Rhétorique et réalités de l’AFRICOM : Les leçons du Mali
Quelle est la valeur des interventions militaires et humanitaires américaines ? Regardez juste le cas du Mali : sa démocratie éclatée et les groupes rebelles qui y sont en maraude sont une image troublante de ce que peut devenir un Etat partenaire de l’AFRICOM.
Six mois après un coup d’Etat manqué, les nouvelles qui parviennent du Mali continuent d’être troublantes. Un rassemblement de groupes rebelles gagne constamment du terrain dans la région du Nord, pendant que la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’efforce de s’organiser pour une intervention des forces de sécurité au nom du gouvernement assiégé du Mali. Des dizaines de milliers de personnes déplacées sont confrontées à la faim et à l’insécurité dans des camps de réfugiés dans toute la région.
Alors que la désintégration de la stabilité politique du Mali est un coup du destin affligeant pour un pays qui a longtemps tiré sa fierté de la stabilité de sa démocratie électorale, le parcours récent du pays est une mise en garde importante pour le reste du continent africain. D’abord des élections présidentielles à intervalle régulier ne suffisent pas à faire une démocratie forte. Deuxièmement, les gouvernements africains devraient y regarder à deux fois avant d’accepter le United States Africa Command (AFRICOM) à l’intérieur de leurs frontières.
AFRICOM se présente comme une force pour la démocratie, les affaires humanitaires et la bonne gouvernance en Afrique en déclarant que les intérêts des Etats-Unis sont les mieux protégés lorsque les gouvernements africains sont forts. Pas plus tard qu’en août dernier, le général Carter Ham, commandant d’AFRICOM, décrivait la sécurité d’un Etat partenaire comme un aspect crucial de la mission d’AFRICOM [1]. Avec pour indicateurs pour critères de succès d’AFRICOM les réponses à apporter aux questions suivantes : Les gouvernements sont-ils capables de défendre leurs propres frontières et de faire une contribution régionale ? Leurs militaires respectent-ils l’autorité de la loi et les populations qu’ils servent ?
L’ironie est que pendant plus d’une décennie le Mali a été un partenaire principal pour AFRICOM. A grand renfort de millions, les forces américaines ont mené des opérations spéciales, ont fourni de l’entraînement dans le contre-terrorisme et contre le trafic de drogues dans les grands pays de l’Afrique de l’Ouest. Le Mali d’aujourd’hui, avec sa démocratie éclatée et des groupes de rebelles en maraude, offre une image troublante d’un Etat partenaire de l’AFRICOM.
Le 22 mars, à peine un mois avant l’élection présidentielle, Amadou Sanogo, un capitaine de l’armée malienne, a pris le contrôle du gouvernement en promettant d’écraser la lutte pour l’autonomie des Touareg dans les régions du nord du pays. Dans les dix jours qui ont suivi la prise de pouvoir, l’armée était mise en totale déroute par les forces Touareg. Depuis avril, ces dernières ont eu fort à faire pour ne pas perdre du terrain devant les multiples groupes rebelles, aux agendas divers et variés, qui ont profité du vide politique de la région du nord. Le groupe le mieux connu est Ansar Eddine, responsable de profanations à Tombouctou, ville classée au patrimoine de l’humanité de l’UNESCO. La présence d’Al Qaeda du Maghreb (AQM), une organisation islamiste reliée à Al Qaeda par un lien ténu, est aussi au centre des anxiétés concernant le terrorisme en Afrique de l’Ouest. L’Etat sécessionniste touareg, Azawad, a ainis fait appel à l’aide internationale, déclamant son identité par la déclaration qu’il est "le nouvel allié dans la guerre contre la terreur".[2] Au même moment les rigueurs de la sécheresse couplées à la violence politique ont généré le déplacement de 440 000 personnes, selon les estimations. Les signes avant-coureurs d’un désastre humanitaire sont déjà visibles.
Selon ses propres critères, la mission d’AFRICOM au Mali a échoué. Le capitaine Amadou Sanogo, auteur du coup d’Etat et qui porte la plus grosse responsabilité dans la chute du Mali dans les turbulences politiques, a été formé par AFRICOM et a même été envoyé en Georgie, en Virginie et au Texas pour un perfectionnement sous le couvert du département de la Défense.
