Sénégal : cinquante ans d’indépendance et demain ?
En matière de développement, écrit Ndiaga Diouf, nous avons l’habitude d’entendre des experts l’exemple du Japon. Dans les années 1960 ce pays était dans le sous-développement comme nos pays en Afrique. Aujourd’hui le Japon est l’un des pays les plus développés au monde. Quelques éléments sont à la base de ce bond extraordinaire le temps d’une génération, note-t-il : le travail, la discipline, la conscience de la domination de l’intérêt général sur l’intérêt personnel… Bien des choses qu’il nous faut aujourd’hui pour faire les mêmes bonds après cinquante ans d’indépendance.
Nous allons dans quelques jours entamer la célébration des cinquante ans de notre accession à l’indépendance (Ndlr : le 4 avril 1960). Des festivités étalées sur des mois avec un milliard cinq cent millions pour bien aussi inaugurer le monument de la Renaissance africaine. L’occasion certainement pour le chef de l’Etat de faire des bilans à mi-parcours et de dégager des perspectives. Le Premier Ministre parle « d’un moment d’introspection et de prospective… ».
Et si on faisait un bilan depuis 1960 ? Les pères de la Nation ont fondé une République. Mais apparemment les fondements pour un développement économique durable ne sont pas aussi solides. Sinon comment comprendre le statu quo sur bien des domaines économiques cinquante ans après ? Est-ce que notre société dans sa constitution intrinsèque n’a pas de valeurs qui peuvent être le fondement d’un développement économique ? Pourtant si !
Quel que soient les soubresauts nous sommes une Nation, une société multiculturelle, une société de paix, de tolérance… Nous pouvons transcender les clivages au nom de l’intérêt général. Alors qu’est-ce qui ne va pas ? Les experts vous diront les choix économiques. Non, c’est juste l’absence d’adéquation entre les discours et les pratiques et surtout l’absence d’une culture du travail, du civisme, du patriotisme. La faute, hier comme aujourd’hui, incombe aux politiques.
(…) A ce rythme, cent ans après, ce sera le statu quo ou pire. L’ancien Président du Conseil (Ndlr : Mamadou Dia), dont la commémoration du premier anniversaire de la disparition a eu lieu le 25 janvier dernier, nous donne la clé du succès : « foi et action sont indissociables, l’action sans foi ne peut rien donner, la foi sans l’action ne peut aller loin ».
J’ai la chance par mon travail de faire ces trois dernières années beaucoup de coins et recoins du Sénégal, de rencontrer durant plusieurs jours quelques cinq cents enfants et jeunes par an. J’ai l’espoir qu’on peut compter sur cette prochaine génération mais j’ai compris combien aussi les discours et actes de nos dirigeants peuvent impacter négativement sur cette jeunesse. Or « Dis moi quelle jeunesse tu as, je te dirai quel pays tu seras ». Une génération a fait et continue de faire de ce pays ce qu’il est, mais elle semble oublier celle de demain. Une génération exigeante, parfois inconsciente et violente. Si tout cela se conjugue avec sous-développement et injustice sociale, c’est une bombe à retardement.
Nous avons de la matière première, les ressources humaines, une société de valeurs. Il revient juste aux dirigeants de ce pays de travailler pour le Sénégal et les Sénégalais. Quelle que soit leur appartenance politique ! Les hommes politiques sénégalais sont d’accord sur une seule chose : ils ne sont jamais d’accord. Ce pays ne mérite pas ce destin, les Sénégalais peuvent avoir mieux. Rappelons à nos dirigeants leurs responsabilités, comme l’a fait un philosophe africain : «Il n’y a pas de destin forclos, il n’y a que des responsabilités désertées ». Soyez plus sérieux !
* Ndiaga Diouf est journaliste sénégalais
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