation similaire s’est représentée au Zimbabwe. Clairement Gbagbo a exploité cette échappatoire. Et ce scénario va probablement se répéter dans d’autres pays si l’Union africaine et la CEDEAO ne comble pas cette lacune
QUELQUES SUGGESTIONS DE SOLUTIONS.
A la lumière des échecs répétés de l’Union africaine à gérer de façon adéquate les changements inconstitutionnels de gouvernements , en particulier lorsque le président en exercice ne veut pas céder le pouvoir, l’Union africaine est appelée à changer de tactique et au lieu d’accorder une reconnaissance de facto au gouvernement illégitime, il reconnaisse de jure le gouvernement légitime.
Ceci serait une utilisation plus effective de l’outil de la reconnaissance pour mettre un terme aux changements inconstitutionnels de gouvernement en Afrique et contribuerait à enraciner la démocratie et l’usage du scrutin comme seul moyen légitime pour changer un gouvernement. Ainsi, l’Union africaine et la CEDEAO renonceraient à voir la reconnaissance comme une acceptation formelle d’un fait accompli, au profit d’un processus basé sur des jugements de valeurs qui reflèteraient les normes émergentes de la gouvernance démocratique en Afrique.
L’Union africaine et l’ECOWAS avaient donc oblilgation de reconnaître Ouattarra de jure, conjointement et immédiatement, comme l’ont fait d’autres organisations internationales comme les Nations Unies ou l’Union européenne. Ils devaient aussi immédiatement imposer des sanctions aux régimes de facto, dans ce cas le régime de Gbagbo, au lieu d’attendre six mois.
Au travers de son Conseil pour la Paix et la Sécurité, l’Union africaine devrait aussi appliquer les dispositions du Protocole qui a trait au Conseil pour la paix et la sécurité de l’Union africaine, entré en vigueur le 26 décembre 2003 ainsi qu’à la Charte africaine pour la démocratie, les élections et la gouvernance. Entre autre, elle pourrait avoir recours à l’art. 14 qui contient les dispositions suivantes :
- Les Etats parties prendront les mesures législatives et règlementaires pour garantir que ceux qui tentent de destituer un gouvernement élu par des moyens inconstitutionnels soient rétribués selon les dispositions prévues par la loi.
- Les Etats parties collaboreront les uns avec les autres afin que ceux qui tentent de destituer un gouvernement élu par des moyens inconstitutionnels soient rétribués selon les dispositions prévues par la loi.
‘’Selon les dispositions prévues par la loi’’ se réfère à la Constitution du pays concerné. Selon la Constitution ivoirienne de 2000, l’obligation est faite à toute personne vivant sur le territoire national de respecter la Constitution, les lois et règlements de la République.
L’Union africaine et la CEDEAO devraient éviter la situation du Togo où Faure Eyadema est resté libre bien que condamné pour usurpation du pouvoir dans un coup d’Etat militaire que la Constitution du Togo considère comme haute trahison. Ainsi, au lieu de laisser la loi suivre son cours et incriminer Eyadema et les militaires qui l’ont porté au pouvoir, ils lui ont permis de se présenter aux élections et de gagner, légitimant ainsi un acte illégitime.
Il mérite d’être noté que la Côte d’Ivoire est un Etat partie à la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et a été jusqu’à reconnaître dans sa propre Constitution que la Charte était applicable. La Charte doit donc être appliquée à la Côe d’Ivoire. A cet égard, la Commission africaine pour les droits humains et des peuples devrait immédiatement se réunir en une session urgente et promulguer une résolution qui condamne l’acte comme elle l’a fait dans d’autres situations de changements inconstitutionnels de gouvernement.
L’Union africaine et la CEDEAO - et les organismes afférents - doivent faire tout leur possible afin d’éviter qu’un régime illégitime obtienne une forme de légitimité. Ils devraient référer le cas au Conseil de Sécurité des Nations Unies afin que des sanctions soient prises à l’encontre du régime de Gbagbo. Chaque seconde qui passe permet à Gbagbo de s’incruster et de trouver une forme de légitimité. La réaction devrait être prompte, des décisions prises en accord avec ce qui précède, et exécutées avec alacrité.
Tabo Mbeki n’avait ni le charisme ni un sens aigu de la diplomatie pour arriver à une solution du problème. Sa ‘’diplomatie tranquille’’ dans le cas du Zimbabwe n’a en rien aidé le pays et a plutôt contribué au bourbier du partage du pouvoir dans lequel le Zimbabwe se trouve aujourd’hui. Ses précédentes tentatives dans la crise ivoirienne n’ont pas été particulièrement impressionnantes.
Il est espéré qu’il n’y aura pas d’autres accords en faveur du partage du pouvoir. Comme nous l’avons dit précédemment, les accords permettant le partage du pouvoir sont inconstitutionnels, illégaux et ne sont guère des solutions effectives. Ceci risquerait plutôt de plonger la Côte d’Ivoire dans plus de difficultés encore et pourrait même entraîner une sécession du nord du pays.
* Dr Kwado Appiagyei-Atua est professeur à la faculté de droit de l’université du Ghana, Legon. Il est un enseignant et un consultant en droit international public et droits humains internationaux.
Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org