Nombre de spécialistes des sciences sociales avaient averti que la politique américaine mettait en péril la sécurité du Mali. En 2003, un observateur mettait en garde contre le fait que donner au gouvernement de Bamako le pouvoir d’écraser les groupes islamistes du nord, selon l’initiative du gouvernement américain, aurait pour conséquence de "créer des ennemis là où il n’y en avait pas auparavant". [3] En 2007, un article paru dans le Journal of Contemporary African History déclarait que la politique des Etats-Unis rendait le Mali plus instable. [4] En 2009, l’historien Vijay Prashad parlait du risque associé à l’octroi obstiné de pouvoir par AFRICOM à l’armée malienne. [5] Au lieu d’encourager le gouvernement du président Touré à intégrer dans le pays les régions désaffectées du nord, en fournissant des programmes sociaux et économiques à quelques unes des communautés les plus pauvres au monde, AFRICOM a offert des incitations économiques puissantes pour que Bamako choisissent la voie militaire en réponse aux velléités sécessionnistes des Touaregs.
Sur le terrain, les armes et le soutien d’AFRICOM faisaient défaut. Où étaient les patrouilles contrôlant la frontière, les ressources en renseignement et communications, lorsque les Touaregs, lourdement armés et désireux d’en découdre, passaient la frontière du Mali depuis la Libye, l’Algérie ? Lorsque le gouvernement du Mali luttait pour contenir ses propres combattants rebelles dans le nord, où donc était passé AFRICOM, son équipement et son expertise ? Lorsque le capitaine Sanogo, formé par les Américains, s’est mutiné, le département d’Etat américain n’a pas publiquement considéré la responsabilité dans l’action désastreuse d’un soldat qu’ils ont formé jusqu’à ce qu’il se croit tout puissant.
Pour ceux qui étudient l’histoire africaine, l’idée que la démocratie africaine, la stabilité et la bonne gouvernance seront le résultat de plus d’armes meurtrières et de soldats plus puissants, fait partie de la satire. Pourtant c’est précisément le fondement sur lequel AFRICOM fonctionne. Au Mali, l’argent des Américains, l’entraînement et la rhétorique ont généré un déséquilibre dans lequel des militaires de plus en plus puissants, aux ambitions démesurées, se pavanent dans un des pays les plus pauvres de la planète. Il n’y a rien qui suggère que la militarisation va apporter des solutions aux problèmes politiques et sociaux de l’Afrique. Néanmoins, au lieu de considérer honnêtement et en toute transparence ces dures leçons, AFRICOM continue de déverser sa rhétorique, tout en ignorant les ravages qu’il laisse derrière lui.
Aussi récemment qu’en 2010, les analystes du département d’Etat chantaient les louanges du Mali, déclarant que son "approche équilibrée" du contre-terrorisme "s’est avéré effective pour maintenir la stabilité tout en atténuant les extrémismes". [6] Les innombrables rapports qui annonçaient la bonne nouvelle, selon laquelle les cœurs et les esprits au Mali avaient changé, que l’autorité de la loi était renforcée et que l’armée est entraînée pour être efficace et consciencieuse, semblent aujourd’hui dépassés et même pervers.
Il y a des myriades de raisons pour lesquelles le gouvernement américain a choisi d’ignorer la perte de sa démocratie par une nation partenaire. Nous ne sommes pas aussi éloignés que nous imaginons de la realpolitik de la Guerre Froide. Mais soyons clair. Toutes ces raisons concernent les intérêts propres des Etats-Unis et n’ont rien à voir avec les besoins, la sécurité ou les Droits de l’Homme de la population malienne qui souffre gravement tout au long de cette douloureuse transition
Pour l’Afrique, le Mali nous contraint à reconnaître qu’AFRICOM n’existe pas pour notre bénéfice. L’argent, les armes et la prévention supposée des conflits et ses renforcements de capacité - "l’aide" qu’AFRICOM offre - ne peut garantir la stabilité des Etats africains. En effet, battre continuellement le tambour de la guerre et associer développement et militarisme ne peut qu’exacerber les tensions qui menacent le progrès de l’Afrique.
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** Abena Ampofoa Asare contribue à Foreign Policy in Focus. Elle est doctorante au département d’histoire de l’université de New York. Sa thèse porte sur la justice transitionnelle et les droits humains au Ghana
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